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The Pan African Music Magazine
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Continuadores, dans l’ombre et la lumière de Samora Machel

Né de la rencontre entre deux artistes mozambicains multifacettes, Ailton José Matavela (aka Trkz) et Tiago Correia-Paulo, Continuadores est un hommage (en musique et en images) aux premières années de l’indépendance du Mozambique.

Photo : Samora Machel, président du Mozambique de l’indépendance (1975 à 1986)

Après A million Thing, un hommage audiovisuel au cinéaste français Jean Rouch, le Mozambicain Tiago Correia-Paulo installé à Johannesbourg (guitariste des regrettés Tumi & The Volume et producteur, entre autres, du récent rePERCUSSIONS), s’associe à son compatriote Ailton José Matavela (voix et machines), pour explorer avec nostalgie et poésie les premières années de l’indépendance du Mozambique. Rencontre à Praia (Cap-Vert), au lendemain de leur performance à l’Altantic Music Expo.


Après la sécheresse qui, en 2016, s’est abattue sur votre pays, celui-ci vient d’être frappé par un cyclone qui a fait un millier de morts et des centaines de milliers de sans-abri (
depuis, un 2ème cyclone a touché l’extrême-nord du pays NDRL). Comment allez-vous ? Et votre famille ?

Trkz : Je suis de Maputo et mes parents sont du sud du pays. Donc j’ai de la chance, aucune personne de mon entourage n’a été directement touchée. Mais, en réalité, cela affecte profondément chacun de nous de manière tragique. Toutes ces vies sont précieuses, tous ces gens sont mozambicains, nous sommes tous frères donc, en tant que nation, nous sommes tous affectés.

En plus, c’est l’année des élections (prévues à l’automne 2019 NDRL). Et il n’y a plus d’argent pour rien. Mon père a une entreprise de construction civile dont l’État est le principal client. Et comme ils ont une énorme dette, il ne le paye pas (le Mozambique est en proie à une crise de la dette engendrée par la corruption NDRL). Mon père est en faillite et l’État se justifie en disant que c’est la crise. Et maintenant, le cyclone… Ça va être une année très difficile pour nous. 
 

Trkz aux machines et Tiago Correia-Paulo à la guitare © AME


Tiago Correia-Paulo
 : C’est la même chose pour ma mère. Elle travaille pour le gouvernement et ça fait six mois qu’elle n’est pas payée. Et le gouvernement lui dit toujours : « T’inquiète pas, on va te payer, mais continue de travailler. » Elle est désespérée. Nous avons le sentiment que notre pays a été pillé par certaines personnes, ce qui nous rend très fragiles. Et là, nous avons été touchés par Mère Nature et cela nous rend d’autant plus vulnérables. Et même si l’on n’a pas été directement touché par le cyclone, nous sommes tous très émus. Je n’étais pas à Maputo à ce moment-là, mais je me souviens des premières images que j’ai vues et de m’être dit : « Waouh, quelle année pourrie ! ». Et là tu regardes le ciel et tu te dis : « Vraiment ? Ça, en plus du reste ? Ok, d’accord, mais voyons comment on avance maintenant. »


Est-ce que c’est justement pour redonner un peu d’espoir aux Mozambicains que votre projet puise son inspiration dans les premières années du pays ?

Tiago Correia-Paulo : Absolument. Nous nous inspirons de l’esprit de la révolution, de l’idée d’émancipation par la culture. À travers notre musique et nos visuels, nous essayons de rendre les gens optimistes, de leur donner des émotions, d’apporter un peu de lumière. Explorer en musique la philosophie de notre premier président, Samora Machel, un personnage clef de la libération et de l’unité du pays, c’est non seulement important, mais surtout utile selon nous. C’était un homme de culture et d’arts, pour qui il était important de créer des plateformes pour les promouvoir. Quelque part, cet état d’esprit s’est un peu perdu dans la pop et dans la musique en général.

Même si notre son ne sonne pas mozambicain et que nous n’utilisons pas d’instruments traditionnels, c’est important pour nous qu’il y ait une connexion avec cette partie de notre histoire, pas de faire une musique qui sonnerait bien à la radio. Car ce qui s’est passé dans les années qui ont suivi l’indépendance, à partir du milieu des années 70 et pendant les années 80, a contribué non seulement à la construction de la ville de Maputo, mais aussi au début de la construction d’une identité. 
 


