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KT Gorique : « Y’a pas de bouton pour me mettre off »
© Jen Ries

KT Gorique : « Y’a pas de bouton pour me mettre off »



KT Gorique est née en Côte d’Ivoire et a grandi en terre helvète. En bientôt six projets, un paquet de contests et autres concerts, ce brin de femme de 31 ans a inscrit la Suisse romande sur la carte du hip hop mondial. Portrait.

Marseille, 7 octobre 2002. A deux encablures du vieux port, au pied du Mucem, l’étoile de Dakar, Youssou N’Dour, célèbre comme il se doit les 30 ans de la Fiesta des Suds. Une institution qui, depuis 1992, explore les musiques des mondes pour rassembler les gens, les genres et les générations. Au même moment, sur un plus petit podium, avec la cathédrale de la Major en fond, un petit bout de femme puissante, au flow incisif, lui volerait presque la vedette.

Tees-shirt vert fluo sur large baggy noir, longues locks nouées en deux chignons de chaque coté de la tête, yeux et lèvres cerclés de noirs, silhouette nerveuse de celle qui est aussi danseuse et basketteuse, KT Gorique « saccage le floor » (« Air Force »). Le flow est « sportif et efficace » (« Shake it »). Les punchlines, aiguisées. Le show, impeccable. A l’ancienne. Avec, sur scène : un batteur, un dj et un backeur-danseur aux solos épatants.

Installée depuis l’âge de 11 ans en Suisse, « un pays où la culture hip hop est présente depuis les nineties, mais où elle est loin d’avoir eu le même impact qu’en France », la jeune femme de 31 ans ne boude pas son plaisir de se produire dans « l’une des capitales du rap français ». Et le public, compact, le lui rend bien. Impressionné par la maturité de celle qui se fait également appeler « Dame KT » ou « Madame Gorique ». Bluffé par son talent de performeuse aussi, par l’ampleur prise sur scène par ses raps qui, portés par des beats boom bap, trap, reggae ou coupé décalé, explorent les questions du déracinement, du racisme et du sexisme.

Je n’fais pas de rap conscient j’suis consciente de rapper
De m’élever, dans les airs on n’peut déraper

« Outta Road » – KT Gorique
Petite, et déjà grande

Il faut dire que depuis, qu’enfant, sa passion pour la danse hip hop puis pour le rap a « changé sa vie », lui révélant notamment le pouvoir exutoire des mots, l’auto-proclamée « Punch Norris »* a depuis longtemps pris le mic d’assaut. Et remporté, entre autres trophées, à 21 ans, le titre de championne du monde de freestyle en improvisation au End of the Weak (2012) à New York. En même temps elle établit alors trois records : celui de la première femme, la première suissesse et la plus jeune personne de l’histoire à remporter ce titre. C’est pas petit !

« Ça a vraiment marqué un tournant pour moi, ça a même tout changé en fait ! Car il faut imaginer que, quand j’ai commencé à rapper vers l’âge de 13/14 ans, dans ma petite ville du canton du Valais (Martigny), en suisse romande, on était pas nombreux à avoir envie d’expérimenter ce délire, les gens ne comprenaient ce que l’on faisait, on était les ‘’ bizarres’’. Le marché suisse allemand est très développé maintenant et le marché romand évolue constamment. On organise même des festivals aux line-ups de rap romand qui sont sold-out. Mais il y a 15 ans, quand tu disais que tu faisais du rap et que tu étais suisse, les gens avaient envie de rire ! Et là, tout d’un coup, à mon retour de New-York, on me disait : viens faire un concert ! »

Petit à petit, la puissance de son flow et la fluidité avec laquelle KT Gorique manie les mots se font connaître bien au-delà des frontières du Valais. Et les algorithmes, jouant de leur influence, proposent la vidéo de sa performance new-yorkaise au réalisateur français Pascal Tessaud. Ce dernier recherche une comédienne pour interpréter le rôle d’une jeune rappeuse dans son prochain film. Séduit par son charisme et la force de vie qu’elle dégage, il la contacte via les réseaux sociaux. KT Gorique n’a jamais fait de théâtre, mais se lance sans hésitation. Brooklyn (2015) est sélectionné dans une quarantaine de festivals internationaux et, pour son premier rôle, la jeune femme de 24 ans (que l’on surnomme aussi « couteau-suisse », en raison de ses nombreux talents), rafle deux prix : celui de la « meilleure interprétation « au festival du film de Milan et celui de « meilleure actrice » au Hip Hop Film Festival de New-York.

