On lui doit sans doute d’avoir fait reconnaître à leur juste valeur les beatmakers nigérians. Associé à Wizkid, Burna Boy ou à Drake, samplé par Beyoncé, le producteur nigérian qui fourmille de projets est un éternel insatisfait. Rencontre avec un roi toujours affamé.
Producteur au Nigéria depuis 2005, le palmarès de Sarz parle pour lui-même : chez lui, il travaille avec Wizkid depuis plus de 10 ans, a participé à l’élaboration du son Afro-house de la chanteuse Niniola, et toutes les plus grandes stars actuelles ont collaboré avec lui. À l’international, il a coproduit le hit » One Dance » de Drake, a été samplé par Beyonce et est à l’origine du hit « Energy (Stay Far Away) » de Skepta et Wizkid. Pas de langue de bois, d’hyperboles, ni de fausse modestie : Sarz n’est pas prétentieux, mais connaît sa valeur. Quand il affirme calmement qu’il n’a aucun égal dans son domaine, il ne se vante pas, il constate. Objectivement, difficile de le contredire. Alors qu’il est confiné au Nigéria, PAM a conversé avec celui qui se sent comme, dans le monde de l’afrobeats où il évolue depuis dix ans, un « requin dans une flaque ».
L’irrésistible ascension d’un beatmaker
La saga Sarz commence à Benin City où le virus de la musique l’attrape malgré lui : le jeune homme arrive à mémoriser chaque piste des instrumentaux de ses titres préférés, leur prêtant plus d’attention qu’à la chanson elle-même. En 2005, il a 15 ans et vend sa première production 3000 Nairas (16 euros à l’époque, ndlr). Satisfait, il continue presque par esprit de compétition : « je voulais juste me prouver à moi-même que j’en étais capable ». L’industrie nigériane de l’époque est pourtant loin d’être favorable aux beatmakers, mais Sarz calque sa vision sur celle des grands producteurs américains (Pharrel Williams, Timberland, Dr Dre…). L’artiste se souvient de cette période compliquée sans tristesse particulière : « c’était très dur. La plupart des artistes essayaient d’avoir des instrumentaux gratuits. Sinon, ils allaient voir ailleurs… ce qui t’affamait. Il y a eu des moments où je n’avais rien, pas d’argent, mais je savais ce que je valais. Alors j’ai pris position : si l’on ne me donnait pas ce qui me revenait, je ne produisais rien. Les artistes ont fini par comprendre la valeur que j’avais, et ils ont été obligés de travailler avec moi. Ça a pris du temps, mais ça a marché ». Finalement, presque à la manière d’un sportif, c’est le désir de gagner, d’être le meilleur, qui le pousse à continuer : « j’ai su que j’en ferai ma vie quand j’ai commencé à mettre beaucoup de gens de l’industrie mal à l’aise » explique-t-il calmement. « Les autres producteurs me voyaient comme une menace, et j’ai réalisé que je pouvais être le meilleur si je persévèrais ». Sa manière de travailler l’amène, en 2010, à croiser le chemin d’un certain Wizkid. « J’ai su qu’il était super talentueux la première fois qu’on a collaboré. Mais ça n’a pas abouti parce qu’il n’avait pas les moyens d’accepter mes conditions. Un an plus tard, c’était une superstar et nos chemins se sont recroisés ». De son côté, Sarz produit « See Drama » de Lord of Asaja, quasiment indisponible aujourd’hui, et se retrouve catapulté parmi les cadors de la scène rap d’alors : 9ice, Shank, Jahbless… En 2011, il signe « Kako Bi Chicken » avec Reminisce, l’un des plus gros tubes de rue ouest-africains. L’année suivante, il est récompensé comme « producteur de l’année » lors des Nigeria Entertainment Awards. En 2013, il produit deux morceaux sur l’album Ayo de Wizkid, classique afrobeats absolu. Pas à pas, Sarz se crée une place indispensable dans un genre musical en pleine expansion locale, et les années qui suivent le voient collaborer avec toutes les plus grandes stars de l’afrobeats (Wande Coal, Mr Eazi, Tekno, Burna Boy, 2Baba), et marque l’intro de chacun de ses morcaux par un hautain « really ? », son « tag » de beatmaker.
