Les 10 meilleurs projets rap marocain de 2021
PAM vous propose un retour sur les dix projets parus en 2021 (albums, mixtape, EP) qui ont marqué la scène rap marocaine. Assurément l’une des plus dynamiques, et pas seulement en Afrique.
Le rap marocain ne cesse de s’internationaliser et d’impressionner par sa qualité sonore, qui le place à notre sens au niveau des Etats-Unis ou de l’Angleterre, voire en avance sur ces mastodontes, grâce à des producteurs et ingénieurs du son ultra-talentueux, et des artistes novateurs en termes de flows et toplines – il faut dire que le raï avait déjà prouvé que la langue arabe, ici le darija, sonne extrêmement bien sous autotune. Bien que l’industrie musicale soit encore à bâtir, les artistes parviennent à s’autoproduire. Et parmi les innombrables rappeurs et rappeuses qui fleurissent chaque jour, une minorité – la plus influente – a eu l’énergie et/ou le budget nécessaire pour sortir un projet en 2021 – notamment ceux signés en major, comme Issam, ElGrandeToto ou Tagne. Malheureusement, parmi les femmes qui commencent à monter dans le rap, comme Khtek, Ily ou Snowflake, aucune n’a publié de projet… À travers ce top, on réalise que Casablanca est LA ville en pleine effervescence artistique. La majorité des artistes en sont originaires ou y vivent aujourd’hui. D’ailleurs, ils se connaissent, ont l’habitude de se croiser en studio, en soirée ou dans la vie de tous les jours. Et bien que chacun ait son style, la plupart partagent le fait de diffuser la culture du Maroc dans leur musique. Tour d’horizon des 10 projets rap marocain qui ont marqué l’année 2021, inspirent les jeunes générations et font rayonner le royaume à l’international.
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Par Rémi Benchebra
Phoenix
Small X
Small X vole désormais de ses propres ailes. En 2021, il a officialisé sa carrière solo avec son premier EP : Phoenix. « Phoenix symbolise la renaissance, l’énergie de mon âme qui ne veut pas mourir. Je peux descendre, mais je reviens toujours, confie Small X».
Avec ce sept titres, le natif de Safi parle de sa vision artistique sur « Aalami », raconte son parcours et les obstacles qu’il a surmontés sur « Maalish », de ses enfants… Sur le titre « B&M » (Baba & Mama), il raconte le sort réservé aux enfants de couples divorcés : « Il y a des femmes qui traitent les enfants de leur mari comme si c’était les leurs et d’autres qui les délaissent totalement, explique Small X. Il y a des enfants qui vivent dans la rue, sont morts ou sont devenus junkies à cause de ça… C’est un sujet qui me touche, car je l’ai vécu et je l’ai vu. Je l’ai enregistré avec beaucoup d’émotion. » Clairement l’un des rappeurs les plus techniques de sa génération, Small X ne se limite pas au rap. Sa trap envoûtante et aérienne, développée tout au long du projet, se marie avec d’autres influences. Notamment soul/funk sur le titre « Briya », d’ailleurs revisité avec l’excellent live band Aykonz. Grâce à sa voix éraillée, qu’elle soit enrobée d’autotune ou non, chacune de ses interprétations est teintée d’émotion. Après avoir connu plusieurs vies, à 29 ans, Small X en entame une nouvelle. Plus que jamais libre, il continue d’apporter du sens à son art et rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour renaître.
Crystal
ISSAM
Deux semaines avant ses 28 ans, l’artiste signé sur Island Def Jam par l’intermédiaire de Cilvaringz (rappeur affilié au Wu-Tang) a sorti son premier album : Crystal. « Ça représente un univers fantastique qui rappelle des légendes des années 80 comme Prince ou David Bowie. Je veux que ça soit unique et universel. Tout le monde connaît le mot Crystal et sa valeur ».
