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The Pan African Music Magazine
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Rap 2022 : un tour d'Afrique en 25 titres
Illustration © Kabeaushé

Rap 2022 : un tour d'Afrique en 25 titres

Du Rwanda au Togo, en passant par la Côte d'Ivoire, le Kenya et le Sénégal, PAM vous propose une sélection de 25 titres qui ont secoué la planète rap africaine au cours de l'année 2022.

Il n’y a pas un seul rap africain, il y en a des centaines. Il y a autant de scènes rap que de pays et de parlers sur le continent. Partout en Afrique, des rappeurs et des beatmakers reprennent les codes et les dernières tendances du rap américain, les mélangent avec les sonorités des musiques et des langues locales, les enrichissent de références culturelles propres à un lieu ou à une communauté, et créent ainsi quelque chose de personnel et d’inédit, tant au niveau de la musique en soi que des clips.

Mon travail pour rendre compte de ce bouillonnement consiste à faire une veille objective de l’actualité de ces scènes mais aussi à me laisser toucher émotionnellement par la qualité d’une production, l’efficacité d’un refrain, l’agressivité d’un flow, la force d’un message, ou la richesse d’un univers esthétique. Dans cette sélection non exhaustive et forcément subjective par nature, on trouve les rappeurs et rappeuses installés qui ont indéniablement fait l’actualité dans leur pays et en dehors de leurs frontières en 2022 comme l’Ivoirien Didi B, la Zambienne Sampa the Great, ou le duo congolais MPR, ainsi que les tubes qui ont affolé les compteurs de streams que ce soit en Algérie ou au Sénégal. J’y mentionne des artistes en pleine ascension comme les Ghanéens Black Sherif et Jay Bahd et également des artistes plus confidentiels à l’international mais qui sont des légendes locales comme Erigga au Nigéria.

L’objectif est aussi de mettre en avant des artistes sur lesquels je parie pour briller en 2023 comme la pépite sud-africaine Buzzi Lee. Ce top me permet enfin de mettre en avant des artistes venus de pays dont on parle trop peu comme les Togolais Lauraa et Ghettovi ou les Rwandais Ish Kevin et Ariel Wayz, qui sont les représentants respectifs de scènes incroyablement créatives.

Dope Saint Jude – « Home »

Catherine Saint Jude Pretorius alias Dope Saint Jude est originaire de Cape Town. Après avoir étudié les sciences politiques et fondé en 2011 le premier collectif drag-king d’Afrique du Sud, cette militante féministe a étudié la production sonore et sorti son premier projet solo Reimagine en 2016. Son deuxième EP, Resilient, sorti en 2018 et enregistré à Londres, avait été l’occasion pour elle d’aborder des thèmes comme l’égalité sociale, raciale et sexuelle. « Home » est le premier single de Higher Self, un EP introspectif écrit en pleine pandémie à Londres. C’est une chanson en forme de déclaration d’amour, à mi-chemin entre rap et r&b, et qui porte sur « la recherche d’un lieu de réconfort dans l’étreinte d’un(e) amant(e) ». Le clip questionne le corps de la femme -en l’occurrence de deux femmes- dans le monde de l’image, et célèbre le couple que la rappeuse forme avec sa femme Roxanne. La couleur rouge qui évoque la passion est très présente, et le stylisme de la vidéo s’inspire en partie de l’esthétique BDSM. 

Small X – « Price »

Le rappeur marocain Small X s’est fait connaître au sein du duo Shayfeen. En 2021, il a pris son envol en solo en sortant l’album Phoenix. Cette année, il a marqué le mois de janvier avec la sortie de « Price », un titre avec un côté old school et coproduit par les beatmakers marocains Yo Asel et MW. «Dans cette chanson, je dis que le prix d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. Je parle de mon évolution, des situations que j’ai vécues, de ma philosophie, de comment je réfléchis, nous a-t-il confié. Je dis aussi que je ne suis pas simplement un rappeur, je suis un artiste hip-hop ». Pour le clip en noir et blanc de « Price », Small X a travaillé avec son ami, le réalisateur Idlane, qui avait déjà œuvré sur la vidéo de « XXL » en 2021. On y voit des jeunes, avec des cordes de pendu autour du cou, monter dans un camion sur lequel on retrouve le logo de l’artiste qui figurait sur la pochette de Phoenix. « Ça représente le stress, la pression que ressentent les jeunes en Afrique face au futur. Je viens avec un camion et c’est comme un espace artistique que j’apporte. J’emmène les gens dans mon univers, et je leur enlève les cordes dans le camion. L’art, la musique, c’est le seul espace où les gens peuvent être libres. Avec les acteurs qui sont dans le clip, j’ai voulu donner une image des jeunes Marocains d’aujourd’hui. Il y a plein de gens stylés au Maroc ». 

