Nouveau projet de la productrice Loan, Azu Tiwaline trouve ses racines dans le sable du désert tunisien et les transes berbères du Sahara. Près de Tozeur, aux portes du désert, la musicienne a reçu PAM chez elle pour raconter ce lumineux retour aux sources.
Photo de Loten Grey
Après avoir agité la scène Bass Music durant près de vingt ans, Donia – alias Loan –, vient de s’installer dans une petite palmeraie, au cœur du Jérid tunisien : “ habiter dans le désert donne des envies d’espace, et de silence” nous a confié l’artiste en exil. “Azu Tiwaline est né de cette rencontre, de cette mystique, de ce cadre de vie solaire et apaisé, entre influences sahraouies, culture dub et hypnose techno.” Rencontre.
Plus de deux décennies après avoir initié le projet Loan, tu as fait émerger une nouvelle identité, Azu Tiwaline… Comment les alter ego créatif naissent-ils ? De quelles envies ?
D’envies et de besoins parfois très simples en fait. Si tu tapes Loan (NDLR en anglais, loan veut dire “prêt”) dans google, il faut chercher au-delà d’une dizaine de pages avant de trouver ma musique… Mon label en avait marre, ils m’ont dit “change de nom” (rires) ! Je blague. Non, plus sérieusement le projet Loan m’a toujours fait jouer sur des programmations bass music et disons que j’ai eu de plus en plus envie de jouer sur les scènes Chills-out des gros festivals. De pénétrer la scène ambiant et expérimentale. Je sais aussi m’amuser dans ces esthétiques, mais l’identité Loan me ramène toujours vers quelque chose d’assez breaké, urbain, dur, rarement mi-tempo.
Mais le projet Loan existe toujours ?
Oui, j’ai décidé de garder Loan, tout en lançant dans un projet plus calme, plus accessible peut-être aussi. Ce nouveau développement correspondait également à une toute récente installation ici, à proximité de Tozeur, dans le Djérid tunisien, aux côtés de ma mère. J’avais envie de composer de la musique qui pourrait plaire à ma mère. Et à ma famille. Comme tu peux le constater ici, je vis désormais dans un environnement doux, solaire, minéral, hyper clair. Lumineux finalement. Ce sont tous ces éléments, qui combinés, ont donné naissance à Azu Tiwaline.
Nouveau nom, donc nouveau son…
C’est l’idée oui. Je me suis contrainte à mettre de côté tous mes petits plug-ins, tous mes synthés. Toutes mes petites habitudes de composition en fait. J’ai renouvelé ma palette, je suis repartie de zéro. J’ai dû aller chercher une matière différente, un son nouveau. Ce premier album est truffé de field recordings (NDLR enregistrements de terrain). J’ai samplé de vieilles émissions de radios, j’ai laissé traîner mon enregistreur dans les rues de Tozeur, dans le village de Dgueche aussi. J’ai récupéré de l’ambiance dans les souks, en sortie de mosquée. Le désert est très silencieux, à part enregistrer le vent tu n’entends rien d’autre (rires). Pour les rythmiques, j’ai utilisé de vrais sons de percussions, je me suis éloignée des choses synthétiques. J’ai bossé un son plus rond, plus organique. Le lieu de vie dans lequel nous nous trouvons s’appelle El Nour Sahara (“lumière du sahara”). Tout l’album a été composé ici, et, comme tu peux le constater, on n’a pas envie de faire de la musique énervée ici.
Tu as bossé seule sur ce projet, alors qu’on te connaît généralement entourée de guests…
Lorsque tu travailles avec d’autres musiciens, les risques et le succès des compositions est supporté par plusieurs épaules. Cela peut constituer un vrai confort de travail. Dans le même temps, quand tu bosses avec d’autres artistes, qui ont déjà leurs univers propres, il faut se mettre au service de l’autre. Ce qui implique que tu te mettes un peu en retrait. Tu te retires. Le facteur humain va jouer beaucoup jours lors d’une collaboration à plusieurs mains. Les affects se croisent. Les choses peuvent mettre plus de temps également. Draw Me A Silence (dessine moi un silence) est un projet intime, composé rapidement, d’une traite presque. J’avais besoin de le sortir, d’expirer quelque chose à travers cet album. Et c’est un chemin que j’ai arpenté seule. Je me suis engagée moi seule.
De Loan à Azu Tiwaline, que tu développes ici en Tunisie, en passant par ta longue histoire auprès d’I.O.T. Records, on sent que la dimension libre, affranchie, innerve tout ton travail.
Mon travail musical, mais toute ma vie en fait. Chez moi, l’envie de liberté est furieuse ! En berbère, Azu Tiwaline signifie les yeux du vent. J’aime l’idée d’être liée à quelque chose d’insaisissable. D’instinctif aussi. Je suis effectivement affiliée depuis mes débuts à I.O.T. Records***, une maison discographique indépendante et libre, issue de la culture des sounds-systems et de la rave. La scène des Free a d’ailleurs été un jalon essentiel dans ma vie, je suis en exil depuis presque toujours, un pied ici, un pied ailleurs. Je suis issue de la fête libre, la rave a beaucoup influencé ma musique. La route, le voyage, le fait d’évoluer hors-cadre, hors-système, oui ça compte encore beaucoup dans ma vie. Côté musique, c’est pareil. Je n’ai pas été formée de façon classique, je suis une vraie autodidacte, qui a eu la chance d’échapper au formatage qu’on peut administrer en France, au Conservatoire par exemple.
Tu as commencé très jeune il me semble ?
Oui, j’ai surtout commencé directement avec un Atari 520 ST, des boîtes à rythme et un petit synthé ! À ce moment-là j’avais seize ans, et j’ai sorti mon premier vinyle un an plus tard. J’ai toujours préféré le live au Dj-ing. J’aime la dissonance, j’aime évoluer dans des esthétiques brutes et libres. Libres comme ces musiques de transes berbères ou sahraouies qui innervent le projet Azu Tiwaline !
* turbulent label marseillais au line-up pour le moins éclectique : Al’ Tarba, Dookoom, Yugen Blakrok, Del The Funky Homosapien, Uzul, Minimal Orchestra ou Kid Loco…
L’album Draw Me A Silence sortira en deux temps, la première partie paraîtra le 13 mars, le second épisode fin mai. En précommande dès maintenant sur le label I.O.T. Records.
Publié le 22 janvier 2020, mis à jour le 13 février 2020