fbpx → Passer directement au contenu principal
The Pan African Music Magazine
©2024 PAM Magazine - Design par Trafik - Site par Moonshine - Tous droits réservés. IDOL MEDIA, une division du groupe IDOL.
Le lien a été copié
Le lien n'a pas pu être copié.
Moïse Polobi et Klod Kiavué, la nature reprend ses droits
© Paulina Biswell

Moïse Polobi et Klod Kiavué, la nature reprend ses droits

Sur Abri Cyclonique, le projet Polobi & the Gwo-ka Masters transpose l’esprit du légendaire tambour guadeloupéen dans un univers musical parallèle. PAM a discuté avec ses deux artisans, en visio depuis leur terrain d'inspiration : la forêt.

Difficile de rester indifférent à l’écoute de « Kawmélito », poème alambiqué qui sert d’introduction à cet album insolite de Polobi & the Gwo-ka Masters. En apesanteur sur des arrangements dub psychédéliques, cette voix rocailleuse qui conte une histoire de vieux souliers en créole est la signature d’Abri Cyclonique, contre-pied de cinquante minutes qui donne l’impression de ne jamais toucher terre. Car cet ovni signé chez Real World, valeureux label de Peter Gabriel, est indéniablement habité par l’esprit gwo-ka qui, d’après le musicien-charnière Klod Kiavué, est sans doute « l’identité, l’âme, l’expression la plus sincère du pays, surtout pour les Guadeloupéens qui ont une relation particulière avec la Terre ». C’est le cas de son voisin Moïse Polobi, ancien agriculteur et bûcheron qui passe aujourd’hui le plus clair de son temps à communier avec la nature qui jouxte son Petit-Bourg natal. Entre deux roulements de tambour, ce rythme toumblak qu’il affectionne et maîtrise depuis tant d’années, c’est la voix rauque de l’ancien que la Guadeloupe entend s’élever depuis les bois. A ses douze ans, Moïse accompagnait sa mère aux Lewoz du vendredi, ces manifestations traditionnelles qui regroupent musiciens, chanteurs et danseurs autour du gwo-ka. Il n’imaginera plus sa vie autrement que rythmée par la musique. Sur son chemin, c’est le maître ka Guy Konket qui viendra jeter de l’huile sur cette étincelle déjà vive, devenant ainsi pour Moïse un véritable mentor.

Klod Kiavué, l’éclaireur du péyi 

« Il y a des centaines de musiciens gwo-ka qui n’enregistrent jamais », précise Klod. Exception qui confirme la règle, Moïse était là au bon endroit au bon moment, ce soir de septembre 2020 en plein confinement. « Je travaille avec 3D family et la productrice Valérie Malot » continue-t-il, « elle était à la maison lors de cette soirée que j’ai organisée, où Moïse Polobi s’est mis à chanter et à danser ». Bluffée par ces expressions de la voix et du corps presque mystiques, Valérie imagine déjà des fusions inédites. Sans le savoir, Klod vient de déclencher une nouvelle rencontre importante, lui qui contribue sans relâche à exporter cette culture à l’international. Connu pour ses projets aux côtés du pianiste cubain Omar Sosa ou du saxophoniste américain David Murray, Klod permet « aux expressions comme celle de Moïse qui normalement restent au pays, de prendre d’autres directions ».  Il est vrai que David Murray et les Gwo-ka Masters ont attiré l’attention d’ethnologues et autres passionnés américains et canadiens, séduisant un monde anglophone pour qui cette musique était encore inconnue.

Pour Klod, sortir ce type d’album aux allures rétro-futuristes sur Real World, « c’est un chemin pour amener les gens à découvrir la forme originale du gwo-ka, car le problème de la musique guadeloupéenne, c’est qu’il n’y a pas de réseau de distribution ». Pour autant, la tradition n’est pas en danger. « Il y a du gwoka partout, tout le temps », nous dit-il d’un ton rassurant, convaincu du caractère éternel et inébranlable d’un genre qui ne demande qu’à se développer, à dialoguer avec les musiques modernes. Sur Abri Cyclonique, la forme percussive originale du gwo-ka s’écoute depuis les nuages car il s’agit bien de la voix singulière de Moïse dont il est question. C’est Liam Farrell alias Doctor L qui la transpose dans son univers dub pigmenté d’afro-funk, peu avare en échos et en delays. Ancien batteur des Rita Mitsouko et des Wampas, ex-producteur du groupe de rap Assassin, le Franco-irlandais connaît bien l’Afrique pour avoir collaboré plusieurs fois avec Tony Allen. « Il ne connaissait pas du tout l’univers gwo-ka », poursuit Klod, « il a une lecture particulière du rythme et a réussi à l’approcher de manière totalement nouvelle et différente… ce que Moïse a validé ! ».

Moïse Polobi, le messager de la forêt

« Je travaille dans la forêt, je coupe du bois, je plante des ignames, il y a des oiseaux et des animaux qui passent, et moi je chante. » Sur les rives de la Lézad, la rivière qui traverse son village, Moïse pousse la chansonnette et structure ses ritournelles en rentrant chez lui. « Je parle de moi, je parle de ma vie », continue Moïse qui a ainsi vidé son sac de cassettes pour sélectionner 13 chansons avec l’aide de Klod, en fonction des thèmes et de la pureté des refrains. On est donc loin du caractère contestataire du gwo-ka qui résonne à chaque manifestation populaire : « le gwo-ka, c’est d’abord l’expression du peuple, avant d’être une musique de contestation », rappelle Klod. « C’est une arme puissante, mais en tant qu’artiste, on ne va pas passer notre vie à contester ! On a d’autres choses à raconter, et parler de l’organisation de la forêt est une proposition de société, surtout par les temps qui courent. On est dans un pays où il y a des problèmes monstrueux, on propose des choses avec un vocabulaire universel ; si on fonctionne bien avec la nature, la vie est beaucoup plus agréable. »

Le titre Abri Cyclonique est d’ailleurs un rappel que cette nature qui inspire tant Moïse est si puissante et imprévisible que nous n’en sommes « qu’un élément, nous ne sommes pas là pour l’ordonner » ! Sous un air candide, presqu’innocent, l’homme de 69 ans chante sa propre réalité, son lien avec cette forêt qui l’abrite ; entre anecdote sur le vélo (« Camargo »), histoire de cochon (« Okipayason ») et hommage à sa terre (« Zion »), il n’oublie pas son héritage, rappelant ici et là les difficultés post-coloniales (« Ojéliya ») et le douloureux passé de cette île riche en histoire (« Neg Africa »). Fermement ancré dans l’esprit gwo-ka, Abri Cyclonique en fait pousser une ramification nouvelle, confirmant l’appétence de la musique guadeloupéenne à se prêter au jeu du mélange des genres, sans jamais oublier son identité.

L’album Abri Cyclonique est disponible chez Real World Records.

© Paulina Biswell
Chargement
Confirmé
Chargement
Confirmé