Le meilleur du rap africain en 2021
L’année 2021 du rap africain a été en grande partie marquée par la vague de la drill, ce sous-genre du hip-hop popularisé par l’Américain Pop Smoke et que toutes les scènes du continent ont repris à leur sauce.
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par Renaud Brizard
1er trimestre
ISSAM
« Wra Tabi3a »
ISSAM, le rappeur de Casablanca mélange le chant en darija – l’arabe dialectal marocain –, les sonorités trap et les musiques traditionnelles nord-africaines. Grâce au succès rencontré par son titre « Trap Beldi », il a signé le plus gros contrat du hip-hop arabe avec le label Island Def Jam d’Universal Music France. Au début de l’année 2021, il a dévoilé certains titres de Crystal, son premier album,dont l’envoutant « Wra Tabi3a ». Dans le clip qu’il a lui-même réalisé, les scènes quotidiennes d’un foyer sont figées et rendues angoissantes par des masques terrifiants et des cornes de diable.
Fior 2 Bior (feat. Niska)
« Gnonmi avec lait »
Rien de mieux qu’un bon petit plat pour détendre l’atmosphère lors d’une réunion de famille. Et niveau gastronomie, on peut compter sur les Ivoiriens pour mettre en valeur les spécialités nationales dans leur musique. Depuis 2019, Fior 2 Bior est l’un des rappeurs les plus en vue à Abidjan avec ses expressions fantasques et son mélange de rap et de coupé-décalé. Son morceau « Gnonmi avec lait », sorti le 1er mars et sur lequel il est accompagné du rappeur français Niska, est dédié à une friandise ivoirienne à base de farine de mil, très appréciée pendant la période de rupture du jeûne du ramadan. Un tube instantané où l’énergie des deux artistes fusionne. Et un morceau dans lequel Niska, d’origine congolaise, a fait honneur à la Côte d’Ivoire en faisant rimer le français et le nouchi, le parler urbain ivoirien, ainsi qu’en citant deux des plats emblématiques de la cuisine ivoirienne : le garba (plat de poisson accompagné de semoule de manioc) et l’alloco (bananes plantains frites). Un mois à peine après sa publication, le clip avoisinait les dix millions de vues sur Youtube. C’est le plus gros démarrage de l’histoire du rap ivoire.
Yaw Tog (feat. Stormzy, Kwesi Arthur)
« Sore (Remix) »
On peut l’affirmer sans trop se mouiller : les rois de la drill africaine, ce sont les rappeurs ashantis de la ville de Kumasi au Ghana. Leur style particulier se nomme l’asakaa et ils rappent en utilisant un parler codé (saka) dérivé du twi. Et s’il y a bien un rappeur qui est responsable de l’intérêt grandissant pour la version ashanti de cette musique, c’est bien Yaw Tog. En août dernier, son titre « Sore » est devenu un tube et a mis en lumière tous ses collègues du label Life Living Records (Jay Bahd, City Boy, Reggie, O’Kenneth). Le 4 mars, le jeune artiste publiait le tant attendu remix du morceau avec le rappeur britannique Stormzy et le rappeur ghanéen d’Accra Kwesi Arthur. Un grand moment pour Kumerica (le surnom donné à Kumasi et à la culture locale inspirée par les Afro-Américains) et tous ses représentants. Gageons que ce n’est que le début d’une longue aventure.
Ami Yerewolo
« I bamba »
On poursuit avec un message d’espoir. Après le très remarqué « Je gère » sorti en octobre dernier, Ami Yerewolo, une des pionnières du rap féminin au Mali, nous a présenté en février dernier le clip « I bamba ». Ce titre qui signifie « la persévérance » en bambara est un hymne en faveur de l’accomplissement de soi. La jeune rappeuse engagée a souhaité représenter la lutte perpétuelle visant à s’émanciper des attentes d’autrui. Nous y voyons une jeune élève subissant du harcèlement scolaire, en raison de sa singularité. Telle une prophétesse, la MC délivre son message à cette jeune fille, entourée d’autres femmes bienveillantes. Ami Yerewolo invite les femmes à pratiquer la sororité ainsi que la jeunesse malienne à faire preuve de persévérance.
