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The Pan African Music Magazine
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Atlantic Music Expo : le Cap‑Vert toujours au cœur des musiques atlantiques

Pendant 4 jours, la 7e édition de l’Atlantic Music Expo (AME) a fait vibrer Praia, la capitale du Cap-Vert. Showcases, débats, et soirée de concerts gratuits suivis de DJs sets permettent aux artistes, pour moitié originaires du Cap-Vert et pour l’autre d’Amérique, d’Europe et des Caraïbes de se faire connaître des professionnels et du public. Compte-rendu.

Photo : Mara Seck, du groupe Guiss Guiss Bou Bess (photo AME)

Lundi 8 avril, 19 h 30, à l’Assemblé Nationale, un bâtiment massif des années 70, récemment réhabilité en un temps record par une société de BTP chinoise. C’est dans sa salle de spectacle, qui accueille tout au long de l’année des concerts, que s’ouvre la 7e édition de l’AME. Dans le public, une délégation de professionnels bien coiffés et bien parfumés venus de 31 pays, du Japon à la Norvège. Aux premiers rangs : l’hôte de la soirée, le président de l’Assemblée Nationale, le Premier Ministre et, pour la première fois depuis la naissance du festival, le Président de la République du Cap-Vert. Pas de fouille à l’entrée ni de service d’ordre particulier, un seul garde du corps et pourtant tout l’exécutif est là : « c’est à la fois insensé, car anticonstitutionnel (d’avoir dans le même lieu tout le gouvernement et le Président, NDLR) et en même temps c’est un signal très fort pour nous », se réjouit Élodie da Silva, responsable des relations internationales de l’AME.

L’affiche de la soirée est, elle aussi, à haute valeur symbolique : deux femmes aux univers musicaux aussi opposés que leur géographie, mais que l’Atlantique relie. La première, Cremilda Medina, est née à São Vicente comme Cesária Évora. Elle enchaîne avec élégance – mais sans la grâce de la diva – mornas et autres coladeras. La deuxième, La Yegros, est argentine et fusionne beats ravageurs avec le chamamé (genre traditionnel argentin) et  la cumbia. Le ton de la 7e édition est donné : entre traditions et modernité, mélancolie et fougue, elle sera féminine et métissée. 
 

Cremilda Medina lors du concert d’ouverture (AME)


Mardi 9 avril, 21 h, quartier du plateau. Entre le marché central et l’Institut Confucius – qui depuis trois ans dispense des cours de mandarins, une scène a été installée dans la largeur de la rue Pedonal. Improvisés le long des échoppes, des bars ont remplacé les vendeuses de fraises et de cartes sim de la journée.

Près de la console, Lenka, venue spécialement de l’île Boa Vista, la troisième plus grande île de l’archipel. À 27 ans, cette grande blonde d’origine tchèque est guide touristique et a le projet de monter un évènement musical sur l’île « aux dunes ».

Subjuguée par le concert de la rockeuse malgache Kristel, elle est ensuite conquise par le duo franco-sénégalais Guiss Guiss Bou Bess. Si le projet est encore jeune (leur premier EP, Héritage, sort à la fin du mois), l’idée de mélanger sabar et électronique séduit. Dans le public, l’Égyptien Basheer, ou encore le Mozambicain Trkz qui se produiront sur cette même scène le lendemain dansent à cœur joie. À la fin du concert, Lenka nous confie qu’elle rêverait d’inviter le duo formé par Mara Seck et Stéphane Costantini pour enjailler la communauté sénégalaise de Boa Vista : « ils sont nombreux à travailler dans l’hôtellerie. En général, ce sont ceux que les touristes ne voient pas, ils s’occupent des jardins ou sont en cuisines. Je suis certaine qu’ils seraient fiers de voir que leurs traditions s’exportent et évoluent ». 
 

La Malgache Kristel, sur l’une des scènes de l’AME


Plus tard dans la soirée, on quitte la vieille ville de Praia pour le quartier résidentiel de Palmarejo, celui de l’Université. C’est là que la « Warehouse », un bâtiment moderne aux grandes baies vitrées a été construit l’année dernière pour accueillir les afters de l’AME. C’est à l’extérieur du bâtiment que la soirée se prolonge. Nous y retrouvons Patricia Carvahlo, 28 ans, cap-verdienne née en Suisse qui se produira sur la scène de la rue Pedonal deux jours plus tard accompagnée à la guitare de sa maman, Beth. Sa cousine s’appelle, elle aussi, Patricia. Elle a grandi au Portugal mais vit désormais à Praia. Pour être de la partie, elle a laissé son enfant de 2 ans à sa mère : «  C’est la semaine de l’année où il faut être Praia, c’est tellement calme ici normalement ! ». Très vite, la créolité s’invite à notre table : « c’est un véritable casse-tête, s’exclame la Suissesse. Beaucoup de gens ici aimeraient en savoir plus sur l’origine de leurs ancêtres, savoir de quel pays d’Afrique ils sont arrivés ici. Moi, au moins, je sais que mon grand paternel, un Suisse allemand, a rencontré ma grand-mère burkinabè dans les années 50 en Côte d’Ivoire. Quant à mon arrière grand-père maternel, lui, il avait une double vie : une famille au Portugal, une famille ici. » Sa cousine trouve que la Suissesse se pose trop questions : «  On ne peut pas dire qu’on est américains, ni européens, ni africains, on est tous des « atlantiques »,  des créoles quoi, un point c’est tout. »

