Le duo kinois fait souffler un vent frais dans le paysage musical congolais, combinant à merveille rap, rumba et folklore dans des clips qui s’inspirent des années Zaïre. De quoi enchanter Olivier Mukiandi, qui nous a envoyé cette contribution.
Le 13 février dernier marquait les sept ans de la disparition de King Kester Emeneya, l’une des grandes voix de la musique congolaise qui avait révolutionné la rumba en y incorporant notamment l’utilisation du synthétiseur dans les années 80. À cette occasion, le duo MPR dévoilait un nouveau morceau, « Malembe », qui contient un hommage à cette figure musicale.
Mais qui est MPR ? Ce duo kinois qui petit à petit (ou doucement, traduction française de malembe) s’inscrit dans le sillage du Kwamambu (l’un des multiples noms de King Kester) avec pour ambition de rendre sa grandeur à la musique congolaise. En 1978, Jon Landau, un critique rock américain écrivait à propos d’un illustre inconnu : « J’ai vu le futur du rock’n’roll et son nom est Bruce Springsteen ». Cette déclaration, à propos de celui que l’on ne surnomme pas encore « Le Boss », convient de mon point de vue à MPR. Le jeune duo kinois caché derrière cet acronyme s’affirme de plus en plus, projet après projet, comme en témoigne « Dollars », leur vidéo qui vient de passer la barre du million de vues sur YouTube.
Pourtant, parler d’avenir lorsqu’on évoque MPR parait paradoxal. Car le sigle qui donne son nom au groupe, et qui signifie pour lui « Musique Populaire de la Révolution », évoque inévitablement l’ancien parti unique sous la dictature de l’ancien Maréchal Mobutu (M.P.R. pour le Mouvement Populaire de la Révolution). D’ailleurs, l’ombre de « l’Aigle de Kawele » (l’un des surnoms de Mobutu) plane sur l’imaginaire du groupe comme le prouve l’utilisation régulière du drapeau de l’ex — Zaïre ou encore le vestiaire composé d’abacosts (costume typique de l’ère Mobutu) et de toques en peau de léopard. On peut s’interroger sur le sens de cette référence dans cette époque où la nostalgie de cette époque revient chez certains en force. Mais la petite révolution MPR, c’est-à-dire le duo constitué de Yuma Dash et Zozo Machine est bien actuelle, et redéfinit à sa manière le son kinois. Car il s’agit d’un véritable ovni dans l’univers sonore congolais, qui apporte un vent frais et n’est pas sans rappeler, s’il fallait comparer leur démarche, le groupe de rap français PNL.
MPR est la preuve que cette sixième ou septième génération de la musique congolaise est totalement décomplexée, hybride, qu’elle soit issue de la diaspora ou non. Ses influences sont diverses et variées. Le groupe se distingue en affichant une totale indépendance et s’inscrit dans la lignée de beaucoup de nouveaux artistes comme Gaz Mawete ou Innoss’B qui ne sont pas issus de la tradition des grands orchestres, mais plutôt des radio-crochets. Ensuite, le duo se singularise non seulement par l’utilisation d’un phrasé rap plus proche du flow que du chant, mais aussi par les thématiques qu’il aborde.
Des textes, pas des mabanga (dédicaces)
L’écriture du groupe est aux antipodes de ce qui passe en boucle sur les ondes congolaises, voire étrangères. Les références de MPR sont plutôt à chercher du côté des pionniers de la rumba comme Franco Luambo et son T.P. OK Jazz. Tout comme lui, le duo raconte sous forme de chroniques la vie quotidienne kinoise. Sur « Dollars », il est question du pouvoir de la devise américaine au sein de la société congolaise et de ses conséquences néfastes et perverses. « Lobela Ye Français, » se veut aussi une critique. Celle de l’influence de la langue de Molière dans les échanges quotidiens, alimentant ainsi un certain complexe qui dévalorise notre culture et notre héritage lingalophone. Car cette langue est assez riche pour décrire nos réalités, sans avoir besoin de recourir au français. Le groupe interroge les mœurs sociales et se fait ainsi de manière sous-jacente, le chantre de notre langue et le gardien de notre culture et des us et coutumes qui en découlent.