Folidjanta x Beatpopovelo
« Drill 5 »
Le rappeur togolais Folidjanta nous aura régalés toute l’année avec les clips pleins de style de sa série consacré à la drill. Originaire du quartier populaire d’Adamavo, dans la banlieue nord de Lomé, le rappeur a commencé à faire de la musique en 2020 : « Je me suis mis a la drill suite à la mort du rappeur Pop Smoke. Ce qui me plaît avec cette musique, c’est les percussions et les sons de la boîte à rythme TR-808 sur lesquels l’instrumental se base. En tant qu’Africain, ces percussions m’inspirent beaucoup », précise-t-il. Folidjanta est toujours accompagné du rappeur et beatmaker Beatpopovelo, un ami de longue date. Pour « Drill 5 », les deux artistes ont repris l’instrumental de « Whoopty » du New-Yorkais C.J. Le clip au stylisme original a été tourné a Kagomé, un autre quartier populaire de la banlieue nord de la capitale togolaise où vit Beatpopovelo.
2ème trimestre
K.O
« K:HOVA »
Le rappeur vétéran de Soweto, K.O, a marqué l’histoire du rap sud-africain en 2014 avec son premier album Skhanda Republic, un classique instantané qui a été élu meilleur opus de l’année en 2015 durant les South African Music Awards. Il est l’un des représentants du skhanda rap, un courant musical né dans les années 90 et associé à une danse du même nom. Le skhanda faisait se rencontrer la danse pantsula, apparue dans les townships pendant l’apartheid, et le breakdance venu des États-Unis. Cette danse était liée à un style de vie auquel K.O a rendu hommage dans Skhanda Republic. En mai dernier, le rappeur zoulou de 41 ans a signé avec « K:HOVA » l’un des plus gros tubes du mois en Afrique du Sud. Pour l’occasion, il a collaboré avec le beatmaker Lunatik, l’architecte sonore de son chef-d’œuvre et avec qui il n’avait pas travaillé depuis. Le titre est une référence à J-Hova, le surnom du rappeur américain Jay-Z. Probablement une manière de se placer comme l’un des parrains du rap en Afrique du sud. Côté musique, Lunatik a créé un savant mélange entre les sonorités du kwaito, de l’amapiano et du rap californien à la Kendrick Lamar et Jay Rock. Le superbe clip qui l’illustre dépeint l’ambiance des townships pendant la nuit et on y voit K.O rapper dans la rue entre des séquences de cambriolage raté et de bagarre.
MPR
« ECM »
Le duo kinois MPR, constitué de Yuma Dash et Zozo Machine et originaire du quartier populaire de Matete, porte fièrement les couleurs du rap congolais actuel. À travers le nom de leur groupe qui signifie « Musique populaire pour la révolution », ces deux artistes revendiquent l’héritage culturel du Zaïre de Mobutu. Dans ses textes, MPR alterne entre critique de la société congolaise (« Dollars », « Lobela Ye Français ») et récit de la vie de la rue ( « Tika Biso Tovanda »). « “ECM” est une chanson représentative de notre réalité et de la manière dont nous appréhendons la vie. “ECM” veut dire Éducation Civique et Morale. C’est une façon de dire qu’il y a aussi une morale d’où l’on vient. On prône l’acceptation de soi et le fait de vivre selon notre propre réalité, au lieu de jouer un rôle dans sa propre vie et de vouloir vivre celle des autres », expliquent-ils. Le groupe accorde aussi un grand souci à l’esthétique de ses clips. « Dollars » tirait son inspiration des telenovelas brésiliennes et des théâtres télévisés de la RDC tandis que « Semeki » rendait hommage aux émissions de variétés de l’époque Télé Zaïre. Pour son dernier clip « ECM », le duo a choisi une ambiance plus sobre. Il a été tourné dans l’immeuble ABC, un bâtiment très connu à Matete, parmi la foule des habitants du quartier. La musique qui lorgne vers le cloud rap et les plans tournés au drone rappellent l’univers de PNL avec un feeling 100% fidèle à Kinshasa. « L’idée c’est de montrer aux gens la beauté du ghetto, la beauté des quartiers dits reculés. Nous avons voulu montrer que la misère est un état d’esprit et que la beauté d’une chose dépend de l’angle à laquelle nous regardons cette dernière ».
