Tout droit venu de Mauritanie, signé d’une femme Noura Mint Seymali, Arbina est un des meilleurs disques dont les sables du Sahara ont accouché.
Les femmes, en particulier maures, jouent depuis longtemps, de Nouakchott à Nouadhibou, les premiers rôles sur la scène musicale du pays. Les doyennes Dimi Mint Abba, Malouma Mint Meiddah étaient des griottes (iggawen), et comme elles, Noura Mint Seymali est l’héritière d’une tradition qui a fait de la poésie sa reine : qu’elle soit mystique, amoureuse ou en prise avec les problèmes socio-politiques de son temps.
Arbina, l’un des noms de Dieu, donne son nom à l’album, et le titre « Mohammedoun » est un chant de louange au Prophète (medh, genre répandu du Maghreb au Moyen-Orient). Le medh, qui peut s’inspirer des contributions d’autres poètes, a été composé à partir des idées surgies sur un groupe WhatsApp dont fait partie Noura. La tradition se réinterprète à l’infini, que ce soit dans une cérémonie ou via une appli ! Dans la chanson « Arbina », la griotte interpelle aussi les femmes sur les nécessités du dépistage du cancer du sein. La maladie a emporté sa mère alors qu’elle était encore jeune, et c’est dans le sillage de son père, le poète et musicien Seymali Ould Ahmed Vall qu’elle fera son apprentissage, montant sur scène aux côtés de sa belle-mère Dimi Mint Abba, l’une des grandes divas de la chanson mauritanienne. Cette dernière chantait souvent « Richa », une composition du père de Noura, qui la reprend ici à son tour, plus électrique que jamais, dans une version qui n’est pas sans rappeler les musiques urbaines d’Algérie. C’est de Richa qu’est extrait ce vers qui résume bien la vocation des poètes :
«La plume de l’artiste est un baume, une arme et un guide qui éclaire l’esprit des hommes. »
Ahmedou Ould Abdel Qader
On retrouve dans l’album Arbina tous ces thèmes, portés par une musique qui emprunte autant aux musiques traditionnelles du désert mauritanien qu’au Rock’n’roll, tendance psychédélique. En réalité, c’est la Pop saharienne d’aujourd’hui. Dans ces dix titres, on entend autant la harpe-luth ardin (sur Ya Demb) jouée par Noura, que la guitare électrique, jouée en virtuose par son mari Jeiche Ould Chighaly, qui a emprunté au luth traditionnel tidnit ses gammes et accents, tout en suivant les traces éthérées des Pink Floyd ou les riffs dissonants d’Hendrix (comme sur le titre très bluesy Ghlana).
La batterie de Matthew Tinari, qui a réalisé cet album enregistré et mixé à Brooklyn, enfonce le clou rock, soutenu par les ténébreuses lignes de basse d’Ousmane Touré. De quoi planer longtemps au dessus des dunes… porté par la voix magnifique de Noura Mint Seymali. Cette voix puissante, comme les tempêtes de sable, emporte parfois tout sur son passage. Mais elle sait aussi, douce et légère comme la brise, offrir au voyageur l’ombre fraîche des oasis. Les caprices du Grand Sahara se retrouvent au fil du voyage qu’offre Arbina, à boire comme un thé brûlant au clair de dune.
Arbina, via Glitterbeat Records