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The Pan African Music Magazine
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Zaïre 74, quand l'Afrique et l'Amérique noire se retrouvaient à Kinshasa

Pour la première fois, des moments magiques du festival Zaïre 74 sortent de l’oubli et sont réunis sur disque. Franco, Tabu Ley, Makeba, Abeti… font entendre leur voix, captée lors des trois nuits folles annonçant le célèbre combat Ali-Foreman. C’était à Kinshasa, au Zaïre, en 74.

En prélude au « match du siècle » qui devait, à Kinshasa et en mondiovision, opposer Mohamed Ali à George Foreman pour le titre de champion du monde des lourds, devait se tenir « Zaïre 74 ». Un marathon musical réunissant la crème des artistes du Zaïre (aujourd’hui RDC) et les grandes stars venues d’Amérique : James Brown, BB King, Bill Withers et les Spinners, sans oublier l’orchestre Fania All Stars, emmené par Johnny Pacheco et la divine Celia Cruz. Il s’agissait de célébrer les retrouvailles entre l’Afrique et sa diaspora, comme l’avaient déjà fait le Sénégal (Fesman en 66) ou le Ghana (Soul to Soul en 71).

Le combat de boxe tant attendu, initialement prévu le 25 septembre, soit juste après les trois jours de concerts, fut reporté de cinq semaines, suite à une blessure de Foreman. Mais le festival, lui, eut bien lieu. Et Wrasse Records en révèle une part manquante, jamais encore publiée sur disque : celle des artistes africains.

Et pourtant, il y avait du beau linge : Tabu Ley, Abeti Masikini, Franco & l’OK Jazz, Manu Dibango, Miriam Makeba, les Stukas… la plupart d’entre eux figurent sur ce disque de toute beauté, dans une merveilleuse qualité d’enregistrement due aux gros moyens déployés par le producteur Stuart Lewine, secondé par le Sud-Africain Hugh Masekela dans le rôle du directeur artistique de l’événement. L’organisation avait d’ailleurs été un chantier colossal, et quand Foreman annonça sa blessure, il était trop tard pour reculer. Pour le plus grand plaisir des 80.000 spectateurs qui se pressaient chaque soir dans le stade Tata Raphael.

Hugh Masekela & Stewart Levine’ (c) Wrasse Records

Le disque s’ouvre par le concert de Tabu Ley, attaquant avec une ébouriffante introduction et des titres enchaînés qui montrent que sa fusion de rumba, de rock et de soul n’a rien à envier aux superstars américaines. Abeti Masikini lui succède, et n’oublie pas de chanter les louanges de l’homme qui n’est pas encore maréchal, mais déjà le tout-puissant souverain du Zaïre, trônant sur une peau de léopard. Abeti s’adresse ainsi aux invités afro-américains :

« Mes frères de sang , soyez les bienvenus à Kinshasa au Zaïre en Afrique. Après quatre siècles de séparation, tout ce que je peux vous dire c’est : quand vous rentrerez dans le pays des blancs, dites à nos frères qu’ici il y a un homme qui lutte pour la dignité de tous les noirs, et cet homme c’est notre cher Mobutu Kukumbendu Wazambanga ».

Abeti

Le ton était donné. Et il faut dire que Mobutu comptait bien sur le concert – et surtout sur le match qu’il avait financé – pour faire briller son image à l’étranger. À cette époque, le Zaïre était encore bien portant, et vivait certainement ses meilleurs années, loin de se douter  des crises à répétition qui l’attendaient.

Mohamed Ali avec le président Mobutu et le promoteur Don King, Zaire

Franco, quant à lui, démarre en mode diesel, mais enchaîne les morceaux – joués en version très courte – avec toute la puissance de son OK Jazz. Kinsiona (curieusement intitulée Kasai sur le disque Zaîre 74 ) est de toute beauté, chargée de l’émotion qui l’inspira : le décès du frère de Franco, Bavon Marie-Marie. On n’est d’ailleurs pas habitué à entendre les titres de Franco si courts, mais sans doute voulait-il montrer l’étendue et la variété de son répertoire. Cela ne l’empêcha pas de déborder du créneau horaire qu’on lui avait donné, frustrant Manu Dibango qui devait lui succéder sur scène (on l’entend en revanche sur le disque de la Fania All Stars qui reprend des moments de leur concert à Kinshasa). On peut voir un court extrait du concert filmé de Franco dans le fabuleux documentaire Soul Power, sorti en 2008. L’une de ses danseuses, accompagnée par un soliste au tambour, fait un festival et stupéfie tout autant le public que le cameraman auquel elle n’a rien à cacher.