Travaillant principalement avec les beatmakers Taemintekken, Prince 85 et Adam K, Issam s’isole pour créer des toplines dignes des chanteurs de Raï qui l’ont inspiré : « À plusieurs en studio, il y a pas mal de jugements, ça change ma musique et mes idées. Donc je préfère enregistrer et décider seul. Je pars toujours d’émotions pour créer des mélodies qui peuvent toucher sans qu’on me comprenne. Je peux y passer des heures, à réessayer jusqu’à ce que ça sonne comme je l’imagine. »
Dans l’intimité de son home-studio, localisé dans le quartier de Derb Sultan (Casablanca), Issam mélange raï, pop, rock, musique électronique, et bien évidemment la trap pour créer une musique planante et onirique. Le créateur de la « Trap Beldi » (la « Trap du Bled ») en 2018 a même suscité l’intérêt de l’ingénieur du son de Travis Scott, Jimmy « Cash » Passion, que l’on retrouve au mix de Crystal. Un premier album d’une grande richesse musicale qui confirme que le Maroc est l’une des scènes rap les plus innovantes et ambitieuses au monde.
Traitement
Dollypran
Originaire du quartier El Hank (Casablanca), Dollypran rappe depuis une dizaine d’années. Ghostwriter et topliner de l’ombre, il s’est aiguisé un flow insaisissable et une élocution aussi tranchante qu’une lame de drilleur. Dès 2018 et la publication de ses premiers morceaux sur les plateformes d’écoute, le rappeur casaoui fait preuve d’une grande dextérité au micro, comme en témoigne l’imparable « Khari ».
Son terrain de jeu favori demeure les productions très rythmiques, aux mélodies minimalistes et souvent inquiétantes. L’explosion de la drill ne pouvait que sonner comme une évidence pour lui. C’est donc en explorant cet univers qu’il a réalisé son premier EP, Traitement (2021).
En résulte treize titres ravageurs, pour la plupart co-produits avec Khazzi, beatmaker au sein du label qu’il a fondé, B13 Savage. En featuring, on retrouve quatre noms armés pour la découpe de prod : ElGrandeToto et Small X, ainsi que des artistes de la diaspora marocaine avec le Suisse Di-Meh et le Néerlandais 3robi.
Maintenant que vous avez la liste des ingrédients, vous pouvez prendre votre « Traitement ».
Caméléon
ElGrandeToto
Avec son premier album, Caméléon (2021), ElGrandeToto s’est imposé comme le symbole d’un rap marocain devenu international, tant par la qualité proposée que l’audience touchée. À 25 ans, le rappeur du quartier de Benjdia (Casablanca) a explosé tous les compteurs. Avec « Mghayer », il s’est classé dans le top mondial des charts Spotify (son album cumule aujourd’hui plus de 60 millions d’écoute sur la plateforme). ElGrandeToto a même reçu le prix de l’artiste africain le plus prometteur aux AFRIMA Awards 2021, aux côtés de ses compatriotes Dizzy Dros et Manal, sacrés meilleurs artistes d’Afrique du Nord. Consacrant une scène marocaine en pleine expansion.
« On s’est dit qu’il fallait essayer d’internationaliser le rap marocain en mettant le Maroc en avant, explique ElGrandeToto : sur l’intro, c’est un maître amazigh qui nous a fait l’honneur de poser. On a enregistré son acapella et Draganov [le beatmaker et binome du rappeur, NDLR] a recomposé dessus. On voulait vraiment avoir une identité marocaine dans les flows ou les instrus : on a intégré des trucs rebeus genre du darbouka [percussion arabe, ndlr] dans les compositions. On s’est basés sur le nom de l’album pour développer différents univers musicaux, tout en restant cohérent. »
Accompagné par le génial producteur-rappeur-ingénieur du son Draganov depuis le début de sa carrière musicale, ElGrandeToto offre un projet d’une grande richesse, à la fois imprévisible et intense : De la folie stridente sur « ADHD » au bouleversant et mélodieux « Mghayer » qui rend hommage à sa mère, en passant par le jouissif « Tango » 2.0 et la frénésie mystique de « Halla Halla », le Caméléon change de couleur au fil des tracks. De quoi inspirer encore toute une génération…
Colors
Draganov
Producteur et ingénieur du son influent du Maroc, Draganov est un artiste complet qui rappe, chante et écrit ses textes. Maîtrisant entièrement son processus créatif, il dépasse le cadre du rap en explorant différentes influences (soul, jazz, pop, gnawa…). Après deux EP renversants de justesse et de musicalité (Galess Fdar et BEFORECOLORS), le rappeur originaire d’Oujda installé à Casablanca a publié son premier album en 2021 : Colors.
