Le label Glitterbeat exhume les premiers enregistrements de Stella Chiweshe, diva de la musique zimbabwéenne, inséparable de son instrument fétiche : la mbira.
Stella Chiweshe fait partie de ces icônes cardinales de la culture zimbabwéenne. D’abord parce que son parcours est inédit : elle fut, dès les années 60, l’une des premières femmes à jouer de la mbira, le « piano à pouce » traditionnel qui accompagne les cérémonies des Shonas (l’ethnie majoritaire au Zimbabwe). C’était déjà là une petite révolution en soi, défiant les mâles conservateurs. Mais il fallait affronter en même temps les autorités coloniales, qui faisaient tout pour étouffer les musiques locales, en interdisant par exemple les rassemblements où elles se jouaient. Sans doute les Britanniques (le Zimbabwe s’appelait Rhodésie jusqu’à l’indépendance en 1980) avaient-ils compris le pouvoir de subversion et de résistance que véhiculaient les chants et les instruments qui les accompagnaient. Les débuts de la chanteuse furent donc une bataille. Elle parvint même à enregistrer, et c’était là une première, plusieurs titres en 1974, dont le single « Kasawha » qui devint rapidement disque d’or et la fit connaître dans tout le pays. C’était une invocation aux ancêtres, qui sont les premiers amoureux de la mbira, au point que l’instrument et ses boucles infinies servent à les appeler lors des cérémonies de possession qui servent à guérir les Shonas.
Les singles qu’elle enregistre dans la foulée (1975-78) sont pour certains gardés dans les tiroirs par le label, où sortent en catimini faute de promotion. Comme si le label, malgré ou à cause du succès de la chanteuse, s’était souvenu de la censure frappant ces chants qui rappelaient à tous qu’il y avait eu un Zimbabwe avant les Anglais, fier de lui-même et de sa culture, et qu’il pouvait et même devait y avoir un après. Une philosophie partagée par les héros de la chimurenga, la musique de lutte incarnée par Thomas Mapfumo et Oliver Mtukudzi. Tant pis donc si le label d’État contrôlé par les colons lui met des bâtons dans les roues : la chanteuse, à 33 ans, fonde son propre orchestre « The Earthquake » (le tremblement de terre) et continue sa route.
L’indépendance en 1980, célébrée par Bob Marley dans son fameux Zimbabwe, allait lui donner des ailes. Elle a 34 ans et intègre la Compagnie Nationale de Danse du Zimbabwe où elle joue de la mbira, mais aussi chante et joue la comédie. De quoi lui ouvrir les portes des scènes mondiales : avec son orchestre elle enchaîne les tournées, bâtissant un pont entre les musiques traditionnelles shona et ce qu’ont vient d’appeler la « world music ». En 1988, elle enregistre notamment pour les John Peel (un animateur radio anglais) une session restée dans les annales.
Les marimba, basse électrique et batterie, parfois même des synthés viendront se mêler à la mbira, qui restera toujours — avec la voix — la patronne de ce nouveau son. Disques et concerts se succèdent, des conférences aussi et des réunions militantes pour soutenir les droits des femmes à travers le monde.
Toujours est-il que ses tout premiers enregistrements, jamais publiés en dehors du continent africain, sont pour la première fois disponibles dans le monde entier, soigneusement restaurés. Y figure le titre fondateur « Kasawha », enregistré avec une mbira empruntée (personne ne voulait lui en fabriquer jusque là, au prétexte qu’elle était femme) mais aussi sept autres titres enregistrés entre 1978 et 1983. On peut y entendre le son pur et profond de la mbira, associé parfois à de sobres percussions, et bien sûr la voix de Stella, où résonne toute la spiritualité shona.
Kasahwa, early singles via Glitterbeat Records