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The Pan African Music Magazine
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Au nord du Bénin, le Star Feminine Band fait école

Au Bénin, le Star Feminine Band a formé des jeunes filles à la musique, et tente de changer le regard que la société porte sur les femmes. Leur premier disque, à paraître le 13 novembre, fait la fierté d’André Balaguemon, le fondateur de l’orchestre. Interview.

Un orchestre de femmes, ce n’est pas fréquent en Afrique. Mais quand ce ne sont que des jeunes filles qui tiennent guitare, clavier, basse, batterie, percussions, c’est encore moins fréquent. C’est le pari relevé par le Béninois André Balaguemon, natif de Dassa, vaste commune située au centre-est du pays. Après une longue expérience comme musicien au sein de multiples groupes, celui qui se définit comme homme-orchestre — il a commencé par la trompette, joue de la guitare, des claviers… — a choisi de devenir un médiateur culturel, afin d’utiliser la musique comme un vecteur pour promouvoir le changement des mentalités. En particulier le regard sur femmes, trop souvent astreintes à une condition définie par les canons de la tradition. C’est ainsi qu’après une première expérience, il a créé le Star Féminine Band, dont la fiévreuse et énergétique bande-son a su séduire Born Bad, label spécialisé dans les outsiders de la musique. Le groupe devrait bientôt se produire en Europe, notamment aux Trans Musicales de Rennes. 

Comment est né ce projet ?

En 2012, j’ai formé l’orchestre féminin de Tchaourou, l’Ore-Ayo Féminine Band, avec les filles de la commune qui pour la plupart étaient des élèves en classes de première et terminale. En 2015, l’orchestre a fait une tournée nationale qui est passée par Natitingou (nord du Bénin, NDLR). La plupart d’elles ayant eu le bac entre-temps commençaient à fréquenter le centre universitaire de Tchaourou. En 2016, suite au changement de gouvernement, cette université a été fermée puis déplacée, et les étudiantes ont dû rejoindre Parakou, ce qui a mis un terme à l’expérience. Dans le même temps, le maire Antoine N’da et d’autres personnes de Natitingou m’ont demandé de développer le même travail ici, suite au concert qui avait beaucoup plu. En septembre 2016, j’ai donc rejoint Natitingou avec mes instruments de musique. Et j’ai commencé le même mois un travail équivalent de formation de jeunes filles, à la maison des jeunes de Natitingou. 

STAR FEMININE BAND – FEMME AFRICAINE (OFFICIAL)

Vous avez reçu beaucoup de candidatures ?

En fait, la radio locale Nanto FM avait diffusé dès juillet 2016 l’information, ce qui a permis de mobiliser pas mal de candidates. Le 25 septembre, à la date de la première répétition, il y avait dix-huit filles présentes, et la semaine d’après vingt-deux venant de toute la commune et des environs. C’est ainsi qu’est né ce qui est devenu plus tard le Star Féminine Band. Aucune n’avait de notion de musique, et je savais évidemment que cela prendrait du temps et qu’il y aurait des difficultés. D’ailleurs certaines n’ont pas pu continuer pour diverses raisons, notamment des grossesses mais aussi le fait que suivre une telle formation exige de respecter quelques règles et de s’y tenir dans la durée.  

Un orchestre au féminin ce n’est pas fréquent…

Trop souvent dans notre continent dans la musique, les femmes ne sont pas considérées pour toutes leurs qualités, étant souvent reléguées aux rôles de chanteuse et danseuse. Ce n’est pas juste, et il m’a semblé important de faire valoir qu’elles pouvaient être aussi instrumentistes, tout comme les hommes. C’est une manière de faire réfléchir tout le monde sur la place de la femme dans notre société, au-delà même de la musique. Les femmes sont marginalisées, humiliées, et même battues, chez nous et un peu partout dans le monde. Et cette réalité est encore plus forte dans le nord du Bénin, où les femmes n’ont pas accès par tradition à certaines activités. La musique en fait partie. Pour moi, il n’y aucun métier que la femme ne peut pas faire, et cette exclusion de fait nous prive de beaucoup de potentialités. C’est l’idée fondamentale de ce projet : montrer et démontrer à la population béninoise et africaine qu’on ne peut plus raisonner en termes de division des tâches selon les sexes. Il est temps de les valoriser. 

Pourquoi spécialement avec des jeunes filles ?

De par mon expérience, j’ai constaté qu’avec les adultes, c’est plus compliqué : il y a l’intervention du mari, des grossesses à répétition, des tâches ménagères qui ne laissent pas de temps… Et puis, en travaillant avec les plus jeunes, c’est comme repartir de la base. C’est un peu comme le rôle de l’école, qui a pour mission de les former afin qu’elles aient plus d’opportunités quand elles deviendront majeures. Mon objectif est que ces jeunes filles, une fois formées, « éduquent » la population africaine et même mondiale à corriger des siècles de mentalités erronées, de mauvaises habitudes qui ne doivent plus se perpétrer.

Andre Balaguemon

Une des clefs de la réussite consistait à l’obligation pour toutes de suivre des études…

Parfaitement, c’était une condition sine qua non depuis le début. Je souhaite qu’elles obtiennent le meilleur diplôme. La musique c’est une chose, mais je ne veux pas mettre de côté la dimension socio-éducative de ce projet. La musique est en quelque sorte une clef pour changer leur réalité de façon plus globale. 

La Béninoise Angélique Kidjo est une icône du continent, qui prend des positions dans le même sens. L’avez-vous contactée ?