Sorti en avant-première au cinéma, ce projet s’écoute autant qu’il se regarde : chaque titre est accompagné d’un plan séquence épuré qui en prolonge le sens. Un travail de longue haleine pour cet artiste ultra-sollicité qui fait, une fois de plus, la part belle à la culture marocaine, musicalement et visuellement. Notamment en démarrant avec « Yobadi », une reprise du maâlem (maître) de la musique Gnawa, Hamid El Kasri, invité sur le morceau et le clip.
Minutieux et subtil, Draganov créé des compositions progressives qui fourmillent de détails, tout en étant aérées. Ne répétant jamais la même formule, il captive l’attention en variant les toplines, la cadence de son flow, les samples et les batteries à chaque morceau. Avec Colors, il développe une trap hybride, mélodieuse et onirique sur quinze titres, eux-mêmes entrecoupés d’interludes qui retracent son parcours artistique (entamé en 2010), ou qui donnent la parole à des aveugles évoquant les couleurs qu’ils voient selon leurs émotions. Accompagné par Dollypran, Tagne, Inkonnu et Stormy en featuring, Draganov nous invite dans un voyage haut en couleurs qui témoigne de sa vision artistique à 360°. Un chef d’œuvre.
Maverick
Moro
Originaire du même quartier qu’Issam à Casablanca, Derb Sultan, du haut de ses 40 ans, Moro est un véritable OG du rap marocain (OG = original gangster, désigne une figure authentique et indépendante, connue dans la rue – NDLR). Vivant entre la France, la Suisse et le Maroc, le fondateur du label CB4 Empire a su réunir une grande communauté autour de sa musique, en totale indépendance. Allure classieuse, voix rocailleuse, Moro transpire la rue et de son flow incisif, aborde la vie de quartier, le rapport aux parents, les difficultés de l’immigration clandestine à bord dess « Pateras » (bâteaux de fortune)… des thèmes liés à son expérience personnelle, qu’il dépeint de façon brute et clairvoyante.
Avec son nouvel album, Maverick (terme anglais qui désigne quelqu’un d’indépendant refusant de suivre les règles d’un groupe), Moro continue d’enrichir sa carrière musicale grâce à 19 titres passant de la trap à la drill, au coupé-décalé avec le morceau « CD » ou même la techno avec « RPDA »… Tous sont habillés de samples qui leur donnent une texture souvent inquiétante ou mystique. Se suffisant presque à lui-même, Moro ne signe ici que deux featurings : son compatriote 7liwa et la nouvelle sensation du rap qui explose les compteurs à chaque sortie, l’hispano-marocain Morad. Productif et constant, Moro n’a pas fini d’étendre son empire.
Weld Fatima II
7liwa
Âgé de 25 ans, 7liwa (traduisez « doux » ou « sociable ») s’est fait connaître en 2013 avec des morceaux comme « Batal l3alam » – un freestyle de 10 minutes qui lui a permis de montrer, avec ses textes introspectifs et son regard aiguisé sur le monde qui l’entoure, la valeur de sa plume. Une qualité qui a sûrement convaincu Moro de l’inviter sur son album.
Avec sa nouvelle mixtape, Weld Fatima II, 7liwa donne une suite au premier volume sorti en 2017. Grâce à sa voix medium et quelque peu nasillarde, sa science du placement et l’intensité de ses interprétations, le rappeur casaoui marque les esprits. De la trap envoûtante proposée sur « Macron » aux côtés d’Issam, à la drill menaçante sur « Namasté », en passant par le boom-bap jazzy-latino « Batal l3alam 2 », 7liwa survole chaque prod.