Black Hoodie Club – « TGV » (prod. Johnsix et Kiev Beats)

On part maintenant en direction de Tunis à la rencontre d’un nouveau crew qui fait beaucoup parler de lui depuis 2021. Le Black Hoodie Club rassemble notamment les rappeurs 4lfa, Ta9chira, Brotherhood, Ktyb, Stou, la rappeuse Koast et le producteur Johnsix. « On partage les mêmes principes et objectifs, la même direction artistique, nous explique Brotherhood, rappeur de 24 ans, originaire de la ville de Kasserine. Mais ce qui nous rassemble dépasse largement la musique. Dans notre quotidien, on passe beaucoup de temps ensemble, et c’est de ça que vient notre inspiration ». Ce collectif a sorti en 2021 un premier album intitulé Rise of a Gang, avec un beau succès à la clé, et se démarque grâce à une esthétique alternative et arty, à l’image du clip de la chanson « Requin » (une référence à la fameuse basket devenue emblème de la street culture). Le morceau « TGV » est un titre de drill expérimentale sur lequel on retrouve 4lfa, Brotherhood et Ta9chira. « On a appelé ce morceau comme ça parce que nous estimons que nous sommes loin artistiquement par rapport à ce qu’on voit sur le marché, précise Brotherhood. Cette chanson, c’est pas mal d’égotrip et de sarcasme. C’est un morceau très chaud. Par exemple, je pense que Ta9chira fait partie de l’élite du rap tunisien. On peut le considérer comme un écrivain, pas seulement comme un rappeur, il a son propre vocabulaire ». Si vous ne connaissez pas encore le rap tunisien, le Black Hoodie Club, c’est la meilleure porte d’entrée pour le découvrir. 

Buzzi Lee – « Pheli Via Church »

Buzzi Lee est une jeune artiste sud-africaine qui surprend à chacune de ses apparitions depuis deux années. Cette véritable pépite a le potentiel pour devenir une rappeuse de tout premier plan en Afrique du Sud en 2023. Elle rappe en SePitori, la lingua franca parlée par les habitants de Pretoria et qui mêle le pedi, le tswona et le tsoti saal. Nous l’avons découverte pour la première fois grâce à « Mugwanti », un morceau étonnant au croisement de la trap et de l’amapiano des producteurs MustBeDubz & Champuru Makhenzo, sur lequel elle brillait grâce à un couplet débordant d’énergie. Nouvelle claque en février 2022 avec la chanson « Pheli Via Church », cette fois-ci entre kwaito et trap, dans laquelle la rappeuse rend hommage à Atteridgeville dont elle est originaire. Cette ville située dans la banlieue ouest de Pretoria dans la province du Gauteng a vu naître DJ Mujava ainsi que de nombreux rappeurs, comme 25K et Fresh Ty avec lesquels elle a respectivement collaboré cette année ( « Pheli », « Watchu Sayin? »). Buzzi Lee a eu le mérite de se faire remarquer en participant des collaborations taille XXL rassemblant ce qui se fait de mieux actuellement sur la scène rap sud-africaine : le remix du morceau « Rhulumente » du rappeur de Cape Town GREEK et celui de « Never Ride » du producteur MashBeatz. Buzzi Lee va exploser en 2023, on prend les paris ? 

MC Artisan feat Didine Canon 16 – « Glock » (Prod. Croww & Exyth)

La scène rap algérienne est l’une des plus bouillonnantes du continent. Le titre de drill intitulé « Glock » qui réunit les rappeurs Mc Artisan et Didine Canon 16 a battu tous les records en 2022. Le clip du morceau, sorti début à la fin du mois de février, a depuis dépassé les 123 millions de vues. Pas étonnant quand on connaît la popularité de ces deux artistes en Algérie.  Mc Artisan est un rappeur âgé de 33 ans et originaire de Souk-Ahras, dans l’est du pays. Il s’est hissé tout en haut du game depuis 2015 grâce à « I.D.G.A.F. », « Fairytale » ou plus récemment avec « Redlights ». De son côté, Didine Canon 16 est un rappeur et acteur très connu, lui aussi depuis le milieu des années 2010, grâce en partie à la dimension politique et sociale de ses textes. Ce qui fait aussi le succès de cette rencontre au sommet, c’est le refrain imparable de « Glock ». On vous prévient, vous allez l’avoir dans la tête pour un moment ! 

