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The Pan African Music Magazine
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Felipe Cabrera, face à son miroir


Gagnez vos places pour le concert de Felipe Cabrera le mardi 19 novembre au New Morning, à Paris. Pour participer, envoyez votre nom et prénom à [email protected], en précisant « Felipe Cabrera » en objet.


Chez Felipe Cabrera, la musique, c’est avant tout une histoire de famille : son père, érudit mélomane, était bassiste. Sa mère, émérite danseuse, chantait toute la journée. « Et le soir, il y avait souvent des musiciens qui passaient nous voir. », se souvient le natif (le 15 août 1961) de Cayó llueso, un quartier du centre de La Havane où habitaient Los Zafiros, groupe phare du filin’ qui faisait alors chavirer les foules. Et puis il y avait la rumba et la santeria, cette syncrétique esthétique qui bat la pulsation de tout Cubain, son cœur spirituel. « Dans ma jeunesse, la santeria n’était vraiment pas bien vue. C’était plus en secret. Rien à voir avec le folklore actuel, même si dans les familles c’était encore pratiqué. » Et même s’il ne se déclare pas santero, il connaît la rumba sur le bout de ses longs doigts. Il aura vite un petit Elegua, un autel mystique symbolisé par un morceau de pierre qu’il est allé chercher dans la forêt et que son parrain lui a taillé pour le protéger. Voilà sans doute pourquoi il commence et referme son dernier disque en saluant Elegua, la divinité des chemins dans le panthéon afro-cubain.

D’ailleurs, chez lui, la musique, c’est bien souvent une histoire de croisements en tout genre. Difficile de cerner l’esthétique de ce musicien hors gabarit, qui se joue des frontières stylistiques avec une concertante aisance. Ce pur produit de l’école cubaine, formé aux rigueurs du classique et biberonné de musiques populaires, est entré au conservatoire à huit ans, et en est sorti quinze ans plus tard en qualité de bassoniste. Son destin était alors tout tracé : devenir concertiste pour les symphoniques. Il est même attendu à Prague, pour intégrer le poste convoité de soliste. Oui, mais voilà, il va croiser une autre voie… L’histoire veut qu’en ses vertes années, le surdoué remplace par amitié — au pied levé, mais de haute main — le bassiste de Gonzalo Rubalcaba. Il restera de 1984 à 1999 aux côtés du pianiste phare, devenant l’un des piliers du Grupo Proyecto, qui deviendra plus tard le Cuarteto Cubano. 
 


La musique, chez le Cubain, c’est donc une combinatoire transartistique. Impossible de le placer dans une case prédéfinie. Ce qui peut être un handicap majeur dans un monde cadenassé par des sacro-saintes chapelles s’avère un atout majuscule pour les mélomanes. Dans sa jeunesse, il a fréquenté des chanteurs comme Pablo Milanes et Sylvio Rodriguez, puis musicien confirmé il s’est retrouvé aux côtés de Dizzy Gillespie comme de Charlie Haden, deux grands pairs du jazz, comme il a fricoté avec Tata Guines et Changuito Quintana, deux percussionnistes hors pair, et aussi pratiqué l’expert pianiste Frank Emilio Flynn… Et cet appétit pour les musiques, au pluriel de tous ses suggestifs, n’a fait que grandir lorsqu’il a traversé l’Atlantique pour rejoindre Paris, en 1999, alors qu’il vient d’enregistrer
Made in Animas, son premier album en leader. 


Traversées en tous genres 

Depuis vingt ans, Felipe Cabrera a ainsi multiplié les pistes, d’abord en versions latines : Raul Paz lui offrira son premier boulot, puis ce fut Orlando Poleo, Miguel Anga Diaz et Alfredo Rodriguez, deux musiciens auxquels il sera fidèle jusqu’au bout. Latin jazz, salsa, tango… le Cubain sait tout faire, mais ce qu’il préfère, c’est découvrir d’autres univers. 