Dans le même film, on peut aussi voir la diva Miriam Makeba, venue de Guinée où elle s’est réfugiée, qui arbore une magnifique coiffure peule ornée de boules d’ambre. Sur les images, elle paraît en transe, les yeux presque révulsés, comme si elle était inyanga, une guérisseuse traditionnelle possédée par les esprits qui l’inspirent, comme sur le titre« Amampondo ». Des quatre titres de son concert retenus pour le disque Zaire 74, il manque la fabuleuse click song et sa formidable introduction, durant laquelle Makeba expose la longueur de son nom traditionnel (kilométrique !) en se moquant des Occidentaux incapables de le le prononcer. À n’en pas douter, elle épousait aussi le concept d’ « authenticité » développé par Mobutu, comme elle l’avait fait pour « l’authenticité » guinéenne chère à Sékou Touré. Elle honore d’ailleurs le président zaïrois d’un hommage chanté en lingala.

Miriam Makeba (c) Soul Power

Quoi qu’on dise de Mobutu, les concerts et le match en point d’orgue font partie des plus grands événements culturels jamais organisés sur le continent. Suivent enfin, sur cette compilation bienvenue, trois morceaux des Stukas, et un dernier d’une troupe traditionnelle Pembe, où résonnent, comme dans une cérémonie, les grelots accrochés aux pieds des danseurs. Sans doute une manière de conclure ce disque par un moment magique….  Car ce furent à n’en pas douter de sacrés concerts !

Jusqu’ici, certains extraits de ces trois folles nuits de musique étaient apparus, à l’écran, dans deux documentaires : d’abord l’indispensable When we were kings de Léon Gast, sorti et oscarisé en 1997, soit trente près de 25 ans après l’événement. Le film, centré sur le combat et Ali (qui, comme toujours, crève l’écran), faisait place à quelques extraits musicaux et l’on y apercevait furtivement les artistes africains, comme Miriam Makeba. La bande originale du film fut publiée dans la foulée, qui comprenait un single contemporain signé des Fugees avec les A Tribe Called Quest et Forte, et des titres des artistes Afro-Américains cités plus haut. Dans ce disque très américano-centré, l’Afrique se résume à quelques pastilles de moins de trente secondes, en réalité des ambiances extraites du film (un chant d’écolières vu dans le film, un court chant d’animation politique tel que le régime mobutiste savait en produire …). La dernière plage, sobrement intitulée « chant », sans mentionner l’interprète, n’est autre qu’un court extrait du concert de Franco Luambo lui-même, avec son OK jazz. Bref, l’Afrique musicale y existe à peine… Et puis bien sur il y a le film Soul Power, déjà cité, où des extraits plus longs des concerts des artistes africains sont diffusés. Notamment ce merveilleux moment où Manu Dibango, en boubou, marche tranquillement dans une rue de Kinshasa avec son sax soprano, entouré par une ribambelle de gamins hilares. On retrouve le son de son sax soprano dans le disque Fania Live in Africa, sur le titre classsique Guantanamera. Voilà pourquoi ce disque, entièrement consacré aux artistes africains qui se produisirent les 22, 23 et 24 septembre 1974, est indispensable. Et puis, comme tous les artistes Zaïrois qui ont joué lors de ces soirées n’y figurent pas, ni même l’intégralité des concerts des poids lourds déjà cités… une question s’impose : a quand le volume 2 ?

Zaire 74: The African Artists, Wrasse Records

Celia Cruz (c) Soul Power
Miriam Makeba (c) Wrasse Records
Miriam Makeba (c) Wrasse Records
James Brown (c) Soul Power
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