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The Pan African Music Magazine
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Linton Kwesi Johnson en cinq dubs
© Rita Maier / Schwules Museum Berlin

Linton Kwesi Johnson en cinq dubs

PAM rend hommage à la légende vivante de la dub poetry, en revisitant cinq poèmes du maître jamaïcain. Tous sont porteurs d’une critique sociale acérée, posée sur des basses profondes et un rythme intemporel.

Avec ses éternels bouc et chapeau de feutre, la silhouette de Linton Kwesi Johnson est aussi marquante que sa voix de baryton. Que ce soit chez lui à Brixton (Londres), où on le connaît tout simplement comme « poète », ou dans l’énorme festival nord-américain de Coachella, l’artiste affectueusement surnommé LKJ n’a eu de cesse de chanter ses strophes à plusieurs générations de fans, et n’a pas volé son titre de père de la dub poetry, la “poésie dub”.    

Premier adepte du spoken word à se faire le porte-voix des enfants du Windrush (la deuxième génération de la diaspora caribéenne), LKJ a ainsi pavé la voie de ceux qui suivront – Benjamin Zephaniah, Lemn Sissay et Akala – et a longtemps été l’unique poète à être publié de son vivant dans la prestigieuse collection Penguin Modern Classics, ainsi que le premier poète noir inscrit au catalogue de cette maison d’édition. La première strophe de cette histoire s’écrit dans la campagne jamaïcaine en 1952, plus précisément dans le village de Chapelton où la grand-mère de Linton l’élèvera après la séparation de ses parents, et où le jeune curieux découvrit la littérature à travers la Bible, dont les versets seront sa première approche de l’écriture poétique.

Quittant la Jamaïque en 1963 pour Londres où il retrouve sa mère, il est immédiatement choqué par l’ambiance hostile qu’il rencontre en terre britannique : il y a non seulement le racisme éhonté et caricatural du parti d’extrême-droite National Front, mais aussi celui de ses professeurs d’école. Il poursuit tout de même des études de sociologie à l’université Goldsmiths de Londres, où il découvre des auteurs essentiels tels Aimé Césaire et Léopold Senghor, et se rend à des meetings des Black Panthers – ce qui le convainc de se rebaptiser Kwesi, signifiant « né un dimanche » en langue akan, et de rédiger ses premiers poèmes.

C’est en s’essayant alors au journalisme musical et à la rédaction de notes de pochette pour Virgin Records, qu’il se liera à Dennis Bovell, producteur et multi-instrumentiste originaire de la Barbade et auteur du classique « Silly Games ». Ensemble, ils publieront en 1978 le premier album de Linton, Dread Beat an’ Blood, in ’où est tiré le premier dub de notre sélection, « All Wi Doin’ Is Defendin » (« On ne fait que se défendre »).

Réflexion sur l’acharnement policier que la jeunesse noire doit endurer dans les quartiers défavorisés, « All Wi Doin’ Is Defendin » est propulsé par un riddim rockers sur lequel Johnson « toaste » ou récite ses strophes, en écho à d’inquiétants riffs de clavier qui lui répondent. Le poème clairvoyant est une préfiguration des émeutes de Brixton qui éclateront quelques années plus tard, en 1981, et renseigne parfaitement sur le sentiment de rancœur qu’éprouve la jeunesse envers la police : 

Ces journées
De matraque
Et ces nuits
De mélancolie
Enfermé dans une cellule

Avant de conclure que ces jours et ces nuits étaient « bel et bien comptés ».

« All Wi Doin’ Is Defendin' » par Linton Kwesi Johnson

Les violences policières sont également au cœur de « la lettre de Sonny », tirée du deuxième album de Linton sorti en 1979, Forces of Victory (« Les Forces de la victoire »). L’auteur de cette missive, dont le titre complet est « Sonny’s Lettah (Anti-sus Poem) » (« La lettre de Sonny (Poème anti-sus) ») commence par énoncer l’endroit d’où il écrit – Brixton Prison London SW2 – avant de s’attaquer au thème principal, la loi raciste abrégée « sus law » [la « loi du suspect » permettait aux forces de police d’interpeller et fouiller quiconque leur paraissait suspect, et sera en vigueur de 1824 à 1981 ; NdT] qui fut instrumentalisée par le pouvoir pour harceler les noirs britanniques. C’est ce contexte qui sert de toile de fond à la tragédie relatée par un fils à sa propre mère :

