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The Pan African Music Magazine
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Zanmari Baré, musique pour le « ker »

Après un splendide premier disque qui l’a révélé, l’une des plus belles voix du maloya accouchait d’un second album, Voun. Publié au printemps, il vient de sortir en vinyle. Rencontre chez lui, à La Réunion.

Quartier du ruisseau, hauts de St Paul, île de La Réunion. Entourée d’une forêt de bambous, la case de Zanmari Baré se pose là, face à l’océan Indien. En cette fin d’après-midi, le spray anti-moustique trône sur la table basse de la terrasse. Depuis le début de l’année, l’ouest et le sud de l’île sont touchés par une épidémie de dengue sans précédent qui n’a pas épargné notre hôte. C’est sa première visite depuis que le moustique tigre l’a anéanti. Pourtant, c’est sans compter son temps que cet échalas au sourire timide et aux mots réfléchis, nous raconte la genèse de son nouvel album : une coulée incandescente d’histoires et d’émotions surgie des entrailles de ce pays de poésie.


L’année dernière, tu as tourné dans l’hexagone aux côtés de
Danyel Waro
, ton « parrain » musical. C’était comment ?

Je ne connaissais pas Danyel en tournée et, comme d’habitude, il m’a bluffé. Monsieur Waro a toujours 20 ans, c’était moi le vieillard ! Il peut faire 5 ou 6 concerts d’affilée dans la semaine et il est toujours frais. Je me suis dit : « merde, à son âge, je ne suis pas sûr d’être comme ça ! » (Rires)


Pendant cette tournée tu as commencé à jouer certains morceaux de Voun. Après le succès de Mayok Flér (2013), ton premier album, comment ont-ils été accueillis ?

Super bien, notamment Monmon Bib. J’étais ravi de toucher le public avec ce titre. Les gens ne s’attendaient pas à voir jouer deux bob (ou bobre, arc musical NDRL) en même temps. Même dans le maloya c’est assez particulier. Mais avec l’un de mes musiciens on a eu envie d’essayer pour que les gens voient la différence de sonorités.

Et puis, après « Mary Salangann », un morceau que j’ai écrit pour ma fille et qui figure sur le premier album, Monmon Bib est dédiée à mon 2e enfant, Frédéric. Je l’ai écrite il y a longtemps, mais il se plaignait que je ne chante que pour sa grande sœur lors des kabars ou des concerts. Elle est là maintenant, la boucle est bouclée !

Quand je mets à écrire c’est toujours par rapport à une personne, je chante pour des gens que j’aime : mon fils, ma femme (« Voun »), ma marraine (« Dézan ») ou mon dalon (« ami ») disparu Dédé Lansor, un grand poète et chanteur de maloya (« Lo vyé Bob »). Mon moteur c’est ça : l’humain. J’écris rarement sur quelque chose d’abstrait. Sauf peut-être le titre « Nout lang » sur le premier album. Mais, en fait, même là je pensais aux poètes de la Réunion, à ceux qui militaient pour la langue créole. Mon objectif c’est que la chanson me donne des sensations. Il faut que chaque mot ait un écho dans ma tête. Chaque parole a son importance.
 


Tout commence d’abord par le texte alors et ensuite vient la musique ?

