Étoile montante d’une scène ambient globalisée, KMRU navigue entre Berlin, où il étudie à l’Universität der Künste Berlin les arts sonores et acoustiques, et sa ville d’origine : Nairobi. Qu’importe le lieu : armé de son ordinateur portable et de son dictaphone numérique, le jeune artiste bruitiste multiplie les projets sonores, installations, expériences de field recording, albums autoédités, ainsi que des apparitions chez Rinse, NTS Radio ou tous les mois sur l’excellente Internet Public Radio.
Jeune, mais déjà puissant, le muscle créatif de KMRU déploie une musique avant-gardiste, onirique et hyper soignée. Intervenant au sein du Nairobi Ableton User Group, activiste pour le Black Bandcamp – initiative online visant à promouvoir la musique d’artistes noirs –, KMRU vient de signer Place: Nairobi, une compilation inédite réunissant la fine fleur de la jeune scène électronique locale.
« Pour moi, avec ces quatorze titres, on gratte à peine la surface d’une scène en pleine ébullition » nous a confié le musicien kényan. Nightlife locale, émergence du gengetone, diversité de la scène kényane… PAM s’est entretenu avec KMRU, producteur hors frontière qui, entre benga traditionnel et pure improvisation électronique, a décidé de ne pas choisir.
Comment en es-tu venu à signer cette compilation sur la scène électro de la capitale ?
L’idée de réaliser une compilation sur la scène de Nairobi me trottait dans la tête depuis pas mal de temps. Nairobi évolue un peu sous le joug d’une musique mainstream, pourtant la ville contient une scène alternative extrêmement dynamique. Et riche. Artistes producteurs, musiciens… Ils et elles sont nombreux à Nairobi à proposer une musique différente, que ce soit sur le dancefloor, en showcase ou dans leurs home studios… Je te parle d’une scène dont la pratique sonore s’exprime au-delà des frontières du mainstream, sur les territoires de l’expérimentation.
Avais-tu déjà rencontré tous ces artistes au sein des clubs locaux, à travers la nightlife de Nairobi ?
J’ai déménagé à Berlin en novembre 2020, mais je vivais à Nairobi jusqu’alors. À l’époque où je vivais au Kenya, je m’occupais des workshops pour le Nairobi Ableton User Group. La plupart des artistes choisis au sein de la compilation sont passés par ces ateliers ! D’ailleurs, ce User Group fonctionne désormais de façon presque autonome. D’un atelier dédié à un logiciel, on est passé aujourd’hui à une véritable communauté de musiciennes et de musiciens très soudés. En ce qui concerne la nightlife locale, disons qu’elle s’agglomère autour de lieux comme The Alchemist ou The Terrace… Un club comme Muze accueille en guests des Djs qui jouent de la musique expérimentale. Cette scène club est vivace, mais reste embryonnaire.
Quel type de morceaux as-tu demandé aux artistes sélectionnés ?
En vrai, je ne leur ai pas demandé de morceaux spécifiques. Je leur ai surtout demandé d’être ouverts dans leur choix, sans imposer de direction ni d’esthétique particulières. L’idée était surtout qu’ils me remettent le morceau qui pourrait le mieux mettre en lumière leur travail. Je n’ai pas cherché à donner de teinte particulièrement expérimentale ou dance à la compilation. Je voulais que cette sélection rende compte de la diversité sonore existante ici, et qui est immense. Pour moi, les quatorze morceaux retenus ne représentent qu’un infime fragment, vraiment un tout petit aperçu de la musique produite à Nairobi.
Impossible de contenir Nairobi dans quatorze titres ?
Franchement, c’est impossible. Honnêtement, si j’avais dû faire une compilation sur la ville de Dar es-Salaam en Tanzanie par exemple, l’ensemble aurait été dominé par le Singeli, un genre musical hyper déterminé et identifié là-bas. Place: Nairobi part dans toutes les directions. Regarde à quelle vitesse un genre comme le gengetone a émergé ici, c’est fou. On est face à un mélange de reggaeton, de dancehall, d’esthétiques très street, amplifiées par le sheng, ce slang en perpétuelle mutation. La scène de Nairobi est surprenante, elle s’hybride continuellement. On a des artistes qui font de l’ambient, du field recording, de l’afro house à partir de benga traditionnel, du jazz improvisé… L’éclectisme, c’est peut-être ça, finalement, le dénominateur commun du projet. Et c’est d’ailleurs ce que je vais m’évertuer à poursuivre, réaliser plus de sélections, et de mises en lumières de cette scène, si variée.
Place: Nairobi, par KMRU, (Air Texture/Music And Activism, 24 septembre 2021.