L&M
Loun
Encore une fois, l’un des rappeurs les plus captivants de sa génération provient de Casablanca. D’origine soudanaise, le rappeur Loun publie ses premiers morceaux en 2012. Il n’a eu de cesse d’aiguiser son style pour créer une trap à la fois frénétique et stellaire. Frénétique car la rythmique de la trap couplée à son phrasé millimétré et percutant rend le hochement de tête imparable. Stellaire, car ses variations de notes autotunées et le grain de folie qu’il apporte sur certaines rimes ou adlibs imposent une atmosphère lunaire.
Littéralement « né pour devenir le roi de l’Afrique », comme il l’annonce sur sa bio Instagram, après pas mal de singles remarquables, Loun a sorti le premier projet de sa carrière : L&M (Loun & Music). Sur la cover de ce neuf titres, il s’est mué en réincarnation de Ramsès, arborant le maillot de la sélection marocaine de foot. A ses côtés on retrouve Savage Plug et K-Thug, affiliés au Sudan Mobb – le label et studio qui prolonge le collectif discret fondé par Loun, qui a la recette pour faire parler de lui dans les mois à venir.
Arabi
Inkonnu
Contrairement à ce qu’évoque son nom, Inkonnu est un des rappeurs les plus populaires du royaume. Sûrement l’un des maîtres de cette trap autotunée et mélodieuse qui caractérise la nouvelle vague du rap marocain. Après une aventure en duo avec A6 Gang, qui l’a révélé auprès du public, Inkonnu s’est lancé en solo en 2017.
Cultivant le mystère, Inkonnu préfère laisser parler la musique. L’Alien, comme l’indique le titre de son EP sorti en 2019, a publié son premier album en 2021 : Arabi. Un projet attendu qui s’est hissé à la 7ème place du top mondial Spotify. Bien entouré avec des mixs signés Draganov ou Yan Prod, Inkonnu a invité des artistes talentueux en featuring : Small X ; la nouvelle sensation pop produite par Draganov, Asmae, le rappeur qui remet la culture amazigh à l’honneur, Iguidr, ainsi que la grande chanteuse amazigh Hindi Zahra.
À travers 14 morceaux, Inkonnu propose une trap qui se mêle aux musiques traditionnelles du Maroc à travers l’intégration d’instruments typiques ou bien de samples – comme la boucle du titre « Tifawine » (« lueur d’espoir » en berbère).
Jackpot
Tagne x Stormy
Au milieu des années 2010, Tagne formait le groupe Xacto avec Madd et a participé au Wa Drari Squad formé par Shayfeen. A cette époque, Stormy l’écoutait et Tagne l’inspirait. Les années ont passé, Stormy a pu rencontrer Tagne et feater avec lui sur l’excellent « Fratello », aux côtés de la rappeuse Khtek. Mieux, la connexion a si bien fonctionné, qu’après le succès du premier projet de Tagne (Moroccan Dream), les deux artistes se sont rejoints sur un album commun : Jackpot.
Accompagnés par des poids lourds du rap marocain (Small X, ElGrandeToto, Snor), le duo de circonstance a offert 14 titres caractéristiques des sonorités de cette génération d’artistes: nappes synthétiques et lignes d’instruments occidentaux et arabes (piano, guitare, flûte, kamanja, darbouka, guembri…) se superposent sur des beats, pour la plupart trap, parfois raï (à l’image de « Layli »)… Dessus les rappeurs trouvent leurs meilleurs toplines avant d’écrire leurs textes (un procédé filmé dans le documentaire qui retrace la création du projet, « The Movie »). Résultat, les morceaux sont à la fois entraînants et aériens, comme l’illustre « Omri Ana ».
En se classant parmi les projets les plus streamés du rap marocain, Tagne et Stormy montrent aux jeunes générations que du Moroccan Dream au Jackpot, il n’y a qu’un pas. « Aux États-Unis, il y a l’American dream, explique Tagne. On dit que toute personne qui travaille dur obtient ce qu’elle mérite. Au Maroc on dit que seuls les fils de riches s’en sortent. Tout ça, ce sont des préjugés qu’on imprime dans la tête des gens et qui les bloquent. Je connais plein de gens talentueux dans mon quartier, mais juste le fait de croire en eux pour enregistrer, clipper et réaliser le truc comme ils le voient, ils se disent que ce n’est pas pour eux… J’ai envie que les jeunes se disent que tout est possible. »
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