Straiker
« Poullosophe »
Il ne faut pas forcément faire de la drill pour être dans le futur. Pour s’en convaincre, on part du côté de Conakry en Guinée à la rencontre de Straiker, l’un des rappeurs les plus importants du pays. Originaire de la ville de Pita (dans la région du Fouta Djallon), cet artiste de 22 ans a grandi dans le quartier de Dabompa dans la commune de Matoto à Conakry. À la base il voulait devenir écrivain, mais finalement il a choisi le rap pour exprimer ses idées. Le titre de son dernier morceau « Poullosophe » est un concept qu’il a créé et qui signifie « philosophe peul ». Dans cette chanson rappée en pulaar, en soussou et en français, Straiker parle de ses ambitions, de ses particularités par rapport aux autres rappeurs, de sa vision du game guinéen, mais aussi de la sagesse de la communauté peule et de l’importance de la culture. Pour clôturer le morceau, le jeune artiste a invité le rappeur et beatmaker sénégalais Iso X qui est venu poser un couplet en wolof. L’instrumentale du morceau, sur laquelle on entend des tambours et des sanzas, est très originale et a été composée par Azizfizzle, un beatmaker sénégalais. Straiker explique ainsi son choix : « Je l’ai choisie surtout parce qu’elle est africaine, et qu’elle est authentique. Si les Américains écoutent du rap guinéen, il ne faut pas qu’ils pensent que c’est la même chose que ce qu’ils font déjà ». Idem pour le clip réalisé par Emilex. À travers celui-ci, le rappeur guinéen a voulu valoriser la culture peule. Straiker et les figurants sont vêtus de lépi, le pagne indigo emblématique des Peuls. Le mode de vie peul intimement lié à l’élevage est représenté grâce aux troupeaux. La culture soussou est elle aussi présente grâce aux figurants appartenant à cette ethnie et aux pagnes que les vieux portent vers la fin de la vidéo.
Buruklyn Boyz (feat. Mr Right)
« Piga Lean »
S’il y a bien un crew capable de disputer l’hégémonie des rappeurs ghanéens de Kumasi sur la drill africaine, c’est le groupe kenyan des Buruklyn Boyz. Les quatre membres (Ajay, Mr Right, Mr Brown et Uncle Tom) ont grandi ensemble à Buruburu-Phase 1, un lotissement datant des années 1970 et très connu de Nairobi où vivent principalement des familles de la classe moyenne. Depuis septembre 2020, les Buruklyn Boyz figurent parmi les groupes les plus en vue du pays, leur popularité surpassant même celle des artistes de gengetone (la musique urbaine kényane en vogue ces dernières années). Des expressions tirées de leur chanson « Bille Jean », sortie en septembre 2020, ont été reprises par toute la jeunesse de Nairobi qui apprécie leur façon de manier le sheng (l’argot crypté et dérivé du swahili). Il faut aussi noter que le groupe se distingue en choisissant de rapper sur des productions assez originales, intégrant notamment des guitares et se différenciant du style de Pop Smoke, le rappeur américain responsable de l’explosion de la drill. L’écoute de leurs singles « Nairobi », « Wild », « Woosh Woosh » est indispensable pour tous les amateurs du genre. D’autre part, les Buruklyn Boyz se sont imposés en développant dans leur clips une esthétique visuelle très marquée qui rappelle celle des Crips (célèbre gang de Los Angeles). Le clip de « Piga Lean », la dernière chanson de Mr Right, ne fait pas exception et on y retrouve les fameux bandanas bleus du gang américain. Le titre du morceau désigne une façon de danser la drill, et le refrain donne justement des indications aux danseurs. Mr Right y affirme aussi la suprématie de son groupe sur la scène drill. À quand la connexion entre Kumasi-Nairobi ?