Quant à « Tika Biso Tovanda », il s’agit d’une chanson dans la longue tradition du rap puisqu’elle relate tout simplement la vie dure au quotidien dans le ghetto. MPR se souvient de la rue, et affirme sa fierté d’appartenir aux couches populaires à la différence de beaucoup d’artistes essayant d’échapper à leur condition sociale. Yuma Dash et Zozo Machine dénoncent aussi les pouvoirs publics, sans pour autant nommer. Il semble que leur leitmotiv, leur crédo soit de divertir les masses tout en les éduquant, quand la plupart de leurs confrères consacrent leur textes aux histoires de cœur dans le but de divertir et de s’éviter les foudres de la censure à géométrie variable qui sévit (comme en témoignent les récentes affaires des artistes Karmapa ou Tshala Muana). D’ailleurs, chez MPR, quand il s’agit d‘évoquer le sujet des femmes et des histoires de cœur, le propos est empreint d’un humour fidèle au ton moqueur qui est la marque de l’esprit kinois, comme en atteste le titre « Semeki ». Quant aux mabangas (dédicaces à des mécènes ou soutiens), éléments indispensables dans la musique congolaise, ils sont inexistants sur les morceaux du groupe. Ainsi, chez eux, vous n’entendrez nulle part des titres à la gloire d’Éric Mandala ou Abed Achour.
Ensuite, sur le plan musical, l’apport de MPR est très intéressant. À l’heure où il est question de la congolisation du rap francophone, le duo cultive l’art du contrepied tout en gardant un ADN musical purement congolais. Les beats ne sont pas influencés que par le célèbre sebene qui a fait le succès et la renommée de la rumba congolaise et, à l’extérieur, de tubes qui s’en sont inspiré comme « Papaoutai » de Stromae ou « Sapés comme jamais » de Gims. Les sonorités sont plutôt à chercher dans les percussions du folklore traditionnel congolais prouvant à la fois la richesse et la diversité de la musique congolaise qui ne se résume pas qu’à sa rumba. Et du côté de la tradition rap, le freestyle « Oyo Eza MPR » démontre s’il en était besoin toute l’aisance des artistes kinois quand il s’agit de rapper dans leur langue. Avant eux, des rappeurs comme Lexxus Legal avaient déjà montré le chemin de ce rap plus mélodique et musical, basé sur les rythmes de chez nous.
MPR en replay sur Télé-Zaïre
Enfin, MPR allie le fond à la forme. Au pays de la SAPE, l’image est très importante et le duo l’a très bien compris. Leur travail est la preuve que le manque de moyens et la créativité ne sont pas incompatibles en adoptant l’état d’esprit de l’article XV (« débrouillez-vous ») et du système D. Les vidéoclips le confirment, « Dollars » tire son inspiration des telenovelas brésiliennes et des théâtres télévisés de la RDC tandis que « Semeki » rend hommage aux émissions de variétés de l’époque Télé Zaïre avec des clins d’œil au Trio Madjesi et à Lita Bembo. Le résultat est propre, léché, original, et montre au passage qu’ils n’ont vraiment rien à envier aux têtes d’affiche de la scène congolaise. Même si les vidéos bénéficient de guest stars comme le comédien Yandi Mosi ou l’animatrice Mamie Ilela, MPR se veut fidèle à l’atmosphère qui règne à Kin en montrant la ville telle qu’on la connaît quand la plupart des artistes privilégient le faste avec des intérieurs cossus ou en studio.
En définitive, si vous n’êtes pas convaincus, l’apparition d’un groupe répondant au nom d’UDPS et qui se réfère au parti historique de l’opposition est une preuve supplémentaire qu’il faudra compter sur MPR à l’avenir.
Vive La Révolution et Vive La Musique !