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The Pan African Music Magazine
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Sinikan, le chef d'oeuvre oublié de Sékouba Bambino

Crédits photos : Syllart Records / François Bréant

L’histoire a des oublis qu’on ne peut pardonner. Comment comprendre que certains joyaux, et ils sont nombreux, soient passés à côté du grand destin qu’ils méritaient ?

L’album Sinikan de Sékouba Bambino est de ceux là. Paru en 2002 sur le label Syllart Records, il connut un succès d’estime dans un cercle qui n’eut guère le temps de s’élargir, d’autant que Next Music, chargée de le distribuer, commençait à connaître des difficultés.

Pourtant, Sinikan a un secret, celui d’une subtile alchimie qui, sans trahir l’extraordinaire voix du griot Sékouba Bambino, sans dévier des chemins dansants du groove guinéen, sut leur associer des cordes orientales, des guitares rock, et des synthés toujours bien placés. On est peut-être là dans un des albums qui incarne le mieux ce qui autrefois sonnait comme un idéal, aujourd’hui tellement galvaudé et essoré qu’il en a perdu tout sens : la world music. Disons que ce disque résume à lui seul ce qu’il y avait de noble dans l’idée.

Cette alchimie, on la doit en particulier à un homme, dont le nom apparaît discrètement dans les crédits, en petit, au dos de la pochette : François Bréant. C’est lui qui a écrit les arrangements et réalisé Sinikan. C’est aussi lui qui, quinze ans plus tôt, avait métamorphosé Salif Keïta en l’habillant de nouvelles couleurs pour son fameux album Soro. C’est lui enfin qui – trois ans plus tard, de Paris à Madras, jonglera entre Orient et Occident, l’Inde et le monde arabe, pour donner à Thione Seck le son en cinémascope de son magnifique album Orientissime, hommage aux comédies musicales du Caire et à celles de Bollywood. C’en était trop : pour parler de Sinikan, il fallait rencontrer cet homme de l’ombre qui avait confectionné à ces grandes voix d’Afrique des habits de lumière. Etincelants mais jamais bling-bling. Alors, histoire de mieux comprendre les secrets de ce disque qui a pour moi sa place sur l’étagère des grands classiques modernes africains, j’ai rendu visite à cet arrangeur majeur. Au bord de la Marne, dans une maison qui dans la grisaille de décembre sentait le sable et le soleil, François Bréant m’a raconté quelques éclats de ce travail avec le grand Sékouba Bambino.

Aux grandes voix, la musique des grands espaces

L’album débute par la chanson qui a donné son nom à l’album. Dès l’ouverture, ce sont les violons qui invitent au voyage, là-bas du côté de l’Orient, mais les guitares rythmiques et leurs dentelles mandingues ramènent aussitôt l’imaginaire vers les grands espaces de l’ancien Empire du Mali. Dans ce décor digne d’un film à grand spectacle, l’acteur principal apparaît : Sékouba Diabaté dit « Bambino », résolument une des plus grandes voix africaines dont la fin du XXè siècle ait accouché. François Bréant confie le bonheur qu’il a eu à travailler avec pareil chanteur, à mille lieux des timides voix françaises qui chantonnent et monopolisent aujourd’hui les ondes françaises.
De Salif Keïta déjà, François Bréant disait qu’il « chante toujours comme si c’était la dernière fois de sa vie ». Comme lui, Sékouba Bambino chante, pour de vrai. Alors le compositeur peut imaginer des musiques à la mesure de l’univers épique auquel invitent de telles voix.

 

 

Le chant donc, pour commencer. Sékouba Bambino était venu chez Bréant pour enregistrer une première voix témoin, accompagné par deux guitaristes, dont Ousmane Kouyaté. Le groove mandingue était posé. Au tour de Bréant de se mettre au travail, et de composer : enrichir les morceaux proposés, ajouter des couleurs à leurs couleurs, des sons inédits aux sons établis. Tout cela, il le fait chez lui, dans son grenier, aux synthés. Plus tard les parties seront interprétées par de véritables instruments, servis par d’immenses talents (Etienne Mbappe à la basse, Mokhtar Samba à la batterie… pour ne citer que ceux là).