Votre projet, « Continuadores », tire son nom d’un mouvement créé en 1985 par Samora Machel, premier président du pays, qui regroupait les « enfants de la Révolution ». À l’époque, vous aviez 8 ans, Tiago. Et vous, Trkz, qui avez 25 ans, vous n’étiez pas né. Qu’est-ce que ce mouvement représente pour vous ?

Tiago Correia-Paulo : J’ai fait partie des Continuadores quand j’étais à l’école, tous les enfants en faisaient partie. Au Mozambique, au début, tout le monde était très impliqué dans un groupe : il y avait celui des « femmes », celui de la « jeunesse ». Et c’était la même chose pour les enfants à l’école. On chantait tous les jours l’hymne national, on avait des rencontres tous les week-ends pour apprendre comment planter des céréales par exemple. La philosophie des Continuadores c’était d’apprendre à faire de ton mieux pour contribuer à la société, même si tu avais 5 ans.

Pour moi, c’était associé à l’école alors je disais à mes parents : « mais je vais déjà à l’école toute la semaine ! » Pour mes parents, qui avaient été très investis dans le gouvernement, c’était très important et ils me répondaient : « tu dois te lever tôt samedi et y aller. »
 


À partir du collège, ça a disparu petit à petit de ma vie. Ce n’est que des années plus tard, et avec nostalgie, que je m’y suis intéressé de nouveau. D’autant que j’ai grandi à Maputo près d’un parc qui avait pour nom « Le parc des Continuadores » et c’est dans ce parc que j’ai appris à faire du vélo, que je jouais aux billes
avec mes amis, c’est LE lieu de mon enfance.

Trkz : les Continuadores existent toujours aujourd’hui, mais personne n’en parle. Moi je n’en ai pas fait partie, mais j’en ai entendu parler. D’ailleurs, à l’école primaire on chantait la chanson « Nous sommes des Continuadores… » à chaque fois que nous faisions des marches pour des évènements avec d’autres écoles et on portait toujours le drapeau sans que je sache vraiment ce qu’il représentait. 
 


Tkrz, vous signez la quasi-totalité des textes et c’est vous, Tiago, qui avez réalisé les visuels du spectacle. Celui-ci démarre de manière très sombre. Têtes de mort, bombes et autres couteaux sont projetés derrière vous. Puis, dès le deuxième titre, Luminescences, des plantes, bien que fragiles, sortent de terre. C’est de cette manière que vous avez pensé votre set, crescendo, du chaos vers la (re) naissance ?

Trkz : Notre projet repose littéralement sur les relations entre ombre et lumière, vie et mort. Comme nous le disons dans nos textes (le titre Somos todos filhos do mar clôture le set NDRL), la vie est née dans les océans, les poissons sont remontés à la surface en suivant la lumière du soleil et ont finalement atteint les côtes. C’est ainsi que la vie est apparue sur terre. Être dans l’ombre, c’est être très vulnérable et on essaye d’exprimer la volonté qu’il faut pour atteindre la lumière. Nous devons nous confronter aux ténèbres parce que cela fait partie de la vie. Nous avons tous un côté sombre, mais aussi une lumière en nous. On peut explorer les ténèbres de manière romantique afin de trouver des réponses.


Prévoyez-vous de sortir un album avec ce projet ?

Tiago Correia-Paulo : Ce qui est important pour nous c’est de le partager avec le public, de créer une performance live qui est différente à chaque fois, qui utilise l’espace. Comme toutes les chansons ont une réelle structure narrative, peut-être qu’on va sortir une ou deux vidéos plutôt, pour donner une autre dimension aux histoires.

Trkz : Oui, plus qu’un album, je verrai bien un DVD qui permettrait d’avoir aussi les visuels. C’est plus qu’une expérience sonore, tout va ensemble et tout a été pensé en vue d’être présenté live, en interaction directe avec le public.

Tiago Correia-Paulo : Et plus, pour être honnête, je trouve que faire un album c’est devenu un peu ennuyant. L’enregistrer, puis prier pour qu’il se vende, c’est très déroutant. Ce n’est pas du tout romantique et nous sommes par-dessus tout un groupe romantique : nous sommes tous les deux des êtres romantiques, avec des idées romantiques, et on tient à le rester.

Trkz © AME

Lire ensuite : Atlantic Music Expo : le Cap-Vert toujours au cœur des musiques atlantiques
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