Jay Bahd (feat. Skyface SDW, Reggie, Kwaku DMC, City Boy, Kawabanga & O’Kenneth)
« Y3 Y3 DOM »
À seulement 21 ans, Jay Bahd est l’une des figures de la scène drill de Kumaso. Son dernier single « Y3 Y3 DOM », sur lequel il a invité la plupart des artistes de Life Living Records, le label emblématique de l’asakaa, a été conçu comme un véritable hymne de guerre. Le refrain chanté en chœur, une des particularités du style de Kumasi, signifie « Nous sommes nombreux » en langue littéraire akan. Jay Bahd et ses partenaires le rappent haut et fort : les drillers de Kumerica (surnom de Kumasi) arrivent en bande organisée et sont là pour rester. L’idée du clip était d’explorer les racines historiques et culturelles du royaume ashanti, notamment son passé guerrier et sa résistance face à la colonisation britannique. Un positionnement intéressant et loin d’être anodin quand on sait l’importance de l’Angleterre dans l’évolution et la propagation de la drill. Une manière de se réapproprier cette musique. Le clip a été tourné dans le village de Kunsu et met en scène un prêtre féticheur qui prépare physiquement et spirituellement pour le champ de bataille les rappeurs armés d’épées et de lances. Le titre de l’album de Jay Bahd sorti le 21 juin, Return of Okomfo Anokye, rend justement hommage au célèbre prêtre féticheur connu pour son grand pouvoir et tenu pour responsable de l’expansion du royaume ashanti au XVIIè siècle. Dans la vidéo, les artistes portent des tenues traditionnelles sur lesquelles sont cousus des adinkras (symboles akan) et de petits objets sculptés qui symbolisent l’histoire du peuple ashanti, son mode de vie, sa philosophie et son esprit guerrier. Probablement le clip le plus ambitieux de la drill ghanéenne à ce jour.
3ème trimestre
Black Sherif
« Second Sermon »
Black Sherif aura été l’une des nouvelles sensations ghanéennes de l’année. À seulement 19 ans, il s’est payé le luxe d’être l’artiste le plus streamé du mois d’août au Ghana, en devançant de très loin le score des stars nationales Sarkodie et Shatta Wale. Débutée il y a deux ans, la carrière du jeune rappeur originaire de Konongo, à l‘est de Kumasi, dans la partie ashanti du pays, a décollé en mai dernier grâce au titre « First Sermon » dans lequel il annonçait avec assurance son arrivée dans le game (« Coming like raging storm, fasten up your belt ! »). Mais c’est grâce à la suite publiée en juillet, « Second Sermon », que le nom de Black Sherif s’est retrouvé sur toutes les lèvres cet été. Dans cette chanson, le jeune rappeur raconte dans le détail et avec authenticité sa vie : la vie de la rue, la mauvaise vie, celle des gangsters et du deal de drogue. Le jeune Kwaku Frimpong n’a pas grandi dans la rue, mais il l’a choisie pour vivre et raconter ses histoires, comme le ferait un journaliste gonzo qui s’immerge dans son sujet. Ce qui a ravi le public ghanéen, c’est sa façon originale de rapper-chanter sur une production drill, intégrant ainsi l’héritage du highlife et du dancehall dans ce nouveau style. Le clip de « Second Sermon » voit alterner des séquences tournées dans un quartier populaire de Konongo et celles réalisées dans le quartier chic d’East Legon à Accra, représentant ainsi le désir d’ascension sociale de Black Sherif. La vidéo multiplie habilement les références cachées à plusieurs cultures. Le jeune rappeur au durag est accompagné de douze compagnons, rappelant ainsi le nombre des apôtres de Jésus. Autre exemple, l’un d’entre eux croise deux sabres au-dessus de sa tête, reprenant aussi un adinkra (symbole akan) qui signifie le courage et l’héroïsme. Enfin, il faut noter l’apparition, dans les dernières séquences du clip, des rappeurs Yaw Tog, chef de file de l’asaaka (la drill de Kumasi) et de Kweku Flick, un autre espoir du rap ashanti. En fin d’année, Black Sherif s’est offert un remix de « Second Sermon » avec la superstar nigériane Burna Boy.
