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The Pan African Music Magazine
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Genesis Owusu brille… sans porter de chaînes
© Sarah Chin (The Annex)

Genesis Owusu brille… sans porter de chaînes

Début mars, l’artiste australien d’origine ghanéenne a publié un premier album renversant, né sur les fondations d’une jam-session tellurique. Portrait d’un homme qui aime plonger dans le chaos.

La profondeur d’un Kendrick Lamar, la musicalité d’un Prince, l’aisance d’un Miles Davis… (rien que ça !) Et bien plus encore. Voici l’essence de Genesis Owusu : un artiste éclectique qui compose à l’émotion et carbure à l’innovation. Sa mère est leader d’une chorale gospel, son père écoute à peu près tout ce qui lui tombe sous la main, et son frère aîné, l’artiste Citizen Kay, a commencé par pratiquer le rock avant de se lancer dans le rap à l’adolescence. « Je suis né au Ghana et je suis arrivé en Australie à l’âge de deux ans », raconte Genesis Owusu. « J’y suis retourné avec ma famille en 2014, je me suis plongé dans la culture et j’y ai rencontré la plupart de ma famille. Ma relation avec le Ghana est innée, comme si ça relevait du subconscient et de mon âme. Elle influence des choses auxquelles je ne pense pas vraiment. »

Genesis Owusu – The Other Black Dog
Young, gifted and black à Canberra

Évoluant dans un pays majoritairement blanc, c’est à travers les écrits d’auteurs engagés pour la cause noire comme Gil Scott-Heron, Maya Angelou ou Langston Hughes que Genesis Owusu se construit face au racisme ambiant. En parallèle, l’écriture qu’il affectionne depuis son plus jeune âge, lorsqu’il écrivait des histoires fantastiques, devient un outil thérapeutique pour exprimer ses frustrations, à l’image de son album Smiling with No Teeth (sourire sans dents). « Le titre de l’album vient des dernières lignes d’un poème que j’ai écrit il y a quelques années, explique Genesis Owusu :

« Le premier baiser fut un coup de poing,
Le premier amour une sangsue,
Pleurer sans larmes, sourire sans dents »

First kiss was a fist,
first love was a leech,
crying with no tears and smiling with no teeth

« Smilling with No Teeth »

Du funk au punk, en passant bien évidemment par le hip-hop, ce projet témoigne de la diversité musicale qu’affectionne l’artiste. Cet enfant d’internet s’est bâti une culture riche tout en trouvant ses références parmi les figures que sont Kanye West, Pharrell Williams, André 3000… De quoi lui ouvrir d’autres voies que celles tracées par les images du gangster à la 50 Cent ou du comique de service à la Eddie Murphy, les deux seuls noirs vraiment connus à Canberra dans les années 2000.

« Quand tu vois un Arabe, ce sont les bombes et les fusées éclairantes
Quand tu vois un Asiatique, c’est la peur du jaune
Quand tu vois un noir, ce sont les émeutes et la terreur
Mais quand je parle d’esclavage, tu n’est pas là, comme c’est pratique
»

« I Don’t See Colour »

Fasciné par les arts visuels, Genesis Owusu s’abreuve de mangas et jeux vidéos, notamment Jet Set Radio Future qu’il considère comme sa plus grande influence… musicale ! La tracklist de ce jeu qui mélange roller, tags et affrontements avec la police ou des bandes rivales, est d’un éclectisme hors du commun. « J’aimerais faire mon propre jeu confie Genesis Owusu. Déjà, j’aimerais avoir un son dans la tracklist d’un jeu comme FIFA… L’année prochaine, un nouveau Jet Set Radio Future devrait arriver, j’adorerais placer un morceau dessus. »

Une fusion artistique que Genesis Owusu avait déjà expérimentée avec « Good Time » (2019). Un morceau funky accompagné d’un jeu vidéo éphémère, inspiré par Temple Run où l’on joue avec un membre des Goons : « The Goons c’est notre collectif créatif : il y a un producteur, un photographe/vidéaste, un qui dessine des vêtements et un autre qui les fabrique… on s’entraide. » Notamment pour la marque Pur lancée par le collectif et qui prolonge la philosophie de Genesis Owusu : « Être pur, pour moi, ça signifie simplement faire ce que j’ai envie de faire. Que ça vienne directement de mon cœur et mon cerveau, sans influences ou voix extérieures qui me disent que je dois rendre ma musique plus commerciale pour la radio ou modifier le contenu de mes paroles… »

© Sarah Chin (The Annex)

Peut-être parce qu’elle s’approche parfois de cette notion de pureté, l’animation japonaise et sa capacité à questionner la nature humaine en profondeur captive Genesis Owusu : « Mon film préféré est l’animé Perfect Blue. Il raconte l’histoire d’une chanteuse pop qui change de carrière pour devenir actrice. Et à travers ce changement, elle tombe peu à peu dans la folie : elle ne voit plus la différence entre les rêves, la réalité, et les scènes qu’elle joue dans son propre film. Ca questionne la perception de la réalité, sans même que nous puissions faire la différence. »

Smiling with No Teeth

Dans un autre registre, Smiling with No Teeth, le premier album de ce jeune artiste, se sert de la fiction pour dépeindre la réalité et inversement. En reprenant la figure du « Black Dog », l’artiste ghanéo australien aborde les questions de santé mentale et du racisme en les représentant à travers deux personnages : « Le Black Dog, qui représente le racisme, est le produit de la violence et de l’incompréhension de la société », explique Genesis Owusu. « Et ça alimente l’autre Black Dog, qui représente la dépression. Ça parle de nos rapports avec le monde extérieur et nos démons en montrant la façon dont on réagit à l’intérieur de soi. »

Si le concept de « chien noir » désigne la dépression depuis l’antiquité romaine et des auteurs comme Horace, c’est aussi parce qu’un jour quelqu’un l’a insulté, en le traitant de « Black Dog », que Genesis Owusu a décidé d’en faire un personnage pour aborder la question du racisme, et surtout, s’affirmer, comme pouvaient le faire Césaire et ses comparses à travers le concept de Négritude : « Comme le N word (Negro en anglais, NDLR), c’était un moyen de me le réapproprier et de reprendre le contrôle », explique Genesis Owusu.

