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Jacques Schwarz-Bart, sax complexe
© Marc Chesneau

Jacques Schwarz‑Bart, sax complexe

Compagnon de route de Roy Hargrove et D’Angelo, le saxophoniste délaisse sa Guadeloupe natale pour explorer, dans son “Harlem Suite”, le quartier new-yorkais qui l’a vu éclore sur le tard, et presque par hasard. Il est en concert le 14 avril au Duc des Lombards.

C’est dur à croire mais on peut avoir joué aux côtés de grands noms de la néo soul (Roy Hargrove, Erykah Badu, D’Angelo..), signé plusieurs albums sous son nom, inventé une passionnante relecture guadeloupéenne du jazz, et rester, à 60 ans, aux prises avec le « syndrome de l’imposteur ». Le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, dont paraît le nouvel opus « The Harlem Suite », en est la preuve vivante.

« Ce syndrôme a pu être une source de blocage à certains moments, une source de motivation supplémentaire à d’autres mais ça m’a toujours maintenu dans une position d’humilité par rapport à l’art », confie ce saxophoniste aux mille vies, d’assistant parlementaire au Sénat français (!) à « sideman » prisé de la scène new-yorkaise dans les années 90. Avec son « Harlem Suite », exploration enthousiasmante du quartier qui a vu éclore son talent, Jacques Schwarz-Bart semble (enfin) avoir fait la paix avec lui-même et s’être délesté d’un complexe d’infériorité lourd à porter « dans un milieu ultra-compétitif » où, dit-il, « on n’expose pas souvent ses doutes ». « Au début, se souvient-il, quand un musicien faisait appel à moi, je me disais: il va forcément changer d’avis et prendre quelqu’un d’autre ». 

D’où lui venait cette enclume dont on n’imagine à peine le poids au moment de monter sur scène ? Lui-même ne s’étant jamais allongé sur le divan, on est tenté de le soumettre à une analyse sauvage qui remonterait, nécessairement, aux racines parentales. Car de ce côté, l’héritage est riche autant que complexe.

Exodus

Originaire d’une famille juive d’Europe de l’Est, Schwarz-Bart père, André, décédé en 2006, a vécu dans sa chair le génocide nazi qui lui a volé ses parents et un de ses frères et dont il a tiré le déchirant « Dernier des justes », roman choc lauréat du prix Goncourt en 1959. Figure de la négritude et célèbre écrivaine guadeloupéenne, Schwarz-Bart mère, Simone, continue à 80 ans passés de tisser une œuvre mêlant mémoire de l’esclavage et célébration des femmes noires oubliées par l’Histoire.

Jacques Schwarz-Bart a donc grandi à la croisée de deux génocides, de deux souffrances ancestrales mais aussi de cultures foisonnantes. « Dès le biberon, j’ai reçu une éducation religieuse juive et la musique vaudou, ce sont des références constantes pour moi », analyse-t-il. Elles ont guidé ses pas d’artistes, parfois vers l’héritage juif liturgique (l’album « Hazzan » paru en 2018) mais surtout vers les sonorités des percussions gwoka de sa Guadeloupe natale, qui lui ont inspiré deux très beaux opus à quinze ans d’intervalle (“Sone Ka-La” 1 et 2, en 2006 et 2020). Pas facile toutefois de s’y retrouver dans ce labyrinthe identitaire, surtout en France où son inclassable physique compliquait encore l’équation. « Etre noir et juif mélangé, c’est déjà pas facile mais en France on me prenait en plus pour un Arabe ».

C’est beaucoup pour un seul homme mais, à écouter l’intéressé, il faut chercher ailleurs pour tenter de comprendre son rapport si complexe à son art et à son sax. « Ce qui m’a souvent manqué c’est que, contrairement à des prodiges de la musique, je n’ai pas grandi avec mon instrument, je n’ai pas pu construire avec lui une relation intime dès mon plus jeune âge », avance-t-il.

© Marc Baptiste
Self made sax 

Depuis ses 6 ans, Schwarz-Bart s’est initié seul à la guitare et au tambour gwoka mais il ne touche son premier saxophone qu’à… 24 ans. Vertigineux quand on sait qu’au même âge, son maître absolu John Coltrane – dont il reprend le superbe Equinoxe” dans son nouvel album – jouait déjà avec Dizzy Gillespie et Bud Powell. A cette époque, Schwarz-Bart est engagé sur un chemin bien moins glamour. Jeune diplômé de Sciences Po, il s’apprête à prendre un poste au conseil départemental de Guadeloupe quand se produit une rencontre quasi mystique : on est en été, à Paris, et, chez une amie, un sax lui atterrit un peu par hasard entre les doigts. « Après avoir farfouillé un peu, j’ai commencé à faire des mélodies et des riffs et tout le monde m’a dit: « tu nous as bien charriés en nous disant que t’avais jamais joué » », se souvient-il. C’était pourtant la vérité.