Mobbers
« Tumulto »
On continue notre tour d’Afrique avec l’un des meilleurs groupes de rap en Angola : les Mobbers. Le collectif fondé en 2014 et basé entre Luanda et Londres comprend huit membres masculins. C’est en 2018 que le groupe connaît le succès grâce à « Tá Quase », qui mêlait la trap aux sonorités du kuduro, et à « Palpitar » qui lui introduisait le rythme du baile funk dans le genre. En 2020, le collectif passe encore un cap en termes de reconnaissance grâce à l’excellent « L.O.M. » et surtout avec « Nuvens » en featuring avec T-Rex qui est pour certains le meilleur morceau de drill produit en Angola. Avec « Tumulto », les Mobbers viennent un peu plus affirmer leur suprématie. Altifridi ouvre avec un flow très solide, puis LipeSky vient mettre le feu avant que Xuxu Bower ne vienne achever la prod avec un couplet très musclé. Le clip en noir et blanc, c’est toujours efficace, et avec son alternance de plongées et contre-plongées; il rend bien l’impression de puissance qui se dégage du crew angolais.
Dee Koala (feat. K.Keed & Blxckie)
« Spazz »
Dee Koala est une rappeuse de 23 ans qui vit dans le township de Khayelitsha au Cap. Depuis 2018, elle enchaîne les succès d’estime ( « Whuzet », « Friday Freestyle », « 4 The Khaltsha »), ce qui lui a permis de collaborer avec de grands noms tels que la chanteuse Moonchild Sanelly et le rappeur Costa Titch. Pour le morceau « Spazz », elle a invité K.Keed, une autre jeune rappeuse du Cap, à venir se joindre à elle. Cette dernière lui vole d’ailleurs un peu la vedette puisque c’est elle qui rappe le premier couplet et les refrains avec une aisance et une insolence déconcertantes. Jusqu’à présent, K.Keed s’était faite discrète. L’excellent EP Religion sorti en 2020 n’avait touché qu’une petite communauté sur Soundcloud. Gageons qu’avec ce featuring, sa carrière est lancée. Au reste, son talent n’enlève rien à celui de Dee Koala dont le couplet en langue isiXhosa est lui aussi incroyable. Le morceau se termine par un couplet de Blxckie, la nouvelle pépite venue de Durban. Les séquences du clip paru en août, tournées dans la végétation et autour du bassin d’une villa, sont toutes plus magnifiques les unes que les autres.
Yacou B-OG
« Ciwara »
On va encore parler de drill, mais à nouveau dans une version africanisée, ici à la sauce malienne grâce au rappeur Yacou B-OG. Le rappeur âgé de 21 ans et originaire du quartier de Magnambougou à Bamako s’est fait remarquer au pays depuis un an, en partie grâce à une collaboration avec Sidiki Diabaté (« On est comme ça nous »). Parmi ses titres, c’est sûrement « Ciwara », sorti en août, qui est le plus marquant et le plus efficace. Et c’est en grande partie dû au côté novateur de la production signée par Buba Cash, un beatmaker du quartier Attbougou à Bamako. Ce dernier a eu l’idée géniale de collaborer avec des amis instrumentistes qui ont joué la base rythmique avec des sabar, un type de tambour sur pied que l’on retrouve au Sénégal, au Mali et en Gambie. C’est par-dessus cette base que Buba Cash a entièrement composé et structuré le morceau. Il y a ajouté un sample de voix qui vient d’un enregistrement d’une fête Zoulou dont Buba Cash apprécie tout particulièrement la culture musicale. Yacou B-OG fait vraiment honneur à cette production sophistiquée. Son flow en bambara est très impressionnant et son placement sur la prod n’est pas sans rappeler celui du Français Freeze Corleone. Le mot « ciwara » qui donne son titre au morceau désigne un masque-cimier rituel en forme d’antilope-cheval propre à la culture bambara. Le ciwara vient récompenser les plus grands travailleurs, et l’idée générale de cette chanson est que, quoi que l’on entreprenne dans la vie, il faut s’y mettre à fond et travailler dur pour parvenir à la réalisation de ses rêves.