La musique chez lui, c’est ainsi une histoire transatlantique, des allers et détours dans cet océan de musiques « noires ». « En arrivant à Paris, j’ai pu jouer avec des Africains, d’autres jazzmen, avec les cultures diverses qui se trouvent en France. Sans ma formation cubaine, je n’aurais pas pu avoir ma facilité d’interaction avec tous ces styles. » On le retrouve aux côtés de musiciens latino, et non des moindres : Eddie Palmieri, Chano Dominguez, Patato Valdes, sans oublier la diva Omara Portuondo dont il intègre l’équipe au début 2000, puis plus tard la Cap-Verdienne aux forts accents brésiliens Mayra Andrade. Dans ce maelström esthétique qui qualifie ce musicien polyglotte, le jazz tient une place de choix. Felipe Cabrera l’avait pratiqué à La Havane, allant même jusqu’à jammer avec Wynton Marsalis et compagnie, mais à Paris, plaque tournante en la matière, le contrebassiste va développer un vaste réseau. De Julien Lourau à Chico Freeman, de Chris Potter à Jacky Terrasson, la liste de ses collaborations en dit long sur sa faculté à constamment se réinventer, être au service d’une musique tout en y apportant ses propres éléments de langage. « Le jazz est une musique très sophistiquée, qui se joue dans les détails. » On ne saurait le contredire… 
 


L’autre continent musical qui tient une place de choix dans toute cette histoire, c’est l’Afrique. Un lien ontologique quand on naît Cubain. « 
Nous venons de là, des tambours bata, et tout ça est peu à peu ressorti après des années de blanchiment. », rappelait-il voici un an, au moment de passer en scène avec les Maravillas du Mali — nouvelle formule — dans un théâtre de La Havane : « Je me souviens dans les années 1980 avoir eu dans ma classe un étudiant malien, Bah Tapo, un ex-Maravillas ! » Et puis plus tard, il découvrira Salif Keita, via des cassettes importées. Mais là encore, c’est à Paris qu’il va vraiment multiplier les expériences. « Je me suis beaucoup imprégné d’Afrique. De musiques malienne, marocaine, nigérienne… Ça nourrit mon spectre ! » Il fut ainsi dès 2002 embarqué dans deux tournées en Afrique avec Africando, « une super expérience » aux côtés notamment du génial Gnonnas Pedro. Depuis vingt ans, il a joué avec Mamani Keita, Ali Wagé, Mama Cissoko, Idrissa Diop, Mah Damba, sans oublier les Gnaouas qui l’ont indubitablement marqué rythmiquement… L’Afrique est d’ailleurs bien présente dans son nouvel album, notamment à travers Lamento, où il rend hommage aux Africains « jetés enchaînés à la mer » par les négriers, ou bien sur La Congo, un thème en deux parties, une chantée, une instrumentale, en double référence à la religion « bantù » à Cuba, et à la conga.


Miroir
, dis-moi qui je suis

Malgré toute cette diversité, la musique, c’est surtout une histoire personnelle chez Felipe Cabrera. Ce que confirme son quatrième album, le bien nommé Mirror. « C’est un disque autobiographique, qui reflète qui je suis, toutes ces années qui ont nourri mes réflexions. Ce miroir, c’est comment je me vois aujourd’hui, quel chemin j’ai pu parcourir, toutes les choses qui ont contribué à construire ma personnalité. » Dans le sillon des trois précédents (Made In Animas, Evidence from El Cayo et enfin Night Poems en 2014), il démontre que non content d’être un sideman ultra-demandé, le contrebassiste est un chef de bande — son trio (Leonardo Montana au piano, Irving Acao au saxophone ténor et Lukmil Perez à la batterie) est constitué de fidèles — et un compositeur à la plume aussi versatile que précise. Il parvient ainsi à concilier les multiples facettes qui façonnent son singulier personnage. Le populaire et le savant, son ADN cubain et son identité ouverte vers l’ailleurs… « Tout ce que j’ai pu apprendre se retrouve à un moment de cet album. À commencer par le fantôme de la musique classique qui m’accompagnera toujours. Si je suis ouvert à toutes les musiques, je le dois notamment à la formation dont j’ai pu bénéficier. » À l’image de cette mélodie qui habite tout ce disque, tel un leitmotiv qui fait écho à l’écriture de Bach, ou plutôt une mise en relief des flux et reflux qui l’ont traversé. « Ce motif mélodique, c’est moi. Mon point de vue sur mon histoire. » 
 

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