Le Covid-19 vient de faire sa plus mauvaise blague au reggae transatlantique en lui confisquant à Kingston, le mercredi 1er avril, Samuel Clayton Junior, à l’âge de 59 ans.
Artisan et ingénieur du son très apprécié des musiciens français, le jamaïcain était un véritable connexionneur passionné autant qu’un personnage haut en couleurs, dont le parcours atypique n’a pas manqué de fasciner toutes celles et ceux qui l’ont connu.
Fils de Brother Samuel Clayton, qui était membre de Mystic Revelation of Rastafari, adepte des cérémonies nyabinghi et figure majeure du mouvement rasta éminemment respectée en Jamaïque (il fut l’un des 12 rastas présentés à Haïlé Selassié lors de sa venue sur l’île ), Samuel Clayton Junior a grandi dans un environnement exceptionnel. Pourtant, Samuel Clayton Junior ne fut ni rasta ni religieux. Il suivit son propre destin, qui l’amènera notamment à intégrer la première équipe de bobsleigh jamaïcaine – oui oui, celle du film Rasta Rockett, dont il détestait l’humour potache – et à participer aux Jeux Olympiques de Calgary en 1988.
Après une enfance au pays donc, une quinzaine d’années à New-York et un crochet en Angleterre où il rencontrera l’amour, il s’était installé à Saint-Étienne au début des années 2000. Dès lors, de nombreux artistes du reggae hexagonal – Dub Inc, Naâman et Broussaï en tête – ont pu jouir des oreilles, du caractère et du savoir-faire de Samuel Clayton Junior, autant que les patrons du reggae international qui se l’arrachaient aussi, de Toots & The Maytals à Burning Spear, ou encore Steel Pulse. Samuel Clayton Junior avait de l’horizon, bénis sont ceux qui le savaient : au-delà du reggae, l’homme de l’ombre brillait aussi aux côtés du bluesman américain Eric Bibb, du chanteur burundais JP Bimeni… et même des Rolling Stones ! Saint-Étienne, c’est aussi la ville où Samuel Clayton Junior s’est lié d’amitié avec le producteur et compositeur Martin Nathan, aux manettes de Brain Damage, connu pour son dub expérimental et voyageur.
Après Talk the Talk (Jarring Effects) en 2016 notamment, un excellent double-album qui conviait les voix de cinq piliers majeurs du reggae roots, d’Horace Andy à Ras Michael, les deux hommes travaillaient actuellement à la réalisation d’un nouveau disque avec Big Youth, DJ-chanteur-toaster incontournable dès les années 70 à Kingston et dont le style sera déterminant pour l’évolution du reggae, puis ce qu’il en naîtra, du ska au hip-hop au large éventail de la bass music. En quarantaine dans son studio car atteint lui aussi du Covid-19, Martin Nathan a accepté de témoigner pour PAM.
L’émotion est vive : « Samuel et moi étions partis pour Kingston ces derniers jours pour travailler en studio avec Big Youth. J’ai dû rentrer en urgence juste avant que le confinement ne soit annoncé. C’est alors que Samuel a été hospitalisé à Kingston. Après quelques jours, il allait mieux, il recommençait même à râler – ce qui était très bon signe le connaissant ! Mais le virus a vaincu. Nous sommes partis ensemble en Jamaïque, nous avons été malades du Covid-19 ensemble mais je suis rentré tout seul. Il va me manquer, il va manquer à beaucoup de gens – j’ai une pensée particulière pour l’équipe du festival Reggae Sun Ska pour lequel il a beaucoup fait.
Samuel était un trait d’union unique entre la Jamaïque et le Monde, il possédait une qualité d’entremetteur exceptionnelle. Tout le monde vous le dira. Grâce à lui, j’ai pu faire des rencontres magiques ! Il avait une ouverture d’esprit hallucinante et même s’il avait du caractère, il savait s’adapter, il savait écouter. Samuel était un homme de l’ombre mais je vous le dis : son œuvre est considérable. On perd vraiment un grand bonhomme. Alors même si la situation est triste, complexe et inattendue, je vais remplir ma mission et terminer le boulot qu’on avait commencé ensemble. Il me l’a demandé.”
Alors que le confinement quasi-général de la planète empêche la perspective immédiate d’un hommage public, PAM adresse ses plus sincères condoléances à la famille, aux proches et aux amis musiciens de Samuel Clayton Junior, et souhaite aussi un prompt rétablissement à Martin Nathan.