Ish Kevin
« Babahungu T.M.A »
Il n’a pas été aisé de choisir un seul clip parmi ceux que le rappeur rwandais Ish Kevin a publiés cette année. Apparu sur les radars il y a à peine un an et encore assez peu populaire en dehors du Rwanda, Ish Kevin s’est fait une place sur le devant de la scène au printemps dernier en important la drill à Kigali, avec l’excellent « Amakosi». En juin, le morceau collectif de drill « Brocode » sur lequel il apparaît est l’occasion de découvrir d’autres très bons rappeurs rwandais (Og2Tone, Ririmba et Kenny K Shot). Le clip de « Babahungu T.M.A », sorti en septembre dernier, est probablement le plus abouti. On y voit le rappeur rider dans différents quartiers de Kigali et les images sont très belles. Le style du morceau, c’est de la trap, et le flow d’Ish Kevin en kinyarwanda est vraiment impressionnant. C’est définitivement un nouvel artiste à suivre de près.
Ktyb (feat. EMP1RE)
« BAYAN »
Avec le rappeur tunisien Ktyb, on n’a pas vraiment affaire à un nouveau venu. Actif depuis une dizaine d’années, il s’est fait connaître après la révolution de 2011 sous le nom de Katybon. Au milieu des années 2010, il signe avec Vipa, un autre pionnier du rap tunisien, le classique « Tamtati ». Puis le rappeur facétieux disparaît pendant quelques années. Il revient en 2017, sous le nouvel avatar de Ktyb et connaît encore le succès grâce à « About », un morceau rappé en anglais dans le style du rappeur américain J. Cole. Ses expérimentations et son style proche de la comédie peuvent le rapprocher des rappeurs français Grems et Disiz. Depuis, KTYB n’est jamais plus reparti et a été très prolifique ces derniers mois. En août, il a signé l’un des tubes de l’été en Tunisie avec « Fool » en featuring avec 4LFA et Mahdi Machfar. Et quelques jours avant la fin de septembre, il a lâché « Bayan » en featuring avec le très énervé Emp1re. Une fois de plus, ce qui fait la patte de Ktyb, c’est son flow qui oscille entre rap tranchant et parties de chant très groovy. Le clip séduit par ses tons pastel de bleu et d’orange et ses plans tournés sur un toit d’immeuble au moment du coucher de soleil.
4ème trimestre
Moozlie (feat. 25K)
« Asibasabi »
Moozlie est l’une des meilleures rappeuses sud-africaines. La jeune femme de 29 ans, originaire de Benoni, dans la banlieue est de Johannesbourg, a enchaîné les succès tout au long des années 2010 avec des titres comme « Recipe » et « Getting Cash » Son dernier album, Spirit of an OG, sorti en décembre 2020, a été écrit et enregsitré pendant le confinement dû au COVID-19. L’occasion pour elle de revenir aux fondamentaux du rap : tant au niveau de l’écriture inspirée par le « kasi rap » et qui décrit les conditions sociales dans les banlieues noires, que de la musique fortement inspirée par le hip-hop américain des années 90. Preuve en est avec le morceau « Asibasabi » qui repose sur un sample de soul et des sons d’orgues et de cuivres et sur lequel apparaît 25K. Ce rappeur sud-africain a clairement sorti l’un des albums de rap sud-africain de l’année avec Pheli Makaveli. On recommande de visionner le clip du morceau éponyme pour découvrir son univers. Pour celui d’ «Asibasabi », Moozlie a fait le déplacement à Pretoria, dans la banlieue de Atteridge Ville d’où vient 25K. La vidéo a été tournée dans la rue et l’esthétique marquée par une dominance des tons noirs, blancs et rouges indique une inspiration par les clips du hip-hop californien.