« Elle lui a offert des mensonges
Il lui a offert sa vie
Dans la lumière aveuglante
Pour gagner ses droits »

« Easy »

Riche musicalement, l’album l’est également dans la profondeur des sujets abordés, comme en témoigne « Easy », l’un des deux morceaux (avec « Black Dogs ») qui n’ont pas été produits avec le live band. Une personnification de l’Australie en une femme aussi redoutable que destructrice : « L’histoire des indigènes d’Australie contre les colons a été brutale et violente. Mais à l’école, ils n’en parlent pas vraiment. Ce n’est que récemment qu’ils ont commencé d’en parler. Et ils ont balayé énormément d’atrocités commises par les colons. D’un côté ils disent en public “nous aimons les indigènes, vous êtes nos égaux”, mais leurs actions ne suivent pas leurs paroles. Donc la chanson pointe cette hypocrisie, et comment les deux parties naviguent l’une vis-à-vis de l’autre. »

Malgré la morosité des sujets abordés, l’album est haut en couleur et se conclut sur une touche d’espoir : la société et ses codes créent des « black dogs » qui nous ralentissent. Mais avancer est toujours possible. Si on ne peut oublier ses démons, on peut apprendre à vivre avec, et avoir le sourire jusqu’aux oreilles. Même édenté.

Genesis Owusu – Gold Chains

Néanmoins, sourire le visage bandé (à l’image de la pochette du nouvel album de Genesis Owusu) avec des dents en or, à défaut d’en avoir de vraies, et arborer fièrement de brillantes bagues, alors qu’à l’intérieur tout est brisé, relève aussi de la fatalité. Celle d’une condamnation à vie pour ceux qui craignent d’être désocialisés, s’ils ne se montrent pas sous leur meilleur jour. Musicalement aussi, l’album prolonge ce concept en cachant des thèmes dramatiques sous une musicalité explosive et vivifiante.

Le chaos comme genèse

Pétillant, voluptueux et parfois rugueux, l’album de Genesis Owusu fusionne funk, punk et rap sur « The Other Black Dog », donne dans le rock brut et entraînant, légèrement psyché sur « Drown » (l’unique featuring, aux côtés de la star du rock australien Kirin J. Callinan) ou flirte entre soul, funk et gospel sur l’irrésistible « Smiling with No Teeth »… L’artiste change de registre, passe avec aisance des aigus aux graves avec une justesse et une prestance digne des plus grands, et révèle un projet aussi imprévisible que somptueux.

Genesis Owosu s’est appuyé sur des musiciens de génie qu’il n’avait jamais rencontrés (à part le fondateur du label Ourness, son manager Andrew Kippel) avant de s’enfermer six jours durant avec eux en studio. Dans ce band aussi éphémère qu’inédit, il y avait Kirin J. Callinan à la guitare, le producteur de house Touch Sensitive à la basse, le champion du monde Julian Sudek à la batterie et enfin son manager au clavier : « Nous sommes allés dans un home studio exigu pendant six jours en jouant environ 10 heures par jour. Juste à transpirer et faire de la musique. Chacun avait son instrument, j’étais au milieu à faire des mélodies vocales et trouver des paroles. »

© Sarah Chin (The Annex)

« J’aime plonger dans le chaos, c’est excitant et amusant », confie Genesis Owusu. « Mais ça devient ennuyant de savoir ce qui arrive ensuite. Donc je veux que ça reste aussi excitant que possible pour tous, y compris moi-même. Tout du long, je n’avais aucune idée de la façon dont les choses allaient sonner. Et c’est ce que je voulais. Dans le groupe, tous les musiciens sont fous et excentriques.. » En résulte — après un an pour le parfaire — un projet époustouflant, de la pochette à la musicalité, en passant par le scénario, les textes et l’interprétation : « Avant ça, je ne faisais que des singles. Ça a été libérateur de faire cet album. C’est le seul format avec lequel j’ai eu la sensation de me représenter entièrement. »

Alors que la majeure partie des artistes rêvent de jouer devant leur public, celui qui a fait son premier festival à l’âge de 15 ans aux côtés de son frère Citizen Kay, entame une tournée de 23 dates, à guichets fermés, à partir du 9 avril. À seulement 22 ans, Genesis Owusu cultive sa curiosité et sa liberté de création tout en fuyant l’ennui. Aurait-il trouvé le moyen de briller sans chaînes ? Quoi qu’il en soit, mieux vaut le suivre, avant d’être rattrapé par ses « Black Dogs » au point de ne plus différencier l’animal de compagnie du maître.

« Une récit de chiens noirs avec des laisses en or
Des destins brisées racontées avec facétie
Qui est l’animal de compagnie et qui est le maître ?
 »

« The Other Black Dog »

Smiling with No Teeth, disponible sur toutes les plateformes.

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