La belle histoire ne s’arrête pas là: des amis musiciens ont justement besoin d’un saxophoniste pour un concert et Schwarz-Bart ne recule pas. « Le lendemain de ma première rencontre avec le sax, j’avais mon premier gig », résume-t-il, décrivant un véritable « coup de foudre » pour cet instrument qui va bouleverser sa vie.

Schwarz Bart prend son poste de directeur général des services au conseil général à Pointe-à-Pitre mais sa tête est ailleurs. « J’étais dans une phase d’apprentissage accéléré du sax et souvent, lors des réunions, je révisais dans ma tête ma prochaine transcription d’un solo de Wayne Shorter ». Au bout d’un an et demain, il démissionne, retourne à Paris pour prendre un poste moins prenant d’assistant parlementaire au Sénat et en profite pour écumer les clubs de jazz de la capitale. Un soir, au légendaire Caveau de la Huchette, deux musiciens américains qui l’ont fait monter sur scène pour la fin de leur gig sont persuadés d’avoir affaire à un pro aguerri. « Quand je leur ai dit que je jouais depuis seulement deux ans, ils n’y croyaient pas et m’ont conseillé d’aller étudier à Berklee » C’est le déclic: Schwarz-Bart plaque tout et s’envole pour Boston parfaire son art dans la légendaire école américaine de musique, dans laquelle il est aujourd’hui enseignant. « Tout le monde a pensé que j’étais fou, que j’avais une vie cachée ou que j’essayais d’échapper à la justice: il y a eu beaucoup de théories intéressantes », se souvient-il.

La réalité est tout autre. « Je suis juste allé vers ce qui donnait du sens à ma vie », résume-t-il. Ses parents rêvaient qu’il reprenne le flambeau littéraire mais ont dû se rendre à l’évidence. « Rien ne m’a jamais ému comme le fait de faire de la musique ou d’en écouter, rien ne me peut me procurer les mêmes sensations », dit-il, lui qui a appris à siffler avant de prononcer ses premiers mots.

Harlem Renaissance 

Après Boston, Schwarz-Bart fait à nouveau le grand saut en s’installant à New York, dans le mythique quartier de Harlem auquel il a dédié son nouvel album. À l’époque, la vague de gentrification n’a pas encore submergé la ville et transformé un expresso en produit de luxe. Harlem est alors plus que jamais le cœur noir de la ville, à la fois refuge des diasporas caribéennes et place forte des Afro-américains. C’est aussi parfois un coupe-gorge mais Schwartz-Bart vit un rêve éveillé.  « J’étais comme Alice au pays des merveilles », dit-il, se remémorant un « choc culturel constant ». Hip-hop, salsa, funk ou jazz: la musique surgit à chaque coin de rue à Harlem, s’échappant des salons de coiffure, des « diners » ou des magasins de vêtements. Schwarz-Bart joue partout et tout le temps, dans les clubs, dans les parcs ou dans le métro, pour se faire entendre mais aussi pour faire bouillir la marmite.

« Aux Etats-Unis, on travaille sans filet, sans revenus garantis. Les collègues français n’ont parfois pas conscience de la chance d’avoir un système social qui les soutient. Aux Etats-Unis, il y a plein de musiciens qui doivent abandonner », analyse-t-il.

La question a été vite évacuée pour Schwarz-Bart. Rapidement, son nom circule dans le milieu new-yorkais et les collaborations prestigieuses, en studio ou en live, s’empilent: du crooner Harry Connick Jr à la bassiste Meshell Ndegeocello en passant par les pianistes Danilo Perez ou Chucho Valdes. Il intégrera également le talentueux RH Factor, groupe de neo soul fondé par le trompettiste Roy Hargrove, décédé en 2018. C’est à la fin des années 90 qu’il tente une première aventure en solo. Mais le véritable envol se produit en 2006 avec « Sone Ka-la » qui donne le coup d’envoi d’une exploration discographique qui le conduira en Guadeloupe, en Haïti et en Europe de l’Est et qui le fait, aujourd’hui, revenir à Harlem. « J’ai senti ici une liberté d’être, c’est le seul lieu au monde où quel que soit ce que à toi tu ressembles, ou ce que tu portes, les gens ne te jugeront pas », dit-il.

Schwartz-Bart ne vit plus à Harlem mais l’esprit qui y soufflait ne l’a jamais quitté. « Ca m’a beaucoup servi pour tracer mon propre chemin et ne laisser personne me dire que ce que je faisais avec le gowka n’était pas du jazz ». Maîtrisé et sincère, son nouvel album le prouve : le « syndrome de l’imposteur » s’est évaporé dans les réminiscences de Harlem.

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