Pas encore, mais nous y comptons bien. C’est bien entendu un modèle, pour tout ce qu’elle représente : elle est en quelque sorte comme une mère pour ces jeunes filles. Elle a toujours été en première ligne sur ces questions, et à un niveau international. Obtenir le soutien d’une telle grande dame serait comme valider tous nos efforts. 

Avez-vous été aidé pour la formation ? D’autres musiciens y ont-ils participé ?

C’est moi seul qui l’ai fait. Aucun musicien n’est venu à mon secours. Au départ, il s’agissait de donner quelques éléments théoriques, mais très vite, il fallait passer à la pratique. J’ai divisé le groupe en quatre ateliers : guitare, basse, piano, puis batterie. Pendant les vacances, nous travaillons tous les jours, du lundi au vendredi, de 8h à 17h. En période scolaire, il y a trois soirées, lundi, mercredi et vendredi, où nous nous réunissons pour au moins deux heures.  Et puis le dimanche pendant une bonne partie de l’après-midi. La réussite repose sur l’assiduité de toutes. 

Elles ont à l’évidence bien progressé… Surpris ?

Oui, à la folie ! Au bout de six mois, nous avions organisé un premier concert sur l’esplanade de la mairie de Natitingou, qui a connu un bel écho chez la population. Depuis quatre ans, les sept filles ont atteint un niveau qui leur a permis de jouer régulièrement sur scène, à Natitingou où elles se produisent pratiquement tous les week-ends, mais aussi ailleurs dans le pays. D’autres mairies nous soutiennent, comme Djougou. Nous avons même joué à Cotonou dans un restaurant. Nous jouons gratuitement, mais c’est essentiel de faire connaître ce projet. D’ailleurs le public est toujours réceptif. Elles font danser tout le monde. 

Comment réagissent les parents ?

Au départ, il a fallu faire un effort de pédagogie, et nous avons expliqué le projet à chaque famille. Rares étaient ceux qui y croyaient, mais désormais tous sont derrière nous. D’ailleurs ils m’ont donné l’autorisation pour que je les accueille chez moi, où désormais elles vivent toutes. C’est une manière de les souder et aussi de les préserver. La plus jeune a dix ans, elle est l’une de mes deux filles au sein de cet orchestre, elle joue de la batterie et la plus âgée aura dix-sept ans en décembre. 

Votre travail a suscité des vocations ?

Oui, d’autres jeunes filles nous ont rejoints. Malheureusement je suis obligé de restreindre le nombre de participantes étant seul, j’ai donc limité à dix le nombre des élèves. Il faut savoir que la formation est entièrement gratuite.   

STAR FEMININE BAND – PEBA (OFFICIAL – BENIN)

Comment parvenez-vous à payer tous ces frais ?

Ce n’est pas facile, je ne vais pas vous le cacher, mais je me suis engagé dans cette voie que je ne peux plus quitter. J’ai quelques biens qui m’ont permis d’acheter du matériel, notamment tous les instruments que j’ai payés de ma poche, et le fait d’avoir trouvé un label m’a apporté des fonds supplémentaires. J’ai eu le soutien moral de quelques personnes ressources. Notre travail commence à avoir des effets sur les mentalités dans la région : il fallait concrétiser nos idées avant toute chose, et j’espère que le reste va suivre. Je suis optimiste par nature, et de toute façon rien ne m’arrêtera. 

Comment avez-vous procédé pour le répertoire ?

J’ai écrit l’intégralité des compositions, du moderne d’inspiration traditionnel, où j’utilise notamment les rythmes nabo, peulh, waama… Et pour les arrangements, je dois reconnaître qu’elles m’apportent des idées. Elles sont force de proposition lors des répétitions, et c’est bien la preuve qu’elles sont mûres musicalement. Aujourd’hui, j’essaie d’étoffer le répertoire en ajoutant des rythmes du sud du Bénin, afin de donner un caractère national à notre projet. Pour les paroles, on travaille un peu de la même manière. Les grands thèmes sont : la place de la femme de la société, les maltraitances qu’elle subit, le problème de l’excision… bref l’émancipation de la femme. 

Le projet a pris une tournure internationale avec la rencontre du jeune ingénieur Jérémy Verdier. Comment l’avez-vous rencontré ? 

Je l’ai rencontré en 2018, et dès qu’il a vu les filles en concert, il a été épaté. Il était venu avec sa trompette pour les accompagner ! Il a été subjugué et depuis il s’est mis en tête de nous aider, en cherchant la possibilité de diffuser ce groupe en Europe. Et c’est comme ça qu’il a fait venir deux ingénieurs du son espagnols qui nous ont enregistrés. C’est aussi lui qui par la suite a trouvé le label Born Bad. JB, le patron de ce label, est lui aussi venu sur place pour comprendre toutes les dimensions de ce projet. Depuis, il nous supporte à 200 % : c’est lui qui a d’ailleurs fait en sorte que toutes les filles aient un passeport, et il nous a apporté du matériel. C’est une chance de l’avoir à notre côté : il fera tout pour que les filles soient connues dans le monde entier. 

Aujourd’hui le disque vous offre de nouvelles fenêtres d’opportunités ? 

Quand les filles ont vu le disque, elles étaient au paradis ! Vous ne pouvez pas savoir comment elles sont contentes de s’entendre jouer. Le disque commence à être diffusé en radios, sur Nanto FM, qui est un soutien constant, mais aussi à Cotonou. Aujourd’hui, nous sommes forcément plus crédibles par rapport à tous. Et on peut désormais se prendre à rêver que les filles aillent jouer dans le monde entier. 

L’album du Star Feminine Band est prévu pour le 13 novembre 2020 via Born Bad.

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