Figure magistralement atypique de la scène musicale de Kinshasa, Jupiter Bonkodji fait son retour avec Kin Sonic. Onze titres qui donnent à entendre la capitale aux douze millions d’habitants, « la force, le miroir, le poumon de la RDC, ce coin qui réunit toute la diversité des ethnies du pays ». Le tout à la sauce Okwess, c’est à dire de manière jouissive et rock’n’roll.
Lorsqu’on rencontre Jean-Pierre Bokondji alias Jupiter, à Paris, un après-midi de janvier, il est glacé mais comblé. Son 2ème album vient d’être masterisé, une grosse tournée française s’annonce au printemps pour en fêter la sortie et puis, chez lui, à Kinshasa, où il vient de donner un concert, la reconnaissance ne vient plus seulement de la rue : « même la presse congolaise commence à s’intéresser à moi et j’en suis fier. Tout commence à basculer dans un même mouvement, les choses évoluent ».
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« NOTRE MISSION CE N’EST PAS DE GAGNER DES MILLIONS, C’EST D’OUVRIR LA PORTE POUR QUE LES GENS SACHENT QUE À PART LA RUMBA QUI A FAIT SON TEMPS, IL Y A VRAIMENT UNE DIVERSITÉ CULTURELLE AU CONGO. »
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Il faut dire que ce fils de diplomate né en 1963, soit trois ans après l’indépendance du Congo Belge, a été patient : après avoir fondé son premier groupe, Die Neger, à 18 ans à Berlin, il a attendu 30 ans pour sortir son 1er album et presque autant pour faire une carrière à l’international. Mais fidèle à son étoile, Jupiter n’a jamais dévié de sa trajectoire : « Notre mission ce n’est pas de gagner des millions, c’est d’ouvrir la porte pour que les gens sachent que à part la rumba qui a fait son temps, il y a vraiment une diversité culturelle au Congo. Nous on s’adresse à la génération future et on lui dit : voilà notre richesse, immense, inépuisable, inexplorée, infinie. Regardez-là ! »
Et Jupiter de rappeler que pas moins de 450 ethnies dotées chacune de 10 à 15 rythmes peuplent son pays. Son ambition ? Représenter dans une fête électrifiée l’ensemble de ces ethnies pour « révolutionner la musique congolaise et par-là, les mentalités. »
Aux débuts de ses expérimentations, dans les années 1990, tout le monde le prend pour un fou, un « illuminé ». Mais sa musique fonctionne – diablement efficace. Ses racines parées d’une aura rock, Jupiter se fait le chroniqueur du quotidien, dénonce l’injustice, se bat au nom des opprimés. Bien vite, il ouvre une brèche et devient le porte-flambeau des oubliés de son quartier, et de ceux qui ne se reconnaissent pas dans le seul miroir, forcément déformant, que tendent les chanteurs de rumba. Lui qui semble avoir eu mille vies, se voit bientôt affubler d’autant de surnoms : « l’espoir de la jeunesse », « le monument vivant », « le général rebelle ».
En France, on découvre sa silhouette longiligne en 2006 grâce à La danse de Jupiter, le documentaire de Renaud Barret et Florent de la Tullaye consacré à la nouvelle scène musicale de Kinshasa. On y aperçoit les Staff Benda Bilili, auxquels les mêmes réalisateurs consacreront un documentaire entier, qui les fera décoller sur les scènes du monde entier.
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ENTRE PERCUSSIONS PUISSANTES, GUITARES DÉCHAINÉES, VOIX CHORALES ET INCANTATIONS FURIEUSES, JUPITER ET LES SIENS TRANSCENDENT LES RYTHMES DU CONGO EN LES PLONGEANT DANS LE GRAND BAIN DES SONORITÉS ACTUELLES.
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Huit ans plus tard, en 2013, Jupiter a 50 ans et son premier album, Hôtel Univers, le propulse enfin sur orbite internationale. Entre-temps, le « général rebelle », a cueilli les fruits de la bienveillance du Britannique Damon Albarn. Le leader de Blur et des Gorillaz l’a associé à son album Kinshasa One Two et à son projet Africa Express. C’est à la faveur de cette tournée qu’il rencontre 3D, le leader de Massive Attack. Un remix de son titre Congo, viendra sceller une entente dont témoigne aujourd’hui le titre de ce nouvel album, référence directe à un tableau peint par 3D, baptisé Kin Sonic.
Jupiter & Okwess – Musonsu (feat. Damon Albarn)
En lingala, tetela, mongo, tsiluba, ekonda ou français, ce nouvel opus nous invite à un voyage vers le futur du Congo, ancré dans le terreau fertile du passé. Une épopée musicale à laquelle participent des invités de choix : Damon Albarn, Warren Ellis (le violoniste des Bad Seeds de Nick Cave) et même l’actrice française Sandrine Bonnaire. Mais l’essentiel tient ici au rayonnement du groupe Okwess et de son leader. Entre percussions puissantes, guitares déchainées, voix chorales et incantations furieuses, Jupiter et les siens transcendent les rythmes du Congo en les plongeant dans le grand bain des sonorités actuelles.
Passeur de transes et authentique alchimiste tradi-moderne, Jupiter nous invite plus que jamais à danser (Ekombé) et à vivre pleinement l’instant (Le temps passé). Il n’en reste pas moins une âme rebelle, à la conscience élevée, qui nous rappelle que nous sommes bien peu de choses sans unité et qu’il ne faut pas mépriser ce qui, tel un clou (Musonsu), « fait tenir les choses ensemble ». Sur Nzele Momi et son gimmick funky, il exhorte au respect de la femme, figure sacrée. Sur Benanga, sa voix prend des intonations ragga pour raconter, fâché, l’histoire d’un roi qui organise une fête pour son mariage avec l’argent du peuple et ne l’invite même pas. Ce « voleur sans vergogne » ferait-il référence au président Kabila, au pouvoir depuis 2001 ? D’un large sourire, Jupiter nous répond : « Contrairement à ce pensent certains hommes qui se prennent pour un léopard, aucun homme n’est au dessus des autres. Nous avons tous le même trajet : on nait, on vit et on disparait. C’est ça la loi de la nature. Mais ce qui se passe au Congo se passe ailleurs. Je ne me bats pas seulement pour le Congo, je suis l’homme de l’Humanité ».
On vous le dit, Jupiter est en orbite. Depuis l’univers, il s’adresse au futur et on a qu’une seule envie, embarquer avec lui.
Kin Sonic, dans les bacs le 3 mars (Zamora Label/L’Autre Distribution)
Jupiter & Okwess en tournée en France à partir du 15 mars, dont le Printemps de Bourges le 18 avril.