Redécouvert par certains sur la compilation Par les Damné.e.s de la Terre, l’acteur, réalisateur et slameur qui vit aujourd’hui au Bénin revient sur sa carrière.
Photo Une : Sanvi Alfred Panou & Rocé © Hors-Cadre
Parmi les figures contestataires musicales récemment ressuscitées par Rocé dans la compilation Par les damné.e.s de la Terre, Sanvi Alfred Panou est un ovni. Acteur, réalisateur, pionnier du slam, il est l’auteur du surréaliste « Je suis un sauvage ». Installé au Bénin depuis une dizaine d’années, cet artiste avant-gardiste a accepté de raconter sa carrière singulière à PAM.
Avec sa barbe blanche, le septuagénaire Alfred Panou a un faux air d’un cadet de Melvin Van Peebles, autre « inclassable » des années 70. Alfred Panou répond à nos questions par messages vocaux depuis Agoué, dans le département du Mono, au sud-ouest du Bénin, où il a transporté ses pénates. Selon ses termes, la connexion internet y est parfois « capricieuse » : « Je suis reparti en Afrique pour mener mon combat culturel. » explique t-il. « La culture n’est pas une priorité là-bas. On doit tous s’y mettre, les artistes en premier lieu puisque nous avons l’avantage de nous adresser directement au public. » Alfred Panou, qui a créé en 2000 sa société de production O-lympide, vient d’achever une série de films sur le vaudou : Mémoire d’un peuple vaudou.
En reprenant son titre « Je suis un sauvage » dans sa compilation Par les damné.e.s de la Terre, le rappeur Rocé a eu le mérite de rebraquer le projecteur sur le parcours atypique et exemplaire de l’artiste : « Nous nous sommes rencontrés au cours d’une émission de Radio Fréquence Paris plurielle. J’y ai lu des poèmes sur différentes musiques. J’avais complètement oublié cet épisode. Il y a un ou deux ans, Rocé m’a relancé. Il m’a fait écouter ce qu’on a enregistré à l’époque, dont un morceau intitulé ‘Tu vas crever !’ qui intéresse quelques producteurs. Ça a été repris par Radio grenouille à Marseille… »
Je suis un sauvage
Sur la pochette, savoureuse, Alfred Panou, affalé sur un hamac est porté par deux soldats avec des casques coloniaux. Je suis un sauvage ce disque de 1969, sorti sur le label Saravah, est devenu littéralement culte. Pourtant, tout est parti d’un coup de bluff saoûlographique : « J’ai rencontré Pierre Barouh, ce découvreur pour lequel j’ai un grand respect. Il était d’une largesse d’esprit et d’une ouverture formidable. À l’époque j’avais un spectacle de révolte noire : Blague power, engagé politiquement, au Lucernaire, créé par Christian Le Guillochet, qui à l’époque se trouvait rue d’Odessa, près de la gare Montparnasse. J’alternais avec Pierre qui jouait avec Brigitte Fontaine et Jacques Higelin. Après une représentation on a pris un verre ensemble. Au culot je lui ai dit de me produire ! »
Pierre Barouh lui demandant à voir ses écrits, Alfred Panou est obligé de prendre la plume la nuit même. Il devient ainsi, à son corps défendant, un des premiers slameurs africains de l’histoire : « En un jet de quinze minutes j’ai griffonné avec une spontanéité exceptionnelle : « Je suis un sauvage » et « Le moral nécessaire ». Ce sont les rares textes que je n’ai pas retouchés. »
De l’Art ensemble of Chicago à Pierre Akendengue
Coup de chance, le groupe de free jazz Art Ensemble of Chicago, avec à sa tête le trompettiste Lester Bowie, jouait aussi au Lucernaire à l’époque. Au Vieux colombier ils ont accompagné Brigitte Fontaine. On aurait aimé assister à ce show psychédélique ! Ni une ni deux, Pierre Barouh suggère à Alfred Panou d’enregistrer avec eux : « Leur musique correspondait parfaitement au climat de mes textes. Avec le recul je réalise que c’était une chance de faire ces deux morceaux avec l’Art Ensemble of Chicago. Je ne pouvais pas rêver mieux ! Ce disque n’a malheureusement pas eu un grand succès populaire. Je suis très ému qu’on m’en parle encore cinquante ans plus tard ! »
Alfred Panou apporte aussi à Saravah une autre signature africaine ô combien « considérable », un certain Pierre Claver Akendengue : « Un dimanche après-midi j’étais chez moi. J’entends frapper à ma porte. Pierre Akendengue et son épouse étaient là, une bouteille de champagne à la main. Je le connaissais parce que son morceau « Africa obota » passait beaucoup. Il m’a dit : “Vous ne savez pas pourquoi je suis venu vous voir ? J’ai acheté votre disque Je suis un sauvage. Qui l’a produit ? Je dois lui parler !” La suite est connue : Pierre Barouh, emballé dès la première écoute par sa musique a produit Nandipo de Pierre Akendengue en 1974 : “J’analyse cette ouverture comme un climat diffus de la période.” estime Alfred Panou : “Je suis un soixante-huitard dans l’âme. C’est grâce à Mai 68 que je me suis engagé politiquement… et poétiquement.”