Ce travail de l’arrangeur, qui plus est occidental, est une affaire hautement délicate. Il faut mettre sa patte sans jamais dénaturer la voix, la personnalité, l’univers du chanteur. Eviter à tout prix de se comporter « comme un éléphant dans un magasin de porcelaine » car, prévient l’arrangeur,  » la faute de goût est vite arrivée ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que François Bréant a su soigneusement l’éviter, tant les synthés, les guitares rock, les instruments traditionnels et les cordes ajoutés semblent nés de même père-même mère (pour reprendre l’expression consacrée).  Si les violons- en fait un seul, celui de Jean-Lou Descamps qui a joué les mêmes phrases dans différentes octaves – rappellent donc l’orient, point d’exotisme facile là-dedans. Il y a bien dans le chant mandingue cette influence islamique, qui fait parfois ressembler le chant du griot à celui du muezzin. Dès lors, les deux univers musicaux « s’emboîtent tout naturellement » assure Bréant. Il approfondira cette recherche de cousinages dans l’album Orientissime avec la voix de Thione Seck. 


James Brownbino’s world

 A l’écouter, c’est là une des marottes de l’arrangeur : mettre en valeur et faire entendre les ponts qu’il y a entre les cultures. C’est exactement ce qu’il a voulu faire en proposant à Bambino de reprendre la chanson It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown. Audacieux pari, mais qui répond à une intuition : James Brown ressemble à un prêcheur. A sa manière, il est un maître de la parole, comme le sont les griots, qui avant d’être chanteurs ou instrumentistes, sont d’abord des gens de la parole. Pour abonder dans ce sens, on ne peut qu’être frappés de la ressemblance entre James appelant les réponses du public et celles d’une audience malienne ponctuant le discours de celui qui s’adresse à elle. Le « répondeur » qui reçoit le discours, et le soutien de son approbation, voilà bien un personnage qu’on retrouve de part et d’autre de l’Atlantique Noir.

Malgré ce cousinage, Bambino se voyait mal reprendre James Brown, se sentant incapable de l’imiter. Précisément, il n’était pas question de faire du James Brown à la place de James Brown, mais du Bambino sur une musique de James Brown. Bréant, lui traduit les paroles, le chanteur s’en inspire pour faire les siennes, dans le contexte malinké, et ainsi faire coller le sens à la musique de sa langue. Certes, le compositeur a gardé des éléments qui permettent à chacun de reconnaître It’s a Man’s Man’s Man’s World. Mais dans cette nouvelle version, c’est la kora qui fait l’ouverture et donne le ton, les synthés évoquent quant à eux les balafons, et la voix de Bambino, d’abord douce et tranquille, éclate comme un chant lyrique ouvrant sur les plaines d’une profonde et sublime mélancolie.

La chanson de James n’est plus seulement la sienne, elle est (re)devenue africaine, et gagne dans ce voyage un supplément d’âme. Preuve que l’on peut s’attaquer à de grands monuments, quand on est modeste… et qu’on a le talent de Bambino, associé à celui de Bréant. La chanson a bien sur été repérée, et, en France, a fait le tour d’un certain nombre de radios, mais n’a pas ouvert à l’album lui-même la voie d’un succès pourtant bien mérité. Car d’autres titres sont aussi bons que ceux évoqués plus haut. « Ni mafele« , qui s’ouvre sur le texte d’un enfant (celui de Sékouba Bambino) demandant à son père : 

« Eh papa, elle est où mon Afrique ?
A quoi sert sa conscience ? Où sont ses valeurs ?
Enfants soldats, enfants assassins, enfants esclaves…
On veut nous tuer ! »

 Disiz la Peste (cf. photo de couverture), alors en pleine ascension, est l’invité de Promesse, dans laquelle le rappeur et le griot se répondent sur le thème de l’héritage partagé de part et d’autre de la Méditerranée, d’une génération à l’autre. « Famou«  ou encore « Découragé » ont la vitalité des chansons qui emportent les danseurs dans les boîtes de Conakry.

La plus grande réussite de ce disque est sans doute d’avoir réussi à faire voyager la musique mandingue vers d’autres horizons, sans jamais la trahir, sans jamais la tromper. Le verdict des Guinéens à la réception de l’album lui non plus ne trompait pas : Sinikan reçut un triomphe à Conakry, les photos du concert au stade du 28 septembre, avec Bréant aux claviers, s’en souviennent encore.

Pour la petite histoire, la pochette de l’album dessinée par un graphiste français ne convint pas du tout à Bambino. Un griot musulman ne pouvait certainement pas être représenté avec des éléments qui rappellent les fétiches à clous. Aussi, en Guinée comme en Afrique de l’Ouest, l’album sortit avec une pochette plus classique et moins polémique….

Ecoutez l’album sur Spotify / Deezer / Youtube / Apple Music  

Lire ensuite : Histoires de Fela : un cercueil pour le chef de l’État

Sekouba Bambino Sinikan

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