« Ce tournage a représenté un double défi pour moi : non seulement je ne connaissais rien à cet univers mais en plus, dans ma musique c’est moi qui fait tout : j’écris, je décide comment je fais mon clip, etc. Là, il fallait que j’apprenne à me mettre au service d’un personnage pour qu’il existe et que je me laisse complètement guider par le réalisateur. Ça a été intense, mais j’ai adoré cette expérience et ça m’a aidé à me mettre moi-même en scène. »

Dans la foulée, celle qui « éponge les maux du monde afin de les transformer en punchlines » (« Cry »), livre son 1re album, Tentative de survie (2016) puis la mixtape ORA (2017) et l’EP Kunta Kita (2018) : « ce jeu de mots entre ces deux symboles afro, me raconte bien. Car le personnage de Kunta Kinte, qui refuse sa condition d’esclave et veut garder son humanité, m’a vraiment marqué gamine, alors que j’habitais encore en Afrique, quand j’ai vu l’adaptation du roman Racines d’Alex Haley à la télé. Quand au pagne kita, composé de bandes de tissu cousues ensemble pour former des motifs aux couleurs vives, il fait partie des habits traditionnels du groupe ethnique baoulé auquel j’appartiens. »

La même année, pour la 1ère fois depuis 16 ans, la jeune femme de 27 ans retourne en Côte d’Ivoire. Ce pays où elle est née, à Abidjan, en 1991, d’une mère ivoirienne et d’un père italien et qu’elle a quitté, en 2002, l’année où y a débuté une crise politico-militaire.

« Ce que j’ai compris à l’époque c’est que c’était grave. Il fallait que je quitte mes amies et une partie de ma famille aussi. Car mes deux grandes soeurs sont restées, on n’a pas pu partir tous ensemble. Mais je suis partie en disant « à bientôt ». Chez nous ce sera toujours ici, un jour on va revenir. J’ai toujours gardé ce truc en tête : « J’arrive ».

De ce retour en Côte d’Ivoire naîtra Akwaba,  « bienvenue », en baoulé, le 2ème album de KT Gorique. Celle qui se dit inspirée autant parLauryn Hill, DJ Arafat que Damian Marley, y rappe en français, un peu en anglais et en nouchi (argot né en Côte d’Ivoire et constitué d’un mélange de français et de plusieurs langues locales et internationales).

Après avoir expérimenté le « colorisme » (voir plus bas, NDLR) dans son pays natal, elle y évoque le racisme qu’elle a subi à son arrivée en terre helvète.

« Dans les communautés afro-descendantes, sur le continent et dans la diaspora, il y a encore une difficulté dans l’amour de soi. On a tendance à privilégier une personne qui est claire de peau. C’est ce qu’on appelle le « colorisme » : une forme de racisme, avec une hiérarchisation ascendante qui va du plus sombre au plus clair. Du coup, parce que j’ai grandi en Afrique et que je suis métisse, on me disait : « tu es belle, tu es intelligente, tu vas réussir ». Et ensuite, quand je suis arrivée en Suisse, c’était : « tu es noir, c’est moche » ou « tes cheveux sont sales ». C’est assez déstabilisant pour une enfant de 11 ans