Images d’ailleurs
Durant ces années 60 décidément riches, Alfred Panou décroche un grand prix de comédien au prestigieux Cours Simon. Mais si on l’aperçoit au générique de Week-end de Jean Luc Godard ou de La grande lessive de Jean-Pierre Mocky Panou obtient surtout… des panouilles : “Je pensais entamer une carrière foudroyante. Mais on ne me proposait que des rôles de noirs. Alors que je me présentais comme un acteur. À cette époque les acteurs de couleur étaient rares, à part Sidney Poitier. J’ai été un des premiers noirs en France à jouer des pièces de théâtre, avec le metteur en scène Claude Régy. J’ai aussi tourné avec enthousiasme en 1980 dans Le sang du flamboyant, avec Jacques Perrin, le premier film martiniquais, signé François Migeat.”
En 1990, Alfred Panou suit une formation de réalisateur et monte ses films au cinéma la Clef, dans le quartier latin : “Je me suis aperçu que la salle était opérationnelle. Mais depuis dix ans elle ne s’ouvrait plus au public. J’ai proposé aux responsables de cette salle d’animer ce lieu. À mon grand étonnement, ça a été très simple. Ça a été une expérience palpitante et exaltante. Nos amis noirs américains étaient ravis de savoir qu’en France il y avait une salle dédiée aux cultures noires et à la diversité. On programmait quinze à vingt films différents par semaine en lien, avec une vingtaine de festivals. Ça a fait du bien aux cinéphiles de toutes origines.” En 1998, la page se tourne pour Alfred Panouu, les relations s’étant tendues avec les propriétaires de la salle, le comité d’entreprise de la Caisse d’Épargne.
La plume ressucitée
Alfred Panou nous laisse libre d’interpréter un slam énigmatique aux entournures comme « Le moral nécessaire » : “La poésie c’est la rencontre miraculeuse entre les mots, la musique et la préoccupation de l’instant.” décrypte t-il. “C’est un ‘accident positif’ qui permet d’accoucher d’enfants. Ça fait émerger un récit que je redécouvre après plusieurs mois et même plusieurs années. Des repères liés à mon vécu surgissent de façon imprévisible. C’est ce qui fait le charme de la poésie et du surréalisme.” Et le charme opère de nouveau puisqu’Alfred Panou renoue (enfin) avec le stylo. Localement, au Bénin, où il est retourné depuis dix ans, il a enregistré quelques disques dans sa langue maternelle : le mina. Mais il compte aller plus loin : “Je reprends l’écriture en solidarité avec les peuples à la marge.” assume Alfred Panou. “Nos hommes politiques se sont accaparés ce continent et se partagent le pouvoir depuis vingt ou trente ans, pour certains. Il appartient aux artistes de se rendre utiles face au désastre social qui prévaut.” Le titre du nouvel album à venir d’Alfred Panou est révélateur de l’engagement qui taraude l’artiste : La violence du silence : “J’ai un single ‘Droit de l’homme’ que j’ai enregistré avec un jeune musicien bourré de talent. Début 2019, je compte en faire la promotion. Je veux qu’on sache qu’en Afrique malgré les douleurs et l’isolement nous continuons à nous battre !” Une chose est sûre le blague power d’Alfred Panou est de retour et on en a bien besoin !