Sarz Academy
Alors qu’il est au sommet de son art chez lui, la saga Sarz ne s’arrête pas là. Une occasion unique s’offre au producteur quand le canadien Drake l’invite à collaborer sur « One Dance » en featuring avec Wizkid, qui paraît en 2016. Sarz en tire tout son parti, et fait du morceau le hit mondial de l’année. « Ça a changé beaucoup de choses. Ça a ramené une nouvelle fanbase et des nouveaux artistes avec lesquels collaborer ». Deux ans plus tard, le phénomène déclenché par le titre bat son plein : Beyonce fait un album entier de musique afro-urbaine, la jet set mondiale passe son Noël au Ghana et Davido comme Burna Boy enchaînent les tournées occidentales. Peu d’enthousiasme, mais un ton presque revanchard quand Sarz décrit la place de l’afrobeats dans le monde d’aujourd’hui : « il était largement temps. Et j’aime le fait que ce qui se passe avec l’afrobeats au niveau mondial n’est pas dilué : c’est original, c’est africain. Il y a 10 ans, si vous voyagiez à travers le monde, vous ne voudriez pas parler avec un accent nigérian. Maintenant, tout le monde veut s’associer à la culture, à la mode, à la nourriture… Et c’est la musique qui l’a permis ». Lui qui s’évertue à ne pas suivre les modes n’est même pas inquiet du jour où l’audience globale passera à autre chose : « la musique africaine n’a pas nécessairement à être mondiale. Il faut simplement profiter d’aujourd’hui pour développer nos propres industries afin de pouvoir vivre en faisant de la musique africaine en Afrique ». Car il avoue sans aucun complexe que cette envolée mondiale arrive à un moment opportun : il lui serait plus difficile de vivre de sa musique s’il ne pouvait que s’appuyer sur l’industrie nigériane. Il soupire : « c’est fou. Il n’y a pas assez de structures en place, et le Nigérian moyen n’a pas forcément accès à internet. Ça se reflète sur les chiffres : tu vois des artistes remplir des stades entiers et ne faire que 10 millions de vues. Il y a tellement de choses à changer, et on pourrait vivre très confortablement en faisant de la musique en Afrique ». Le sujet lui tient tellement à cœur qu’en 2015, il crée la Sarz Academy, dédiée à la formation de talents bruts et à la promotion du leadership parmi les jeunes producteurs Nigérians. Sarz est plus explicite : « je veux qu’ils apprennent à utiliser leur talent et à gagner de l’argent. Et je suis très impliqué. C’est mon académie, donc c’est moi qui choisis qui y entre ».
L’expérience perpétuelle
Son héritage semble être une chose à laquelle Sarz réfléchit, bien qu’il affirme avoir bâti sa carrière sans calcul réel. On ressent chez lui la volonté de pousser le statut de producteur à un niveau supérieur. En témoigne son nom cité dans chaque morceau qu’il produit, une pratique peu commune chez les beatmakers qui se contentent généralement d’inscrire leur nom dans les crédits. Son projet solo sorti en 2019 en est une autre preuve : un EP uniquement instrumental, qui a pourtant parfaitement réussi à intégrer la nightlife ouest-africaine. Le nom du projet ? « Sarz is not your mate », soit « Sarz n’est pas ton égal » dans le contexte nigérian. « C’est le tout premier projet de ce type. Est-ce que tu sais combien de DJs ont sorti un projet du même genre juste après ? », sourit-il pour la première fois. « Il y a maintenant un marché au Nigéria pour les musiques électroniques grâce à SINYM (Sarz is not your mate)». Sa volonté de se placer sur le même plan que l’interprète s’est aussi traduite par « I LOVE GIRLS WITH TROBUL », un projet qu’il a proposé au chanteur nigérian WurlD, toujours dans l’objectif d’amener l’afrobeats plus loin. « Ça a été très organique. Je lui ai envoyé des instrumentales, et il m’a dit qu’il essaierait quelque chose. Le lendemain, il m’a envoyé « Trobul », et je lui ai tout de suite proposé de faire un projet ». Les huit titres annoncés exploreront, de manière inédite (d’après Sarz), des sonorités plus RnB et pop. « Plus je suis exposé, plus j’ai envie d’expérimenter », s’auto-analyse l’artiste qui adore prendre des risques : « Je suis très avant-gardiste, et je veux voir jusqu’où je peux aller ». Dans la musique, où s’invitent l’EDM, l’Afro-house ou le RnB, il veille tout de même à maintenir l’équilibre entre ses tentatives nouvelles et sa pertinence vis à vis de son public. Mais aucune inquiétude : « j’ai grandi au Nigéria, ça (sa pertinence,ndlr) ne va jamais me quitter », rigole-t-il pour la deuxième fois. Le secret de sa longévité au sommet de l’industrie ? Premièrement, explique-t-il, “Mon essence. C’est la seule chose que j’ai que personne d’autre n’a. Si je ne peux pas être moi-même quand je travaille, quel est l’intérêt ? », demande-t-il sans équivoque. Deuxièmement, sa capacité d’analyse. « Je vois les qualités de chaque artiste, et j’essaie d’en tirer le meilleur selon mes goûts ». Enfin, son insatiabilité musicale. Ce trait de caractère va d’ailleurs plus loin que la création de musique : non content de figurer dans le top des producteurs africains, de former la future génération et de construire des genres nouveaux, il s’est récemment lancé dans la discipline du DJing. Quand sera-t-il satisfait de lui-même ? Il répond en riant de nouveau, mais semble étonnamment confus. « Je ne sais pas… A ce moment-là je me mettrai probablement à la retraite. Mais je serai toujours en train d’expérimenter. Peut-être que je serai DJ, que je me lancerai dans la musique classique, ou acoustique. Mais ce sera quelque chose de nouveau. Je pense que c’est ça qui me définit plus que tout ». Il travaille actuellement sur un EP et un album. A quoi de nouveau peut-on s’attendre ? « On verra bien ». Quatrième rire de l’interview.