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Kasai Allstars, la transe pour éveiller les consciences
© Benoît Van Mael

Kasai Allstars, la transe pour éveiller les consciences

Avec l’électronique comme nouvelle alliée, le supergroupe congolais Kasai Allstars revient pour dérider le monde avec sa musique décomplexée. De quoi maintenir le feu du désir, en attendant les transes collectives d’après crise.

Le quatrième album de Kasai Allstars sonne comme un antidote à la crise. On n’en attendait pas moins de cette dream team congolaise qui secoue le continent depuis 2005 dans le sillon de leurs compatriotes Konono n°1, attisant la curiosité d’un public occidental qui n’avait jusqu’alors jamais rien entendu de tel. Presque né par accident, le phénomène a fait couler beaucoup d’encre dans la presse musicale généraliste et indépendante, qui reconnut là (en des termes qui laissent parfois songeurs) une musique « sauvage », « inhabituelle » ou « psychédélique » où la frontière entre art “premier” et avant-gardiste est presque imperceptible. C’est à l’occasion d’une manifestation dans le palais du roi Albert à Bruxelles que le groupe fut arrangé par la force des choses. Dotés d’un budget trop faible pour dépêcher sur place les meilleurs groupes de RDC, les organisateurs n’eurent d’autre choix que de demander aux nominés de fusionner entre eux. Le collectif ainsi formé comptait 15 musiciens issus de 5 orchestres d’ethnies différentes de la province du Kasai. Séduit par ces artistes chacun capables d’apporter un dialecte, des sonorités ou une base rythmique issue de son background personnel, le producteur belge Vincent Kenis donna l’impulsion nécessaire pour que le 15 majeur se lance sérieusement dans l’aventure. Cet habitué du Congo et des fusions afro-électroniques qui travailla pour le TPOK Jazz de Franco, Papa Wemba et Zazou Bikaye mit alors sur pied la série Congotronics comme pour nommer cette musique afro électrique d’un genre nouveau.

Kasai Allstars – The Large Bird, the Woman and the Baby (Khalab Remix)
Pour le plaisir des oreilles…et des jambes

« La musique est l’art de combiner les sons de manière à donner du plaisir à l’oreille », aime rappeler le guitariste Mopero Mupemba. La philosophie sonne comme une évidence, mais le challenge est rude. Pour la première fois, Mopero est l’artisan de cette prouesse technique où le défi était de convoquer l’électronique au sein d’une musique déjà extrêmement riche pour embrasser au mieux le chant des vocalistes Muambuyi, Kabongo, Mi Amor et Tandjolo, aujourd’hui rejoints par la chanteuse Bijou. C’est d’ailleurs par sa générosité, sa densité et sa spontanéité que se distinguait déjà leur premier album In The 7th Moon, The Chief Turned Into a Swimming Fish And Ate The Head Of His Enemy By Magic sorti en 2008. Derrière ce coup de maître et les deux autres qui lui succédèrent –Beware the Fetish et Around Félicité– polyrythmies frénétiques et call and response entêtants prenaient le temps d’envahir l’espace sur des morceaux frôlant parfois les 13 minutes, le temps d’installer une atmosphère de transe pour mieux nourrir les chorégraphies, autre élément central du concept.  

« Le process était cette fois différent », explique Mopero. « Notre enchevêtrement habituel de guitares électriques, de xylophone, de percussions et de nos fameux pianos à pouces amplifiés, a cette fois été complété par une programmation rythmique électronique qui est venue s’intégrer aux autres éléments. » Sur ce nouvel album, les machines viennent donc arrondir les angles du jeu brutal et sans filtre des musiciens. Elles instaurent ici une atmosphère plus pop à l’image de « Kasai Munene », morceau d’introduction candide qui annonce clairement que la météo sera agréable. Si, comme sur le single « Olooh, a War Dance for Peace », la douceur des mélodies prend le pli sur l’agitation, le naturel revient au galop sur d’autres chansons. C’est le cas sur « Unity is Strength » ou « The Large Bird, the Woman and the Baby », où l’on entend ces codes qui ont bâti leur réputation, entre virages rythmiques à 90° et chevauchées hypnotiques qui appellent à l’euphorie. En plus de piocher dans les traditions de leurs ethnies Luba, Songye et Tetela) les musiciens tendent aussi les bras vers l’Europe, l’Inde, les Caraïbes ou les régions avoisinantes d’Afrique, pour y amasser d’autres influences et faire de Black Ants Always Fly Together, One Bangle Makes No Sound un disque moderne où la musique électronique devient la complice discrète des rituels et des traditions.

© Benoît Van Mael
La parabole de la fourmi

En plus d’être un bon prétexte pour se lâcher, l’album est truffé de sages conseils pour appréhender la vie avec pragmatisme et intégrité. La combinaison de proverbes traditionnels qui lui sert de titre tombe en effet à pic dans cette période où l’adage universel « l’union fait la force » a rarement eu autant de sens. « Nous, Kasai Allstars, sommes la preuve vivante de cette idée », soutient Mopero. « Notre collaboration entre musiciens a généré quelque chose d’original, nouveau et fort. » Se réunir pour voir loin et casser les codes, le collectif l’a déjà extrapolé sur l’album et la tournée Tradi-Mods vs Rockers, un projet exemplaire sans frontière qui conviait des artistes comme Animal Collective, Deerhoof ou Shackleton, pour louer cette énergie rock qui caractérise Konono ou le Kasai All Stars.

Devenu invincible par sa popularité mondiale, le Kasai Allstars utilise cette armure pour tenter de secouer les âmes via la musique et les actes, comme le précise le leader : « nous voulions apporter notre contribution à la résolution des conflits qui font rage un peu partout. Ils battent tous les records, par intérêt personnel. Les gens s’entretuent sans pitié. Nous voulons éveiller la conscience des gens en leur faisant comprendre qu’un peuple uni est imbattable. » Les coutumes et proverbes familiers sont donc ici les armes que le groupe brandit pour mener cette guerre pacifique, à l’image de « Olooh, a War Dance for Peace » qui fait référence à une coutume ancestrale pour résoudre les conflits et calmer les hostilités, ou « Musungu Elongo Paints His Face White To Scare Small Children » qui condamne le colonisateur blanc à travers un personnage imaginaire. Aussi spectaculaire que réconfortant, le Kasai Allstars signe assurément la bande-son du déconfinement.

L’album est disponible en digital et physique sur Bandcamp.

Mopero Mupemba in the recording studio by Benoît Van Maele
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