Moms Loup (feat. Yacou B-OG)
« Wallaye »
Moms Loup est un jeune rappeur de Bamako. Depuis quelques années, il ambiance le Mali grâce à des titres enjoués comme « Bodji » ou « Nouchiii Boy » dans lequel il rendait hommage au parler à la cutlure de la Côte d’Ivoire. La chanson « Wallaye », extraite de sa mixtape Mise à jour, et en collaboration avec Yacou B-OG,c’est vraiment la rencontre entre deux des artistes les plus en vue que tout le monde attendait au Mali, et l’alchimie est au rendez-vous. Le morceau, comme tous les tubes de Moms Loup, a été produit par Gaspa, l’un des meilleurs beatmakers maliens et spécialiste du style « afrobeat mandingue ». Le clip a été tourné dans les rues de la capitale malienne.
Rwanda All Stars
« Kamwe »
Le réalisateur Julien Bmjizzo et le youtubeur Babalao ont décidé de rassembler onze des artistes rwandais les plus populaires du moment sur un même morceau intitulé « Kamwe ». C’est l’occasion de découvrir les figures qui font les musiques actuelles à Kigali et notamment celles de la kinyatrap, la scène trap rwandaise en plein bouillonnement. Le tout sur une musique amapiano admirablement produite par Li John qui n’a pas lésiné sur les log drums, ces percussions synthétiques inhérentes au genre sud-africain qui n’en finit pas d’envahir le monde et notamment l’Afrique de l’Est. D’ailleurs, la dimension collective fait vraiment partie de l’amapiano et par exemple on l’habitude d’entendre un grand nombre de rappeurs se succéder dans les productions de DJ Maphorisa et Kabza De Small. Parmi les artistes présents sur « Kamwe », les rappeurs rwandais qu’il faut absolument suivre sont Bushali (3e), B Threy (6e), Bull Dogg (8e), Papa Cyangwe (10e) et Khalfan (11e). Le clip brille quant à lui par le soin apporté au stylisme et aux chorégraphies. Une belle porte d’entrée vers la musique rwandaise.
Abyusif (feat. Perrie)
« Mamlaka »
L’Égypte est le royaume de la trap avec des artistes comme Wegz, Marwan Moussa et Marwan Pablo qui l’ont portée à des hauteurs jamais atteintes ailleurs. Mais le roi, le parrain, le chef de file de ce mouvement, c’est le rappeur Abyusif. Il a une grande influence sur toute la jeune génération et notamment sur ses protégés du collectif El-Mexic qu’il a créé et dans lequel on retrouve Abo El Anwar, Lil Baba et Desso. En octobre dernier, il a sorti le tube « Mamlaka ». Pour l’occasion, il a invité Perrie, une musicienne marocaine-égyptienne qui vient d’intégrer le crew El-Mexic. Perrie s’est faite découvrir en 2020 grâce à « Shigella » et a écrit, produit, mixé et masterisé les 4 titres de l’EP 12:01 A.M. qu’elle a sorti en 2021. Le clip de « Mamlaka » est une merveille de créativité, probablement l’une des meilleures réalisations de l’année.
Zou Dollar Shamping Lebou
« N.L.M. »
On termine l’année avec Zou Dollar Shamping Lebou qui est l’un des meilleurs rappeurs sénégalais de sa génération. L’artiste de 21 ans a grandi et vit à Bargny, sur la côte sud de la presqu’île du Cap-Vert, à une trentaine de kilomètres de Dakar. On l’a découvert ces derniers mois grâce aux clips de « Da Fess » et « Touss Nak » qui mettaient en avant sa ville natale et la culture des Lébous, une communauté de pêcheurs au Sénégal à laquelle il appartient tout comme le rappeur Paco Briz. La vidéo du morceau « N.L.M », un extrait de sa première mixtape, rend à nouveau hommage à son peuple à travers de multiples références symboliques. La première séquence montre Zou Dollar en pleine scène de pêche. Il porte la salopette cirée verte emblématique de ces travailleurs de la mer. Dans la deuxième séquence, une femme réalise pour lui un rituel pour que les esprits protecteurs des Lébous (les esprits khamb) veillent sur lui. Dans la dernière séquence, on voit le rappeur au milieu d’un champ en feu, vêtu de rouge et de noir, les couleurs que portent les Diarafs, les chefs de l’ethnie lébou. La vidéo a été tournée à Bargny et a été réalisée par Kainri Pictures.
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