Pas obligatoirement, la musique peut arriver avant. Dans l’idéal, tout arrive en même temps : les mots et la mélodie. Mais après, de toute façon, il faut retravailler. Il m’est arrivé assez rarement de faire une chanson d’une traite. Souvent, je rectifie un mot parce que je me dis que le public ne va pas comprendre. Je n’aime pas trop utiliser des mots de tous les jours. J’aime bien utiliser des mots anciens, car ça me ramène assez loin dans mes souvenirs. Beaucoup de gens m’ont demandé où j’étais allé chercher le mot « voun » par exemple. Mais les gens qui travaillent dans la forêt, eux, connaissent. C’est l’humus qui envahit la forêt du Maïdo (un des sommets de la Réunion, NDLR), formant une sorte de tapis de 10 à 50 cm. Quand il y a eu le feu là-bas, les pompiers ont eu beaucoup de mal à l’éteindre : quand ils pensaient avoir circonscrit un espace, le feu reprenait 50 m plus loin après avoir filoché sous le sol, conduit par le voun. L’image me plaisait pour parler de l’amour. Dans ma chanson je dis : « toujours l’amour brûle comme un voun » : lorsqu’on croit que la flamme s’éteint, elle reprend de plus belle. Je dis aussi « même sans argent si fantaisie, on s’allongera sur des nattes et on pensera à nos parents, à nos mères et elles veilleront sur nous. » Pour moi l’amour, ce n’est pas seulement ce qui se passe au sein d’un couple, mais aussi tout le réseau autour. Les parents, la famille et les amis consolident cet amour. J’en ai besoin pour tenir.


Sur ce morceau tu es, pour la 1
re fois, accompagné d’un piano solo. Comment la collaboration avec Philippe Janka s’est-elle faite ?

Par hasard ! Comme dit Patrice Treuthardt (poète réunionnais dont Zanmari a mis en chanson le texte Dann fon Titan NDRL) : « Le hasard c’est l’ombre de Dieu ». En fait, au départ, je devais le chanter a cappella avec mes musiciens. Ça ne fonctionnait pas. On tournait en rond. Philipe Janka est le beau frère de Serge Parbatia qui a fait l’enregistrement. Il passait souvent au studio et je le voyais plaquer des notes au piano sur certaines chansons. Alors, un jour, je l’ai appelé pour lui demander de mettre le piano sur Voun. J’ai adoré sa proposition, notamment la manière dont il jouait des silences. On a enregistré le titre chez lui un après-midi. On a fait deux prises, on a pris la 1re ! Sur certains concerts, je sais que des musiciens sont venus juste pour me voir chanter avec un piano. Ils étaient curieux du résultat et ont été agréablement surpris. Ça ne change rien dans le fait que ça soit du maloya. 


Tu ouvres ton album par le titre « 
Deor in Paradi », dans lequel tu fais référence à ce qu’on appelle aujourd’hui « Les enfants de la Creuse ». Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?

Entre le début des années 60 et le milieu des années 80, plus de 2000 mineurs, orphelins ou non, ont été déplacés de La Réunion et envoyés dans des campagnes de métropole frappées par l’exode rural, notamment celles de la Creuse. On faisant miroiter aux parents qui avaient peu de moyens que leurs enfants allaient faire une formation, trouver un travail, avoir une vie meilleure, un avenir tout simplement. Déor, avec un D majuscule, pour nous, c’est la France, c’est le paradis. Au final, pour beaucoup, ça été l’enfer. Sur place, ils étaient au mieux garçons de ferme et, en plus, on a séparé les fratries. Certains ont mis des années pour retrouver leur famille. Beaucoup se sont retrouvés en psychiatrie, d’autres se sont suicidés. Et le pire, c’est qu’on a complètement coupé le cordon : ils n’avaient plus de liens avec leur famille d’origine. Et il a fallu qu’au bout de 30 ans ces enfants se disent « je veux savoir d’où je viens ». Ils ont fait le chemin retour et ça été très douloureux. C’est 30 ans d’un vide abyssal qu’il faut essayer de comprendre, de remplir. En écrivant le texte, j’avais de la colère, ce qui ne m’arrive pas souvent. A un moment je me suis demandé si j’allais pouvoir aller au bout. Et puis je me suis dit : « Merde ! On ne peut pas accepter qu’on déplace des enfants et qu’au bout de 30 ans des politiques banalisent, dénigrent la chose. »


Sur le titre « 
Mwin Gaby« , tu te mets dans la peau d’une femme pour t’emparer d’un autre sujet de société : l’alcoolisme. Comment est née cette chanson ?

