Le joueur de djeli ngoni Abdoulaye Koné, alias Kandiafa, fait dialoguer les traditions maliennes avec la country dans un disque surprenant à paraître ce vendredi. À écouter en exclusivité dès maintenant ci-dessous.
Article mis à jour le 10 octobre 2019.
C’est l’histoire d’une rencontre. Celle d’Abdoulaye Koné, virtuose malien du djeli ngoni plus connu sous le sobriquet de Kandiafa, et de Vincent Dorléans, batteur et percussionniste rompu au jazz devenu son complice.
Le premier, héritier d’une lignée de griots (son arrière grand-père n’est autre que le légendaire Djigui, un des trésors nationaux), a pris ses premières leçons de musique en écoutant son père Djeli Makan Koné, et puis bien vite avec son oncle, Mama Sissoko (un ancien du Badema National et compagnon de guitare d’Ali Farka Touré) qui va parfaire son initiation sur les cordes. « Ils me montraient leurs trucs, parfois difficiles à reproduire, parfois plus simples à saisir. Au début, je ne voulais pas aller jouer dans les cérémonies traditionnelles. Je souhaitais avoir un vrai niveau, avant de m’exposer devant un public », insiste Kandiafa qui aura beaucoup travaillé son instrument avant de publier ce premier disque. Pour avoir joué notamment avec Tiken Jah Fakoly et Sidi Touré, le jeune trentenaire reconnaît néanmoins que jusqu’aujourd’hui, la meilleure école dans cette histoire de transmission, une affaire d’écoute et de partage, reste la pratique des cérémonies coutumières et fêtes familiales, les baptêmes comme les mariages.
Le second, Vincent Dorléans, est tombé amoureux du Mali en 2001, le pays Dogon pour commencer, et puis quatre ans plus tard Bamako, « cette capitale qui a gardé le caractère d’un gros village, où les contacts étaient faciles et l’ambiance encore paisible ». Tout en affinant sa perception de la richesse rythmique de la sous-région, il choisit la voie de la production pour en témoigner. Sur le terrain, il va dès lors consacrer des enregistrements à ce pays, un continent de musiques, hors des sillons labourés par tant d’autres : il pose ses micros en mode home-studio pour capter le son de Vieux Kanté, joueur de kamele ngoni décédé depuis, et publie un album du guitariste Mama Sissoko, un ancien du Super Biton de Ségou qu’on a vu aussi accompagner le vénérable Ali Farka Touré.
Toujours est-il que le Français et le Malien vont être présentés en 2013 chez le percussionniste Ibrahima Sarr, « l’artisan de leur amitié » comme ils disent. « Kandiafa a joué sa musique, je l’ai écouté, ça a tout de suite marché entre nous ! », se souvient Vincent Dorléans. Et c’est vrai qu’ils étaient faits pour s’entendre, prêts à s’embarquer dans une aventure qui cinq ans plus tard prend la forme d’un disque aux contours des plus surprenants.
Deux doigts de Django, un cadeau nommé banjo
C’est l’histoire d’un croisement inédit. Mali et country, qui pouvait l’imaginer ? Tel est l’enjeu que s’est fixé Kandiafa, que son tonton Mama Sissoko a coutume d’appeler « Django Reinhardt ». « Je l’ai beaucoup écouté sans savoir quelle tête il avait, d’où il était originaire. Mais le son, par contre, je le connaissais. », se souvient Kandiafa, qui fut séduit par le père du jazz manouche. Au Mali, si beaucoup pratiquent le blues, aucun ne s’était encore vraiment « risqué » dans cette voie. « C’est à la même époque que j’ai découvert la country via des groupes canadiens avec qui j’ai travaillé, lorsque j’étais en tournée à l’étranger. Ils m’ont offert un banjo en 2009, et tout de suite, je me suis trouvé à l’aise sur cet instrument. » Quoi de plus normal : l’ancêtre du banjo n’est autre que le luth ngoni. Dans les doigts du jeune virtuose, cela sonne comme une évidence. Comme un retour à la maison.