Louckim – « Street Dance »

Louckim est un jeune rappeur qui excelle dans la drill gasy, c’est-à-dire la drill en langue malagasy, la langue nationale malgache. Son flow très agressif et son esthétique visuelle impeccable nous avait déjà tapé dans l’œil en 2021 grâce au clip de « La Tess ». Après une série de morceaux solides (« Tazomy », « Zôrô » ou « Grr Pa »), Louckim enfonce le clou avec l’excellent « Street Dance », un nouveau morceau de drill basé sur un sample de « Bam Bam » de Sister Nancy. Le clip frais et inventif a été tourné dans la ville d’Antsirabe, une ville des Hautes Terres de Madagascar, dans le centre de l’île. 

Magui feat Lala Také, Gun Mor & Wizaby – « Classroom 03 »

Le deuxième trimestre de l’année 2022 du rap sénégalais a évidemment été marqué par la sortie du clip « Califat » du roi Dip Doundou Guiss, mais de notre côté, nous avons choisi de mettre en avant une jeune rappeuse, prometteuse et engagée. Magui est une artiste de 25 ans, originaire de la commune de Yeumbeul, dans la banlieue dakaroise. En 2021, elle a publié une série de morceaux dont le titre « Guiss Mbaax » signifie « menstrues » en wolof, à travers laquelle elle a choisi de transmettre le ressenti émotionnel d’une femme en période de régles. Une façon aussi de sensibiliser autour de ce sujet considéré comme tabou et impur dans la société sénégalaise. Dans cette série, l’artiste a aussi évoqué la thématique du viol, les conflits entre les générations et les obstacles que les jeunes femmes rencontrent pour réussir. Sa nouvelle série « Classroom » est un retour aux sources puisque Magui a découvert le rap en 2016 avec ses camarades de classe qui faisaient des freestyles aux heures de pause. Chaque clip, tourné dans une salle de classe, est l’occasion d’inviter des représentants de la nouvelle génération hip hop sénégalaise et d’aborder à nouveau des questions sociétales. Le troisième épisode de cette série, sorti en mai dernier, intitulé « Porta potty », fait référence à un scandale récent lié à la prostitution à Dubaï et dénonce la façon dont certains hommes profitent de leur pouvoir pour abuser des femmes. Pour l’occasion, Magui a invité Gun Mor et Wizaby, deux vainqueurs du Flow UP, l’un des plus plus grands tremplins du hip hop sénégalais dont elle a été finaliste en 2021. 

SilversTone Barz feat Buruklyn Boyz – « Doing it Major »

On le répète souvent ici, la scène drill de Nairobi est l’une des plus excitantes. Elle est emmenée par le groupe Buruklyn Boyz qui a sorti son tant attendu premier album East Mpaka London le 20 mai. Un projet dont l’un des temps forts est le morceau « Last Air Bender » avec la rappeuse SilversTone Barz et le rappeur Big Yasa, autrement dit la crème de la crème de la nouvelle scène hip hop kényane. Quelques jours auparavant, SilversTone Barz avait publié « Doin It Major », un autre featuring avec les Buruklyn Boyz. Et là aussi, on a affaire à un banger. Les couplets en anglais de la rappeuse et ceux en sheng, l’argot de Nairobi dérivé du swahili, d’Ajay et Mr. Right s’enchaînent et déferlent à toute vitesse dans nos oreilles. Dans le clip, les scènes aquatiques illustrent la phrase de SilversTone Barz à propos de la puissance de son flow (« heavy ocean flow, you know it’s wavy »).

Black Sherif – « Kwaku The Traveller »

Depuis la sortie de son « First Sermon » et de son « Second Sermon » en 2021, le rappeur ghanéen originaire de Konongo, à l‘est de Kumasi, dans la partie ashanti du pays, a connu une ascension fulgurante et enchaîne les collaborations internationales. En février 2022, un remix de « Second Sermon » avec le Nigérian Burna Boy a été  dévoilé, ainsi qu’un featuring avec la rappeuse nigériane Darkoo (« Always »). Le talent de celui que l’on surnomme « Blacko » au Ghana et au Nigéria attire aussi les artistes au-delà des frontières continent, comme le Britannique ArrDee venu enregistrer avec lui à Lagos un remix de son tube « Come & Go ». Mais le jeune Ghanéen âgé de seulement 20 ans n’oublie pas d’enrichir sa discographie en solo. À la fin du mois de mars, il a publié la chanson « Kwaku The Traveller », dans laquelle il revient sur son parcours, son succès, mais aussi les erreurs qu’il a pu commettre (« Of course, I fucked up. Who never fuck up? Hands in the air, no hands? »), le tout en anglais et en langue twi. Le clip qui illustre ce nouveau morceau est sorti en mai et a été réalisé par le Ghanéen David Nicole-Sey, déjà à l’œuvre sur « I Like It » et « Fancy » de la chanteuse Amaarae. Les différentes séquences (conférence de presse, rituel avec des femmes, poursuite avec la police) regorgent de symboles et peuvent susciter de nombreuses interprétations.