Maman, je ne sais vraiment pas comment te le dire
Car j’avais fait la promesse solennelle

De m’occuper du petit Jim
Et j’ai fait de mon mieux

« Sonny’s Lettah (Anti Sus poem) » par Linton Kwesi Johnson

C’est ainsi que l’auteur débute son récit, avant de donner les détails d’une violente attaque policière, sur fond d’harmonica plaintif. À noter que si l’harmonica est l’œuvre du grand « Dreadful » Julio Finn, habitué des sessions avec Archie Shepp, Forces of Victory donne aussi à entendre le regretté Emmanuel «Rico» Rodriguez, tromboniste cubain qui a grandi en Jamaïque où il s’est formé à la légendaire Alpha Boys School, le conservatoire dont sortiront la plupart des meilleurs instrumentistes jamaïcains.

© Peter Verwimp

Les deux prochains poèmes sont issus de l’album Bass Culture, sorti en 1980. Une réflexion, cette fois-ci, sur le caractère cru du reggae, une musique qui prend aux tripes, la chanson-titre « Bass Culture » évoque le skank de la guitare et le rumble (vrombissement) de la basse, usant de toute la richesse phonétique de ce que le poète et universitaire bajan Kamau Brathwaite baptisa « langue de la nation », en opposition à « patois » ou « dialecte », les termes péjoratifs désignant le plus souvent la langue anglo-jamaïcaine.

Tendu jusqu’à la moelle
Défoncé et sur le qui-vive
Quand le beat claque
Quand le mur doit tomber

« Bass Culture » par Linton Kwesi Johnson

En même temps, sur « Inglan is a Bitch » (« L’Angleterre est une plaie »), Linton témoigne de la dure vie des premiers immigrés caribéens, qui chaque jour s’échinaient à trouver des petits boulots : bienvenue à « Landan toun » (London Town) où il faut accepter tout ce qu’on propose, y compris bosser « dans le métro ». Sorte de commentaire audacieux sur l’austérité que Margaret Thatcher imposa alors à la Grande-Bretagne, la production signée Bovell use et abuse judicieusement des techniques du dub comme la reverb, les filtres et le gate tandis que Linton raconte :

Et bien je bosse le jour et je bosse la nuit
Je fais du ménage et autres sales boulots

« Inglan Is A Bitch » par Linton Kwesi Johnson

Avant de conclure, «Inglan is a bitch, dere’s no escapin it » (« L’Angleterre est une plaie, il n’y a pas d’échappatoire »). Linton récitera le poème a capella à la télévision britannique en 1980, dans l’émission de référence The Old Grey Whistle Test.

En 1981, Linton lancera son propre label, LKJ Records, afin de publier le travail de ses pairs poètes, dont Jean « Binta » Breeze. Linton continuera cependant à publier certaines de ses compositions sur Island Records, le label fondé par Chris Blackwell, avec notamment Making History en 1984, dont est extrait ce dernier poème. Avec son arrangement de cuivres au cordeau, son orgue Hammond vibrant, et ses riffs de guitare blues, « Wat About Di Working Claas? » (« Qu’en est-il de la classe ouvrière ? ») est l’expression de l’engagement légendaire de Linton au sein du socialisme (« sowshallism »), non sans un certain degré d’observation politique :

De l’Angleterre à la Pologne
D’un rivage à l’autre
La classe dominante est en difficulté, oh oui
Le système capitaliste est en régression

« Wat About Di Working Claas » par Linton Kwesi Johnson

Accompagnée par un groupe ou récitée a capella, il y aura toujours dans la poésie de LKJ une ligne de basse, un stylo aiguisé et un micro plongé dans la reverb. Pour emprunter le vers d’un de ses poèmes, Linton Kwesi Johnson est un « top natch poet » (« poète de haut vol ») et une légende vivante qu’on se devait de célébrer.

Note : traduction libre des paroles de Linton Kwesi Johnson par le traducteur, Kino Sousa

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