À partir de ce jour-là, Kandiafa n’a plus qu’une idée : « adapter la country au ngoni. Il y a des mélodies mandingues qui s’y prêtent vraiment naturellement. » Entre les deux musiques, il y a le même attachement à la tradition, qu’il s’agit désormais de transfigurer. Ses références en la matière : Tony Rice et Béla Fleck, deux esthètes du bluegrass qui ont su affirmer une originalité. « Si je vis à Bamako, je retourne souvent au village, dans la région de Kayes. Ma famille vient de la brousse. Ce sont nos racines qu’il faut entretenir. » Pour connaître sur le bout de ses longs doigts cet héritage musical, Kandiafa n’en a pas moins creusé d’autres fertiles sillons : à commencer par la musique arabe et le flamenco dont on trouve de nombreuses traces, explicites jusque dans le titre de certains morceaux ou, plus souterraines, dans ce premier disque sous son nom.
Au cœur de la nuit à Bamako
C’est une histoire de sentiments partagés. « Très vite, en une nuit, Kandiafa a posé les morceaux de son disque. Nous étions tranquillement installés dans une concession à l’extérieur de Bamako. » Outre un souvenir tenace, Vincent Dorléans gardera de cette session au cœur de la nuit malienne certains bruits, la profondeur du son d’une ville assoupie. « J’ai été impressionné, il avait tous les morceaux en tête : intro, développement, conclusion. Il a juste beaucoup bossé les solos. », reprend le producteur. « J’ai commencé à écrire mon répertoire en 2009. J’ai pris le temps pour que le moment venu, rien ne soit laissé au hasard. Le jour J, j’étais prêt pour enregistrer : toutes mes compositions étaient là, et puis ensuite, on a construit petit à petit les arrangements. C’est une histoire sur le long terme, que je n’aurais pas pu aboutir sans la précieuse présence de Vincent à mes côtés. », poursuit Kandiafa.
S’il n’aura fallu qu’une longue nocturne pour poser les bases de ce recueil, les deux amis vont prendre le temps, plus de deux ans de production, pour ajuster le son, affiner le grain, affirmer une différence. Celle-ci passe par l’instrument de Kandiafa, le djeli ngoni, un luth auquel il a ajouté plusieurs cordes pour tendre vers le jeu de la kora et pour que sa virtuosité s’exprime pleinement. C’est d’ailleurs lui, qui outre les solos, assure tous les accompagnements au ngoni medium. À ses côtés, le producteur convie deux cordes au diapason de cette singulière sensibilité. Un violon (Eva Slongo) et une contrebasse (Fabricio Nicolas) donc, et puis des voix, en chœur ou en solo, pour porter des paroles en accord parfait avec la musique. Le message se veut de paix et de respect des valeurs, de partage et d’amour, d’une entente synonyme d’ouverture vers d’autres mondes. C’est tout l’enjeu de ce Mali Country, dont le titre traduit le désir d’altérité mais aussi l’enracinement dans les racines de ce pays.
Terre de brassages culturels, le Mali y croise grâce à ce trio de cordes subtiles d’autres horizons, les multiples influences qui ont nourri le singulier son Kandiafa depuis tant d’années. Ces chemins parallèles, traçant des perspectives nouvelles tout en demeurant fidèles à une tradition séculaire, se fondent naturellement dans la vision partagée par le musicien malien et son producteur français. « L’idée était de rester Malien, avec ces timbres spécifiques. Nous nous inscrivons dans l’histoire mandingue, mais en la transformant de l’intérieur. D’ailleurs, les griots entendent de nombreuses citations à leur tradition, un vocabulaire précis que Kandiafa détourne tant et si bien, que ça interpelle les anciens. » L’un comme l’autre ne pouvaient rêver meilleur hommage.
Mali Country, sortie en septembre (Alter-K).