Ish Kevin feat YCee – « Clout »

La scène rwandaise a tout particulièrement retenu notre attention cette année. Ish Kevin est le roi de la drill à Kigali et il est aujourd’hui reconnu comme l’un des meilleurs rappeurs du continent. Le titre « Clout » en featuring avec YCee, la star nigériane de l’afrobeats, est extrait de son excellent projet Trappish II. Dans cette chanson, les deux artistes dénoncent ce que la quête de célébrité, exacerbée par les réseaux sociaux, fait faire à la jeunesse. Dès les premières séquences, on retrouve les codes habituels du clip hip hop, avec les plans de groupe devant ou à l‘intérieur d’une voiture, ou encore les images de motocross. On peut reconnaître de nombreux rappeurs du crew Loud Sound comme Kenny K Shot, Logan Joe, OG2Tone et Trizzie Ninety Six, tous des artistes rwandais à découvrir absolument. Il se dégage une grande puissance de ces scènes réalisées dans les quartiers de Kimironko et Gikondo Rebero à Kigali. Pour les séquences avec YCee, tournées à Nyamata dans le sud-est du pays, Ish Kevin a voulu mettre en avant la culture de son pays. On y voit le chanteur entouré des emblématiques danseurs-guerriers intore, reconnaissables à leurs lances et à leurs parures de têtes qui ressemblent à des crinières. YCee porte des vêtements de la marque Moshions, une maison de haute-couture rwandaise créée par le designer Moses Turahirwa, et qui est très souvent citée dans les textes des rappeurs locaux. On peut apercevoir sur le pull de YCee deux figures qui mettent en valeur l’amasunzu, l’art capillaire rwandais. 

Dimoh Hady – « Tchoula »

On part maintenant du côté de Conakry en Guinée à la rencontre du rappeur Dimoh Hady, membre du trio Gnamakalah. Ce groupe actuellement en pause a été formé en 2013 à Sangaredi, dans le nord-est du pays, et a littéralement régné sur le rap guinéen ces dernières années. À 27 ans, Dimoh Hady lance aujourd’hui sa carrière solo avec le titre « Tchoula », un morceau de drill composé par lui-même et par le beatmaker Joker, dans lequel on peut entendre des samples de balafon et de tambour. « Tchoula est une expression en pulaar qui désigne la colonie de fourmis noires qui protège les grandes forêts africaines, et qui est connue pour sa ruse et sa technique d’attaque, précise le rappeur. J’y ai fait allusion pour exprimer mon savoir-faire dans ce milieu et la détermination de tous mes fans à vouloir donner des leçons à tous ceux qui voudront s’en prendre à moi ». Pour la petite anecdote, les scènes de foule du clip qui ont été tournées de nuit ont bloqué la circulation des voitures dans la zone du centre émetteur de Kipé à Conakry. Ensuite, il faut savoir que la couleur bleue que l’on retrouve tout le long du clip, notamment dans les tenues de Dimoh Hady, est un hommage à la confrérie que le rappeur vient d’intégrer. Les danseurs que l’on peut voir dans la vidéo appartiennent à la compagnie Pokémon Gnakry. Le rappeur guinéen finit l’année en force avec un morceau de drill très puissant : « We Banna ».

Khtek – « Zero Limite »

Khtek s’est imposée ces dernières années comme l’une des principales figures du rap marocain. Originaire de la ville de Khémisset, la rappeuse a commencé à écrire ses premiers textes en 2016. Ses collaborations en 2020 avec les rappeurs les plus respectés du pays (« Hors-Série » avec ElGrandeToto, Don Bigg et Draganov ou « Fratello » avec Tagne et Stormy) l’ont propulsée sur le devant de la scène. Chacune de ses nouvelles sorties est un événement au Maroc, tant par le succès rencontré que par les thématiques souvent engagées des textes de l’artiste. Le 27 mai, elle apparaît dans le morceau « Salina » publié par ElGrandeToto et qui rassemble pas moins de 12 rappeurs, une sorte de « Bande organisée » à la marocaine d’une durée de presque 9 minutes, une belle porte d’entrée pour découvrir les artistes marocains qui comptent. Dans son dernier clip « Zero Limite », sorti à la fin du mois de juin, Khtek encourage les femmes à rêver et à aller au-delà de leurs propres limites, peu importe leurs conditions sociales ou physiques. Les plans et le cadrage mettent en valeur la dignité et la force des femmes qui apparaissent dans la vidéo. Les figurantes que l’on peut voir sont bien connues du public marocain puisqu’il s’agit d’influenceuses populaires,  comme Alwa7cha qui promeut le sport et la santé mentale, Sabah Benchouikh qui met en valeur la vie quotidienne des campagnes du pays ou encore la joueuse de tennis sur fauteuil Najwa Awane.