Sur l’album Akwaba, qui se veut résolument enraciné dans son pays natal, KT Gorique invite l’humoriste Shirley Souagnon, également d’ascendance ivoirienne, à partager les interludes. Quand on lui fait remarquer qu’elle ressemble à s’y méprendre à sa sœur « de cœur », KT Gorique s’empresse de raconter : « mais plein de gens croient qu’on est vraiment sœurs ! Tout le monde nous confondait tellement que l’attaché de presse de Brooklyn s’est dit qu’il fallait absolument qu’on se rencontre. On est devenu instantanément super potes et aujourd’hui c’est l’une des mes amies les plus proches. Elle a quatre ans de plus que moi, on a pas la même vie mais on est travaillées par les mêmes choses. Et pas seulement par le basket (rires). Elle m’a d’ailleurs filé quelques blagues pour mon intervention TedX ! »

Désormais, KT Gorique s’est promise de rentrer une à deux fois par an au pays. Histoire aussi de créer des connexions avec des rappeurs locaux comme avec Lil Black, que l’on retrouve sur « Bon Mood », l’un de ses derniers titres en date : « J’adore son flow, son phrasé très particulier. Ses punchlines sont toujours imagées et donnent le sourire. On a commencé à échanger sur les réseaux et puis on a fait ce morceau chez lui à Abidjan, dans son studio, avec son beatmaker, Panthxr, qui est aussi super chaud. Anecdotes : Lil Black est le petit frère de Black K de Kiff No Beat et il fait ça en 30 minutes sur les explications très vagues que je lui avaient données. Il n’a que 20 ans, il est vraiment hyper talentueux ! »

Gos du game

A la faveur de son retour à Abidjan, la rappeuse Nash – qui a célébré en 2021 ses 20 ans de carrière et la 9ème édition du festival Hip Hop Enjaillement » (2HE) –  est également devenue une « grande sœur » : « Nash c’est 1ère femme que j’ai vu rapper à la télévision. Quand j’avais 9 ou 10 ans, elle a sorti ‘’Première Djandjou” :  une parodie de « 1er Gaou » de Magic System. C’était un énorme hit en Côte d’Ivoire. Dans son clip, elle était habillée comme les américains, elle faisait du rap, en nouchi, pour moi c’était complètement fou ! Du coup, c’était symboliquement très fort de pouvoir marcher avec elle dans rue. Les gens l’arrêtaient : oh la vieille mère, on fait une photo ! C’est vraiment une star là-bas ! »

En 2021, KT Gorique a livré un 4 titres, Heda, puis une poignée de singles et notamment, « New Babylon », titre que porte son nouvel EP paru le 18 novembre dernier. En plus de l’écouter, PAM ne saurait trop vous recommander de jouer en intégralité le « Biggest Female Allstars Cypher ». Cette session freestyle de sept minutes rassemble virtuellement, sur une instrumentale de Fana, dix-neuf rappeuses de neuf pays. Et notamment « la grande sœur » Nash, affectueusement surnommée en Côte d’Ivoire la « go cracra du djassa » (« la fille courageuse du marché »), la togolaise Flash Marley ou encore la martiniquaise Lindsay.

« Moi ça me saoule qu’on nous ramène toujours au fait qu’on soit des femmes, alors qu’à aucun moment on y pense nous ! Pour nous toutes qui avons participé à ce projet, c’est normal de croiser plein de rappeuses, de rapper avec des rappeurs ou des rappeuses. On a juste voulu montrer notre « normalité » en fait, pour essayer faire changer les mentalités. C’était une manière de dire : voilà, là il y en 19, elles sont toutes trop fortes, donc écoute ! Et en fait, ça nous dépassé : 1 million de vues en 10 jours, justement parce que les gens n’ont pas l’habitude de voir autant de rappeuses rassemblées ».

Comme le rappe l’une d’entre elles, « force et respect à toutes (c)es guerrières », Madame KT en tête. Une artiste passionnée, exigeante et déterminée, pour qui se résigner n’est pas une option : « Y’a pas d’bouton pour me mettre off » (« Airforce »). Nous voilà prévenus.

New Babylon toujours disponible.

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