Sur la planète Shap Shap, au commencement, il y a les ondes. Les bonnes ondes. D’abord celles de radio Kalangu au Niger qui a réuni cette bande de musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble ! Leur challenge : créer 27 morceaux et jingles en trois jours ! «Vu le délai, j’ai appelé les meilleurs musiciens du CFPM (Centre de Formation Pour la Musique -une institution à Niamey). L’idée c’était de mélanger instruments traditionnels, boucles électro, basse et piano. On venait donc pas du tout des mêmes univers ! Très vite, on a composé tous ensemble ! Quatre mois plus tard, on enregistrait notre premier album Château 1, sous la paillote du quartier en 2016 » se souvient Laetitia Cécile, alias Sakina, la chef d’orchestre d’origine réunionnaise de ce quintet à part où elle officie au piano et aux machines.
Autour de Sakina, installée à Niamey depuis plus de 18 ans, il y a le vénérable percussionniste Oumarou Adamou (aux percus kalangou et douma), le bassiste Harouna Abdou dit Harobasse, Seyni Halidou (au mollo et komsa – des petits instruments à cordes tendues sur une peau de chameau), et aussi Christian Koulnodji dit « Popo » (au kindé, une « petite harpe » à 8 cordes venue du Tchad où Popo est né). Tous les musiciens ont d’autres vies dans des groupes connus au Niger et ailleurs (Mamane Barka, Mamar Kassey, Cigales du Désert, etc..), mais ils s’expriment autrement dans ce projet.
La magie d’un collectif très à part
« Ce qui est magique c’est qu’on fonctionne vraiment en collectif pour composer. C’est rare ! Chacun apporte ses idées et on partage, s’enthousiasme Sakina. On est comme les doigts d’une main : tous très différents, mais tous ensemble, on forme cette main qui peut attraper tout ce qui passe !» Tout ! Y compris les bruits de rues et de marchés, les mobylettes et les paroles d’anonymes ou les cris d’animaux qui tombent dans la « crachouiette » (un enregistreur Zoom) de Sakina qui transforme ces bouts de vie radiophoniques en véritables morceaux de musique. A Niamey et ailleurs, elle est toujours prête à enregistrer ce qui passe shap shap (vite fait bien fait) !
Le groupe a d’ailleurs gardé ce clin d’œil à l’urgence et à la spontanéité de sa création en choisissant un nom qui fait écho au bruit de marteau des forgerons qui frappent les métaux en fusion : shap shap. C’est en gros ce qui est « vite fait bien fait » avec l’amour du métier quel qu’en soit les défis, et en ce qui concerne le groupe celui de fusionner les genres, les langues et les rythmes. « Pour moi, un son ou un bruit, ça parle. En jouant ensemble, on se rend compte aussi que nos rythmes se chevauchent très bien, y compris même avec des phrases de gens dans la rue et l’électro des machines » explique Popo.
Comme les forgerons, les musiciens de Shap Shap font du sur mesure, avec des instruments traditionnels qu’ils ont construits eux-mêmes et électrifiés avec génie…
Et comme les bons artisans qui savent dompter les flammes, Shap Shap s’inspire de la vie pour créer et façonner des morceaux aux sonorités inédites. Un vrai voyage dans lequel l’objectif n’est donc pas de mettre en avant un leader ou un chant, mais plutôt une écoute globale, histoire de créer une « entente », comme on dit dans la sous-région qui en a fait sa raison de vivre.
Dans ce trip, les sons de la vie et de la ville se marient à la puissance d’instruments rares comme le kinde, le mollo et le komsa ou la douma, portés par des solistes hors pair à voir absolument en live !
La crachouillette construit le groove
« Heureusement qu’on a toujours la « crachouillette » allumée, on enregistre tout, parce que ce qu’on fait c’est très spontané, ça nait de l’improvisation. Chacun vient avec un rythme, un univers, sa tradition, et l’enregistreur garde une trace de cette énergie qu’on peut retravailler.» explique Sakina. Le mémoire du passé et l’écoute de l’instant présent sont donc les sésames de leur son du futur.