Sam Djul – « Mode Sennin »

Attention, autre phénomène mais cette fois-ci du côté de Bamako avec Sam Djul, 23 ans, originaire du quartier de Bagadadji et résidant aujourd’hui à Baco-Djicoroni. Dire de lui qu’il est un rappeur prolifique est un euphémisme. Il a sorti pas moins de 15 clips depuis le début de sa carrière en janvier 2021. Il peut assurer une telle cadence car il est épaulé par le beatmaker Cheick Trap Beat qui produit la plupart de ses morceaux. L’annonce de son premier concert au Palais de la culture de Bamako lui a valu un message de soutien d’Iba One, le boss du rap malien. L’une des dernières chansons de Sam Djul, « Mode Sennin », est extraite de son E.P. Hokage et fait référence au dessin animé japonais Naruto. Dans les paroles en bambara, la langue la plus parlée au Mali, le rappeur raconte tout simplement la vie des quartiers populaires. Le clip a été tourné à Siby, un village tout près de Bamako, et on y voit Sam Djul porter la tenue blanche des Maures, une tenue qui lui a été offerte lors d’un concert dans le désert, à Nioro-du-Sahel. Les danseuses qui apparaissent dans le clip dansent le sabar, très populaire au Sénégal. 

Sampa the Great feat Chef 187, Tio Nason & Mwanjé – « Never Forget »

La rappeuse zambienne Sampa the Great est l’une des artistes les plus intéressantes que l’on ait pu découvrir ces dernières années et le clip de sa chanson « Never Forget » est probablement le plus sophistiqué de cette sélection. Ce véritable chef-d’œuvre visuel alterne entre des plans travaillés comme des peintures et des images d’archives rendant hommage aux figures du zamrock, cette musique zambienne née dans les années 1970 et mélangeant les musiques traditionnelles et le rock psychédélique. Dans cette chanson, la rappeuse encourage les Africains à être fiers de ce qu’ils ont apporté au monde et affirme que les âmes, elles, ne peuvent l’oublier. Elle est accompagnée des artistes zambiens Chef 187 et Tio Mason ainsi que par la chanteuse Mwanjé qui n’est autre que sa sœur. La chanson « Never Forget » a été utilisée dans la bande-annonce du film Black Panther : Wakanda Forever. Il a été le premier extrait de As Above, As Below, son troisième album studio, sorti en septembre dernier et sur lequel on retrouve les rappeurs américains Denzel Curry et Joey Badass, le rappeur anglais Kojey Radical, et la reine béninoise Angélique Kidjo.

Bilou XIV feat Zo flame – « Fatal ma fofou »

L’influence du mbalax, les sonorités et la cadence du wolof ainsi que l’utilisation depuis longtemps d’instruments traditionnels dans les prods font du hip hop sénégalais un hip hop à part. Ces dernières années, le rappeur Samba Peuzzi a poussé loin le degré d’expérimentation à partir de ces particularités ( « Lou Yaka Yawa », « Tama » ou « Ndongo »). Le rappeur Bilou XIV est allé encore plus loin avec le novateur « Fatal ma fofou », l’un des tubes rap de l’année à Dakar (avec « Dozéko » de One Lyrical, Leyna et Bass Thioung). L’instrumentale qu’il a produit lui-même est constituée uniquement de tambours et d’éléments percussifs. Un procédé qu’il avait déjà utilisé pour son premier single « Touch du Bois ». La seule mélodie perceptible provient d’un tama, un tambour d’aisselle à tension variable que l’on entend très souvent dans le rap galsen. Zo Flame, qui a été convié pour cette chanson, s’est fait connaître il y a un an grâce à « SNK #3 ». On ne saurait que trop vous conseiller d’écouter son « Wreew » sorti en juillet comme « Fatal ma fofou ».

