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The Pan African Music Magazine
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Fuzzy et heavy, les townships à l’heure du rock

À l’occasion de la parution d’une volumineuse compilation sur la scène rock au Zimbabwe dans les années 1970, petit état des lieux du genre sur le continent à l'époque, et large focus sur le fourmillement créatif de l’Afrique australe.

Rockeurs d’Afrique. C’est ainsi qu’en 1988 la journaliste Hélène Lee avait intitulé son livre consacré aux premiers chantres de la musique africaine en mode globalisé, alors même que le terme world music venait d’être inventé pour faire fructifier ce nouveau business. Et ce, même si Salif Keïta et Alpha Blondy, pour n’en citer que deux auxquels ce livre était consacré, ne jouaient pas à proprement parler du rock. Certes, mais à la même époque, le rock avait déjà largement envahi le continent, que l’on songe au Malien Boubacar Traoré converti dès les années 1960 à la musique d’Eddie Cochran, ou à la vague punk qui conquit l’Afrique australe, au rock’n’roll tendance hippie du Maroc des années 1970, Nass El Ghiwan en tête, comme aux guitares fuzz des Nigerian Funkees, sans oublier le psychédélisme pop mixé au bitume poisseux de l’Afrique tropicale, à l’instar des Thermometers ou des Mebusas. Il y eut aussi l’Ethiopien Alemayehu Eshete, un improbable mix d’Elvis et de James, qui intégrera les arrangements pop les plus osés, au diapason d’une scène époustouflante, qui précéda la chute du Négus, et les doux délires hallucinés du psychédélisme du guitariste égyptien Omar Korshid, grand amateur de Moog.

Un des exemples les plus marquants demeure le zamrock, la bande-son de la Zambie des années 1970 que le bien nommé label californien Now Again mais aussi le label allemand Shadoks, expert en raretés du psyché du monde entier, avaient voici plus de dix ans remis en avant, rééditant des albums de groupes mythiques, Witch et Amanaz, qui attestent l’influence du glam rock et du funk bariolé de Sly Stone sur la côte est-africaine. « Le zamrock est l’autre trésor oublié, abandonné, de la Copperbelt (texto « la ceinture du cuivre »). Durant la seconde moitié des années 1970, alors que la Zambie s’enfonçait dans son isolement, le zamrock rythmait les week-ends des mineurs, venus oublier leur quotidien à coups de bières Castle. Mais la musique qui se jouait aurait pu être produite à Sheffield ou Birmingham » relevait dès décembre 2008 le journaliste Jean-Christophe Servant, sur le blog du Monde Diplomatique. « Durant quelques années, avant que le sida ne ravage une majeure partie de cette génération, des dizaines de groupes issus de ces villes minières se mirent en effet à tropicaliser le british metal et le garage rock afin d’accoucher d’incroyables disques gorgés de solis de fuzz guitars parfois exécutés avec les dents. »

Dr Footswitch au stade de Gwanzura 1972 (de gauche à droite) Manu Kambani, Nicolas Kambani, Anselmo Homo et Earnest « Jacko » Hombasha © Analog Africa

La frontière de la Zambie, le futur Zimbabwe, encore baptisé Rhodésie sous régime d’un strict Apartheid, fut aussi le théâtre d’une pareille effervescence. « Jimi Hendrix est mort, mais Manu est vivant », osa The Rhodesia Herald suite à la performance du groupe Dr Footswitch frappé par le guitariste, Manu Kambani. Originaire de Mbare, ce dernier fut l’une des étoiles de la scène rock zimbabwéenne des années 1970, parvenant même à séduire les blancs dans des performances électrisantes au sein de nombreux combos, aux appellations souvent évocatrices : The Sound Effects, The Springfields et The Great Sounds. De ses débuts en mode pop avec Whitstones, à ses concerts avec des icônes comme Thomas Mapfumo, son parcours l’a mené au-delà des frontières, tout en marquant durablement la scène locale, comme, en attesteront ses funérailles en mars 1995.

Dans son sillon, d’autres formations vont fusionner le rock, la rumba congolaise, le mbaqanga sud-africain, la soul et les rythmes traditionnels locaux, accouchant alors d’un mouvement musical underground qui va façonner l’avenir du son zimbabwéen, tant et si bien que Gallo Record, un des labels phares sud-africains, choisit de s’investir en signant plusieurs groupes : The Great Sounds, MD Rhythm Success, Afrique 73, The Hitch-Hikers, The Impossibles et O.K Success. De son côté, Teal Record Company, une firme basée à Johannesburg, choisit de créer une filiale sur place et charge le batteur Crispen Matema d’en être le directeur artistique. Au volant de sa Peugeot 504, ce dernier va alors pister les talents méconnus, organisant notamment des concours de musique live. En guère plus d’un an, dans le studio monté à Salisbury, il avait enregistré tout un tas des groupes exceptionnels comme The Baked Beans, Blacks Unlimited, The Acid Band, Echoes Ltd, Gypsy Caravan et bien d’autres, qui figurent au programme de la sélection réalisée par Analog Africa. 

