À l’occasion du trentième anniversaire de sa mort, découvrez notre hommage à Miles Davis en 100 titres et 5 playlists.
Miles et la France, cela aura été une longue histoire, débutée à Orly où il atterrit en mai 1949, pour aller jouer salle Pleyel et terminée lors de son ultime tournée festivalière de l’été 1991, décédant à Santa Monica le 28 septembre de la même année. Entre-temps, il aura vécu de beaux voire longs moments en France, ce pays où il dira, dans son autobiographie, « s’être pour le première fois senti libre et traité comme un être humain ». Ce n’est pas rien. Et nul n’oubliera l’improvisation libre et mélodique qui hante Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Une borne esthétique est gravée cette nuit du 4 décembre 1957. C’est donc un peu ce lien spécial avec celui qui reçoit des mains du ministre de la culture Jack Lang la Légion d’honneur en juillet 1991 que vient couronner la publication de ce concert resté dans les tiroirs mais qui demeure gravé dans la mémoire de tous ceux qui purent y assister. Ultra-looké, lunettes aviateur et trompette écarlate, Miles était encore sacrément vibrant.
C’était donc le 1er juillet 1991, à la tombée de la nuit, dans les arènes de Vienne qui surplombent le Rhône. Cadre magique, musique pyrotechnique, pour ce qui sera une forme de requiem du trompettiste. Entouré d’une équipe branchée par un jazz plutôt musclé, mais capable de mettre la pédale douce comme sur « Amandla », un thème de Marcus Miller, le puncheur qui n’aimait guère se retourner sur son histoire conclut une décennie qui l’a vu revenir aux affaires, dans un registre clairement plus crossover, une forme de funk métallique, que lors des expérimentations des années 1970. Autrement dit : plus de l’ordre de la performance proto-synthétique que de l’expérience post-psychédélique.
Cela dit, ce Merci Miles! devrait retenir l’attention de tous les adorateurs de ce sourcier de sons qui aura cherché à innover sa vie durant. Pour ceux qui adhérèrent aux disques réalisés avec Marcus Miller, ce live est du pain béni. Les autres, qui délaissèrent le natif de l’Illinois à partir de ce tonitruant come-back des eighties, éprouvant parfois même de la peine à le voir en scène, cet inédit n’est néanmoins pas sans intérêt, ne serait-ce que pour la présence de deux titres de Prince, dont on sait combien le « Prince of Darkness » appréciait le talent. Rien que pour ceux-là, ce disque vaut le coup d’oreille : « Penetration » et « Jailbait », deux compositions originellement pensées pour Madhouse, le génial side project du petit Prince, sont l’occasion de monter d’un cran le potentiomètre funk en mode jam sessions.
Et puis Miles, malgré tout ce que l’on a pu écrire à l’époque, a encore des choses à dire : écouter le solo du thème « Hannibal », et même celui qui suit, toujours trompette bouchée, sur l’insipide « Human Nature », dont la mélodie est juste le prétexte à une longue divagation du trompettiste, surfant sur les crêtes harmoniques. Même sa reprise de « Time after Time » est l’occasion d’un beau solo, qui d’emblée permet d’oublier tout le reste. Le reste, c’est un groupe qui passe les plats en plaçant l’ambiance ou qui alourdit la sauce (on demeure toujours aussi perplexe face à cette rythmique, comme en atteste le final de ce concert, où seule en scène, la musique vire à la séance d’aerobic, spéciale cardio), à défaut de pouvoir se hisser à la hauteur du leader. Seule dénote la présence de Kenny Garrett, altiste et styliste hors pair dont les prises de bec sont inspirées sur les deux thèmes de Prince. Chacune de ses interventions rappellent ce que le jazz, ce nom qui n’avait aucun sens selon Miles, pouvait encore apporter au trompettiste.
Miles Davis, Merci Miles! Live At Vienne (Rhino/Warner).