Dre-A feat Tripa Gninnin – « Skinny »

Dre-A est une jeune rappeuse qui fait la fierté de la ville de Bouaké et que l’on a remarquée depuis un peu plus d’un an grâce à une belle série de singles ( « Comportement même », « Focus », « On peut faire ça » en collaboration avec Apocahuero). Celle qui partage encore sa vie entre ses études et la musique est en train de se faire une place dans le cœur des Ivoiriens grâce à la fraîcheur de son ton et son habileté à manier les mots avec humour. En attendant la sortie prochaine de son tout premier projet, Dre-A a publié en juillet « Skinny » avec le rappeur le plus cool de Babi, à savoir Tripa Gninnin. L’année aura été belle pour le jeune artiste qui a capitalisé sur la sortie de son projet Bomboclaat à la toute fin de 2021 pour encore gravir des échelons. À la direction artistique du clip, on retrouve comme d’habitude le talentueux Young Nouchi qui a plongé Dre-A et Tripa dans un univers rose très pop qui colle bien au ton léger du morceau. 

Ariel Wayz, Sagamba, Soldier Kid, Bruce The 1st & Kivumbi King – « Demo »

La jeune artiste rwandaise Ariel Wayz sait tout faire, et elle l’a démontré cette année. Elle chante merveilleusement bien sur des sons qui mêlent afrobeats, afropop et rnb comme « Good Luck » et « You Should Know ». Dans le même style, le titre « Bad » n’a absolument rien à envier aux productions nigérianes et constitue la bande-son parfaite pour rouler la nuit sur les collines illuminées de Kigali. Mais c’est aussi une excellente rappeuse, la preuve avec le morceau « Demo », sur lequel elle a invité quatre rappeurs de la nouvelle génération. Parmi eux, il y a Kivumbi King qui fait le dernier couplet. On le reconnaît aisément grâce à son élégante coiffure traditionnelle, l’asunzu. C’est le prince de Kigali. Il peut rivaliser avec WizKid grâce à sa voix suave et son sens de la mélodie ( « Nakumena Amaso »), et rapper sur de la trap ( « Ntacyo Nzaba »). Bruce The 1st, quant à lui, est l’un des premiers rappeurs à s’être illustré dans le registre de la drill en 2020 au Rwanda avec « Tugende » (en featuring avec Ish Kevin). Ce morceau collaboratif nous permet aussi de découvrir deux nouveaux talents rwandais: Sagamba et Soldier Kid. 

Fakaloice feat Riky Rick & Cassper Nyovest – « Ooh Aah »

« Ooh Ah » de Fakaloice est devenu un classique instantané du hip-hop sud-africain dès sa sortie. Fakaloice est un jeune rappeur originaire de Verulam, une ville au nord de Durban, dans le KwaZulu-Natal, il représente donc la côte nord au sein du label Ambitiouz Entertainment. Il mélange l’anglais et l’isiZulu et définit son style comme de la « zunglish trap ». Il est fortement influencé par le rappeur canadien Tory Lanez et on l’entend bien sur « Ooh Ah », qu’il a produit lui-même, dans la manière dont il change de registre et d’octave entre les phases de rap et de chant. Dans la première séquence de clip qui correspond à son couplet, on voit Fakaloice être intronisé chef d’un village. On reconnaît les maisons traditionnelles, les tenues, les boucliers et les lances des Zoulous. Une séquence qui n’est pas sans rappeler le clip « Y3 Y3 Dom » du driller ghanéen Jay Bahd paru en 2021 et dans lequel on voyait des guerriers ashantis se préparer pour la guerre. Le deuxième couplet du morceau est celui de Riky Rick, légende du rap sud-africain, et malheureusement décédé en février dernier. L’artiste a mis fin à ses jours après une très longue dépression. Ce couplet a été enregistré en 2020. Dans le clip, cette séquence est annoncée par un message inscrit dans le dos d’un t-shirt : « We Never Die, We Multiply ». Il s’agit de paroles de Riky Rick issues du remix du morceau « Nkalakatha » du rappeur Costa Titch, sorti en 2019. Ce sont des inconnus de la rue et ses amis qui rappent son couplet ici et lui rendent un très bel hommage collectif. Le troisième couplet est rappé par la légende des légendes, Cassper Nyovest. Les fans de rap sud-africain attendaient depuis des années de pouvoir retrouver Riky Rick et Cassper Nyovest sur un même morceau. Cassper Nyovest prend son temps pour rentrer sur le beat avant de complètement le dévorer. Il est venu mettre les points sur les i et les barres sur les t. Il tire à boulets rouges sur l’industrie musicale et sur les autres rappeurs. Il rappelle qu’il a survécu à toutes les modes (house music, gqom) et qu’il a inspiré tout le monde dont Focalistic, l’un des rappeurs les plus en vue depuis quelques années. Dans la vidéo, il apparaît comme le leader suprême du hip-hop et en chef des armées. Après un tel couplet, qui pourrait le contester? 