Le dernier EP de Studio Shap Shap commence d’ailleurs par une vieille archive sonore, posée sur une ambiance de rue, un beat lourd et une ligne de piano dense. « Chaque jour, des jeunes gens arrivent dans les villes d’Afrique. Ils ont abandonné l’école et le champ familial pour essayer d’entrer dans le monde moderne… » lâche une voix du passée triturée par les machines de Sakina. Mais qu’est-ce que notre monde moderne ? C’est ce que questionne le groupe, qui réunit des générations et des musiciens de traditions très différentes. Et c’est bien la ville et la musique qui ont aimanté les cinq membres du groupe à Niamey, car aucun d’eux n’est né dans cette capitale sableuse traversée par le fleuve. On n’arrive pas à Niamey par hasard…
Après des années à enseigner à Washington DC, et une enfance entre Toulouse et l’île de la Réunion, Sakina a décidé de s’installer à Niamey pour enseigner les langues. Très vite, la musique l’a rappelée, et elle s’est glissée dans différentes sessions musicales du CFPM. « Je me suis faite toute petite. Au début, je n’osais pas jouer du piano. J’ai d’abord accompagné le musicien avec un petit accordéon ».
Et puis, Sakina a fait son chemin au CFPM, elle a rencontré Harouna (le bassiste), qu’elle a rejoint dans son groupe Les Cigales du Sahel. Comme Oumarou, Harouna est venu de Maradi, au sud du pays, pour vivre son rêve : devenir musicien. Popo, lui, est Tchadien, il est venu à Niamey pour faire une tournée avec son groupe de l’époque, N’Dilbé. « J’ai décidé de rester à Niamey et de faire venir ma famille pour la sécurité, l’éducation et surtout pour la culture !» résume le joueur de kindé, un instrument peu connu qu’il a découvert dans le village de son père, au Tchad.
Depuis, Popo traverse régulièrement le désert pour relier Niamey à N’djamena avec des convois de marchandises (en général en 3 jours, et en 6 jours s’il transporte des volailles vivantes…). Il a aussi un autre petit boulot, au Petit Coin, un bar-lieu culturel d’échanges qu’il a monté à Niamey.
« Comme Popo, je suis restée au Niger pour les êtres humains et la musique. Ici, on est très loin des clichés et des stéréotypes qu’on peut avoir sur le pays. Ici, il y a une humanité et une entente rare. » résume Sakina.
« Je veux rentrer chez moi »
Leur deuxième album raconte d’ailleurs des histoires de migrations, on y entend ceux qui sont bloqués à Agadez et qui attendent de partir en Europe après un voyage terrible ou qui veulent rentrer chez eux. Il y a néanmoins un absent dans ce deuxième voyage, le 6ème membre du groupe, le percussionniste Boubé, disparu en 2019. Le vieux sage était né dans le fameux parc du W, aujourd’hui inaccessible depuis Niamey. Et il avait l’habitude de dire que quand les gens fuient la brousse pour réussir à la capitale, les animaux du Parc, eux, célèbrent cette nouvelle société en ayant des nouveaux gardes, ceux des Eaux et Forêts !
En hommage à regard amusé sur nos exodes et nos relations à la faune, leur dernier single Le Parc, (et son clip très réussi), transforme le groupe en bêtes sauvages prêtes à incendier les dancefloors et les brousses du monde. « Notre musique a beaucoup évolué. Avant, elle était plus onirique, on s’interdisait de faire des morceaux trop dansants. Je me disais : ce n’est pas parce qu’on vient d’Afrique et qu’on joue des percussions qu’on doit nécessairement faire bouger ! Aujourd’hui, j’ai mûri, j’aime aussi que le public saute et danse ! » Il ne vous reste plus qu’à écouter la rumeur du monde moderne en version shap shap. Dansez, pensez et surtout vibrez !