Thomas Mapfumo, 1978 © Analog Africa

Parmi ceux-ci, les New Tutenkhamen occupent une place de choix avec trois titres compilés. « Ce groupe est bien connu de toute une génération de Zimbabwéens, ceux qui avaient vingt ans dans les années 1970. Il est d’ailleurs référencé dans le livre Zimbabwe Township Music de Joyce-Jenje Makwenda », résumait Charles Houdart, qui a fondé le label Nyami Nyami Records, spécialisé dans la musique d’Afrique australe. Ce Français, qui a d’ailleurs longtemps résidé à Harare, a ressorti de l’oubli, voici quatre ans, I Wish You Were Mine des New Tutenkhamen. « Il s’agit d’un disque typique de cette scène d’un pays alors en pleine guérilla pour l’indépendance. Des groupes comme Wells Fargo, Green Arrows, avaient souvent des paroles à double sens sur la lutte en cours », insistait-il alors, à propos de ce band de jeunes zimbabwéens flirtant avec le post-psychédélique et la pop, tendance oblique : « on y trouve des musiciens qui ont ensuite eu une belle carrière comme Jethro Sasha, mais le groupe repose sur le chanteur Elisha Josam, qui était un personnage assez sombre, torturé, un peu bad boy, et dont on se souvient avec un peu de fascination et de mystère au Zimbabwe. En fait, on n’en sait pas beaucoup plus sur ce groupe, pas de photos, pas d’infos, pas de survivants… »

En 1976, alors que la guerre de libération faisait rage, le label Teal voyait les promesses d’un futur qui swingue autrement avec Thomas Mapfumo, le futur « lion du Zimbabwe », qui est encore à l’aube d’une grande carrière. C’est lui qui ouvre la présente sélection Roots Rocking Zimbabwe, avec The Acid Band, au travers de « Chiko Chinotinetsa », un inédit typique des mélanges concoctés à cette épique époque, où il cherche déjà à moderniser les chants traditionnels. À la clef, le Chimurenga (en français « combat pour la liberté », un mot qui servira bien plus tard à une revue sud-africaine de référence pour tous les chercheurs mélomanes), un style révolutionnaire, profondément ancré dans la culture Shona, où il est souvent question de lutte pour la libération, pour celui qui bien plus tard sera la bête noire de Robert Mugabe. L’autocrate ira d’ailleurs jusqu’à contraindre Mapfumo à l’exil, le même qui fut au cœur des seventies, emprisonné par la PATU (Police Anti-Terrorist Unit), pour cause d’un succès de Thomas Mapfumo synonyme de fort pouvoir de mobilisation de la foule. Pour avoir beaucoup risqué, nombre d’artistes seront perçus comme des héros nationaux, au moment où le pays va enfin se libérer de ses chaînes. 

The Green Arrows, Salisbury 1977 © Analog Africa

En attendant ce jour prochain, alors que Teal Record Company occupe le terrain avec des sous-labels (Afro Soul, Afro Pop et Shungu), Gallo Record charge le légendaire producteur de sax jive, West Nkosi, de jouer les talent scouts sur place. C’est ainsi qu’il va découvrir The Green Arrows, dirigé par le charismatique Zexie Manatsa, un songwriter qui passera lui aussi par la case prison. Dès Noël 1974, leur single « Chipo Chiroorwa » s’était vendu à plus de 25 000 exemplaires, faisant d’eux le premier groupe rhodésien à décrocher un disque d’or. Et moins d’un an plus tard, une nouvelle session d’enregistrement va accoucher de « Towering Inferno », un titre terrible qui conjugue une rythmique proche du reggae et des cordes saturées de fuzz en hommage à Paul Newman, tandis que l’instrumental « No Delay », une espèce de jam reggae funk des même Green Arrows, est dédié à Steve McQueen.

Rock, Soul, funk reggae, impossible de limiter les bandes-son des townships qui mixent le son de cette sélection, vingt-cinq titres qui témoignent d’une créativité hors-norme dans les quartiers populaires, lors des cinq années qui précèdent le 18 avril 1980, date de l’indépendance du pays. Pour vous en convaincre, écoutez donc « Viva Zimbabwe » du Dagger Rock Band : rythmiques limite heavy rock, guitares funky fuzzy et voix haut perchées qui envoient un message d’indépendance, et des paroles panafricaines. Aussi improbable que imparable.

Roots Rocking Zimbabwe (The Modern Sound Of Harare Townships 1975-1980) (Analog Africa)

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