FL EX – « Logan »

Le rappeur FL EX, âgé de 21 ans, est tout simplement l’une des révélations de l’année en Égypte. Il s’est fait connaître grâce à des featurings avec des artistes du très bon label Maadi Town Mafia dont il fait partie : tout d’abord « Shayateen » avec Husayn puis « Khamsa » avec Wingii. L’Égypte a emmené la trap à un niveau stratosphérique, la rendant plus profonde et plus planante que n’importe où ailleurs, ceci grâce à des producteurs comme Molotof et des rappeurs tels que Marwan Pablo et Wegz. Le morceau « Logan », issu de l’excellent EP Mesama3een de FL EX, montre que l’histoire se répète avec la drill. Le beatmaker Rally a composé une piste instrumentale à la fois sombre, lourde et angoissante, avec des basses énormes et une flûte traditionnelle qui vient rendre le tout encore plus épique. Même ambiance effrayante dans le clip en noir et blanc. FL EX y parcourt le Caire avec sa bande pendant des heures jusqu’à la découverte glaçante d’un corps allongé sur un trottoir. 

MPR feat Youssoupha – « Sango Nini »

Le duo kinois MPR, constitué de Yuma Dash et Zozo Machine et originaire du quartier populaire de Matete, porte fièrement les couleurs du rap congolais actuel. À travers le nom de leur groupe qui signifie « Musique populaire pour la révolution », ces deux artistes revendiquent l’héritage culturel et de la période de la République du Zaïre. Leur hip hop est imprégné de rumba et de sebene (« Bana Leo Bana Leo », « Makambu »). Dans ses textes, MPR alterne entre critique de la société congolaise ( « Lobela Ye Français ») et récit de la vie de la rue ( « Tika Biso Tovanda »). Le groupe est aussi connu pour accorder un grand souci à l’esthétique de ses clips qui peuvent tirer leur inspiration des théâtres télévisés de la RDC (« Dollars ») ou des émissions de variétés de l’époque Télé Zaïre (« Semeki »). L’année 2022 de MPR a été marquée par l’annulation sur décision préfectorale de leur concert prévu en juillet à la Cigale à Paris, après l’annonce d’une mobilisation des opposants radicaux de la diaspora en France, mais aussi par la sortie de leur nouvel EP Sese Seko. Un projet sur lequel on trouve « Sango Nini », un morceau coup de poing en featuring avec l’artiste français d’origine congolaise Youssoupha qui rappe en lingala pour l’occasion. Pour que le clip colle à l’énergie de la chanson, MPR a choisi une esthétique plus sombre et est revenu aux codes habituels des clips de rap habituels.

Erigga – « Vawulence »

Erigga est une légende du rap au Nigéria. Depuis qu’il a commencé sa carrière en 2009, il est devenu le roi du pidgin rap, un rap en pidgin english, sans concession, fait pour les Nigérians, pas pour les Occidentaux. On aurait tendance à croire que seules les villes de Lagos et Port-Harcourt comptent dans le paysage musical, mais Erigga a mis la ville de Warri, dans le Delta State, sur la carte du hip hop nigérian, et c’est souvent le décor de ses textes ( « Welcome to War »). « Vawulence », qui reprend la façon dont les Nigérians prononcent le mot anglais « violence », est le premier single de son nouveau projet The Lost Boy Album, paru début septembre. Dans le clip, Erigga apparaît sous les traits d’un chef de gang faisant partie d’un groupe de détenus qui doivent être transférés en bus dans une autre prison mais sur le trajet ils sont libérés par un commando. La principale séquence de la vidéo a été tournée devant la tour de la Book Shop House, l’un des plus anciens gratte-ciels de Lagos, sur Lagos Island. 

Femi One feat Wangechi – « Lip Service »

2022 aura été une année resplendissante pour les Kényanes Femi One et Wangechi. Depuis presque dix ans, Femi One fait partie des rappeuses les plus renommées du pays. Elle s’est fait connaître grâce à des titres imparables de gengetone  (« Utawezana », « Tippy Toe »), ce style kényan fortement inspiré par le dancehall jamaïcain, et grâce à des morceaux purement hip hop (« Pilau Njeri », « Kipetero Kiyesu »). Ces derniers mois, elle a prouvé que le gengetone était loin d’être mort  avec son tube « Hepi ». Wangechi est une autre rappeuse talentueuse connue au Kénya depuis quelques années pour son talent de lyriciste. En 2022, elle a sorti Chonjo, un album commun avec Scar Mkadinali, membre du trio Wakadinali, l’un des crews qui dominent le rap à Nairobi. On y trouve l’excellent morceau de drill « Romantic Rivals », l’un des meilleurs morceaux kenyans de l’année. Il y a presque dix ans, Femi One et Wangechi figuraient toutes les deux sur l’iconique remix de Ligisoo du rappeur Rabbit Kaka Sungura. Elles nous ont régalé fin septembre en se retrouvant enfin après toutes ces années pour une collaboration intitulée « Lip Service », un titre de drill groovy devenu instantanément un classique.