J’avais envie de parler de l’alcoolisme des femmes parce que c’est un sujet que l’on traite peu ou avec beaucoup de gêne et de distance. Me mettre dans la peau de Gaby c’était, un peu comme au théâtre je suppose, pour essayer de comprendre la déchéance d’une personne et puis sa lente remontée. Lorsque je travaillais en service d’addictologie, j’avais monté un atelier avec un groupe de femmes et ça m’a permis de comprendre, qu’en général, le mode d’alcoolisation est différent de celui des hommes, plus visible : quand une femme boit, elle fait en sorte qu’on ne la remarque pas. Cela relève de l’intime, du secret. Et si les femmes ont autant de difficultés que les hommes à lutter contre cette maladie, il me semble que la société créole les punit deux fois plus, parce qu’elle est beaucoup plus sévère avec les femmes. 
 


Le titre « I
n Sor » est un hommage non déguisé à Roger Théodorad. Qui est-il et que représente t-il pour toi ?

C’est un batailleur de la langue créole de la première heure ! L’auteur de dessins publiés dans la presse, mais aussi de livres sur l’histoire de La Réunion. Un personnage que l’on voit rarement dans les kabars (réunions festives où l’on chante le maloya, NDLR). Je l’ai découvert lorsque, dans un kabar justement, Danyel a chanté l’un de ses textes. Ensuite, j’ai voulu savoir qui il était et j’ai commencé à étudier la littérature réunionnaise. Un jour, je suis tombé sur « In sor » qui traite de la mort d’un enfant, ce qui est très rare en créole. Et ce qui m’a intéressé dans ce texte c’est sa simplicité. Avec des mots d’enfant, il explique l’inexplicable. A chaque fois que je le relis, je me dis : « comment il a fait ? » J’aurais voulu écrire ce texte, c’est tellement beau. Je me suis mis à le chanter pour moi et puis j’ai décidé de l’appeler. Il est venu à la maison, on a discuté de la langue créole, de l’identité. Il me faisait penser à Dédé Lansor. Je me suis dit : « j’en ai perdu un, j’en retrouve un autre ».


« Bandé Mizisyin »
, le dernier titre de l’album, est dédié à tes musiciens. Pourquoi était-ce important pour toi ?

Le temps file. Je me suis dit : « s’il faut graver pour l’éternité mon passage, il faut absolument dire un truc sur ces musiciens ». J’avais besoin de leur dire que je les trouve exceptionnels. Loran Dalo (qui joue avec Danyel depuis plus 20 ans), Mickael Talpo (grand rouleur qui a grandi dans les servis kabar à St Louis), Stéphane Gaze… tous ont une immense connaissance du maloya. J’ai écrit la chanson sur une tournée et à la fin, je leur ai chanté. Du coup, ils m’ont dit : « ok, on la travaille pour l’album ! »


Tu cites chacun de tes musiciens en faisant précéder leur nom du terme « djeli » (
dyéli
en créole). Pourquoi ?

C’est vraiment, comme dans l’Empire Mandinque, au sens de « serviteur ». Je ne conçois pas qu’un musicien vienne jouer sur un album et s’en aille. Pour moi, un musicien, c’est pour la vie. Même si demain matin il me dit : « j’ai d’autres projets ». Soit ! Mais dans ma tête, c’est pour faire un long chemin. Et l’histoire du chemin dans le maloya c’est important, tous les maloyèr te le diront (« Po mwin maloya« , de Danyel Waro). Ce qui compte ce n’est pas la destination, c’est le chemin. Et ce chemin, on le fait en compagnie de dyéli qui font partie de notre vie.

Voun, Cobalt, 2018. Édition vinyle Silène Records, 2018.

Lire ensuite : Au IOMMA (La Réunion) : 3 filles qui marchent en dehors des sentiers battus par leur père

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