Black K feat Didi B & 3xdavs – « Chérie Coco »

Didi B est sans conteste le roi du rap en Côte d’Ivoire et l’un des rappeurs les plus importants du continent africain. Au début de l’année 2022, nous revenions avec lui sur sa carrière à travers l’histoire de cinq de ses morceaux phares. L’artiste signé sur la division africaine de 92i, le label du rappeur français Booba, a sorti en mai History (Mojotrône II), l’un de nos albums favoris de 2022,  et s’est payé le luxe d’aligner d’immenses tubes avec des titres qui ne sont même pas sur l’album (« En Haut » et « On a pris balle ») et produits comme toujours par le génial beatmaker Tam Sir. Didi B apparaît aussi sur un un autre tube, « Chérie Coco », un morceau de pur rap ivoire du rappeur Black K, l’un de ses frères d’armes dans le groupe Kiff No Beat. L’une des particularités de Didi B et de Black K, c’est qu’ils mettent toujours en avant de nouveaux talents. « Chérie Coco » ne déroge pas à la règle et propulse sur le devant la scène le jeune rappeur 3xdavs, l’une des révélations de l’année grâce à « C’est God », « Toulebeli » avec Fior 2 Bior et « Dora » avec Himra. 

Lauraa Bazooka feat Ghettovi – « Satan 2 »

À Lomé, la rappeuse Lauraa, signée sur le label Kabash, a su s’imposer comme la boss du rap togolais grâce à une série ininterrompue de singles puissants (« Mablo », « Egbavado »). Âgée de 25 ans et originaire du quartier d’Akodésséwa, elle a d’abord fait ses armes en tant que chorégraphe et danseuse du duo Toofan. Sa voix grave et son flow agressif ne sont pas sans rappeler les chanteuses jamaïcaines de dancehall comme Spice, l’une de ses inspirations. De son côté, Ghettovi, artiste indépendant de 33 ans et originaire d’Atakpamé, est le rappeur le plus chaud du pays. Il se démarque du reste de la scène actuelle très influencée par la drill par un style hardcore (« Alolekeo ») et ses références variées, que ce soit au vaudou (« Chapeau noir ») ou au président du pays (« Gnassingbé »). En juillet 2022, ces deux figures du rap togolais ont eu l’excellente idée de s’associer une première fois sur le titre « Ghetto Love » et l’alchimie artistique a été au rendez-vous pour cette ballade drill qui célèbre une histoire d’amour dans les quartiers pauvres de Lomé. Après le succès rencontré par cette première collaboration (près de 2 millions de vues sur YouTube), les deux artistes ont remis ça en novembre avec « Satan 2 », un morceau encore plus explosif avec lequel Lauraa et Ghettovi  s’affirment clairement comme les souverains du rap togolais. 

Jay Bahd feat Le Juiice – « MOBB »

À seulement 22 ans, Jay Bahd est avec Yaw Tog l’une des principales figures de l’asaaka, la scène drill de la ville de Kumasi. Après l’explosion et le succès international en 2020 et 2021 grâce notamment aux titres « Condemn » et « Y3 Y3 Dom » , 2022 a été une année d’exploration pour le jeune Ghanéen. Il s’est aventuré sur de nouveaux territoires musicaux ( « Anadwo »), a multiplié les collaborations internationales (« Mad » avec le Nigérian Gee Baller, « Courts» avec l’Anglais ATO), tout en continuant à sortir des morceaux très efficaces d’asaaka ( « Masherita », « Trophies »)  avec  les autres Akata, ces potes rappeurs de Kumasi. Mais la collaboration de Jay Bahd qui nous a le plus surpris et que l’on a préféré, c’est son titre « MOBB » avec Le Juiice. Jeune entrepreneuse et artiste indépendante, la rappeuse française a encore passé un cap en 2022 avec la sortie de son album Iconique et grâce à son banger « Floko » avec la rappeuse Davinhor. Autre fait intéressant à noter, elle a collaboré à plusieurs reprises avec des rappeurs ivoiriens (Himra, Lesky, Widgunz). On ne s’attendait pas à voir Jay Bahd et Le Juiice faire une chanson ensemble et pourtant à la découverte du son, c’est une pure évidence. Les univers, les voix, les flows des deux artistes se complètent à merveille et on en redemande. Le clip du morceau a été tourné dans les rues de Paris. 

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