Pendant que le DJ cap-verdien Danny Boy enchaîne en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, « Zouk La Sé Sel Médikaman Nou Ni » de Kassav et « Soco« , le dernier tube afrobeats du collectif nigérian Starboy, la discussion s’enflamme en créole entre les deux jeunes femmes. Celle qui a grandi au Portugal estime que le passé est loin et qu’il « est inutile de rester bloqué dessus ».  L’autre refuse cette posture. Elle évoque le FCFA, le pillage des ressources, la néocolonisation et conclut : « le passé est encore présent et on doit apprendre de lui pour avancer. » On a peur d’avoir fâché les deux cousines. Mais « Nos Ki Tem«  de Blackale braquage sonore de l’été 2017 au Cap-Vert et au-delà, avec ses guitares qui semblent s’être échappées d’un ndombolo congolais, finissent par les mettre d’accord. 
 


Mercredi 10 avril, 20 h 30, place Luís de Camões.
Une deuxième scène a été installée sur les pavés de basalte pour accueillir les musiques urbaines. Le drapeau guinéen flotte au milieu de la foule. L’enfant du pays, Soul Bangs, qui n’a répété que deux fois trois heures avec un band créé in situ, offre une prestation au groove impeccable.

Dans le public, beaucoup de jeunes garçons au look « d’Americanos », comme on appelle ici les Cap-verdiens de la diaspora américaine, vêtus de baggy et de casquette à l’effigie des équipes de la NBA. Tous connaissent par cœur les textes en créole du rappeur Ga da Lomba, natif de Praia installé aux États-Unis qui, lui, arbore un chapeau peul. Si la proposition musicale nous semble un peu datée, la foule l’acclame quand il confie en créole : « j’ai bientôt 39 ans, j’ai consommé de la drogue pendant 15 ans et ça fait maintenant 6 ans que je suis clean. C’est la musique qui m’a permis de m’en sortir. »

Rue Pedonal, le public est plus familial et l’écoute attentive pour Continuadores [retrouvez ici leur interview pour PAM]. Un projet imaginé par les Mozambicains Ailton José Matavela (Trkz) au chant et aux claviers et Tiago Correia-Paulo (Tumi & the Volume) à la batterie, la guitare et aux machines. Il puise son inspiration dans la philosophie du premier président mozambicain, Samora Machel : « Un personnage clef de la libération et de l’unité du pays qui était aussi un grand homme de culture, nous raconte Tiago Correia-Paulo. Même si notre son ne sonne pas mozambicain, c’est important pour nous qu’il y ait une connexion avec cette partie de notre histoire. Car avec l’indépendance (1975, ndrl), puis dans les années 80, c’est non seulement la ville de Maputo qui s’est construite mais aussi notre identité ». Au-devant la scène, Jean-Louis Brossard et Jérôme Gallabert, respectivement directeur artistique des Trans Musicales de Rennes (France) et du festival Sakifo (La Réunion) sont emballés, nous aussi.
 

Os Continuadores, (photo AME)


Jeudi 11 avril, 18 h 30, rue Pedonal. La fin de la semaine approche et le quartier est plein à craquer. Pendant que d’aucuns sirotent une caïpirinha, les enfants se font offrir des glaces. La mère et la fille Carvalho ouvrent le bal. En début de semaine, chez elles, en guitare-voix elles nous avaient émus aux larmes en interprétant une morna signée du papa de Beth, le guitariste Alípio Soare. Ce soir, avec leur orchestre, c’est à la danse que les Suisso-Cap-verdiennes nous invitent. La voix de Patricia se balade avec aisance sur les compositions de sa mère qui la regarde avec fierté mâtiner de consonances cubaines la traditionnelle coladera, ou ponctuer de scat le funaná ou le batuque (autant de styles cap-verdiens, NDLR).

Sur la grande scène, plus tard dans la soirée, ces mêmes rythmes cap-verdiens sont parés d’accents pop par une autre enfant du pays, Elida Almeida, 26 ans. Devant une foule compacte, la lauréate du Prix découvertes RFI 2015, impressionne par sa maturité, son énergie et sa générosité. Le public est donc chauffé à blanc pour accueillir, dans un tout autre registre, celui qui clôture magistralement la soirée : le Sud-Africain Bongeziwe Mabandla. En exclusivité, il nous fait découvrir certains titres de son troisième album à venir. Chanté en xhosa ou en anglais, son afro-folk n’a qu’un seul mot d’ordre : l’Amour. Le public cap-verdien ne s’y trompe pas, il est conquis. 
 

Bongeziwe Mabandla


Plus tard dans la nuit, à la « Warehouse » c’est le DJ et freestyler hors norme
Illspokinn qui emporte tous les suffrages. Cap-verdien basé à Brooklyn, il enchaîne remixes traditionnels et hip-hop hypnotique. L’âme créole et ses identités multiples s’invitent sur le dancefloor où les corps défient les lois de l’apesanteur dans un mélange de batuque cap-verdien et de Shaku Shaku nigérian.

Crée il y a 7 ans par José da Silva, manager de feu Césária Évora et l’artiste Mário Lúcio, alors ministre de la Culture, pour faire de la musique l’un des piliers du développement du Cap-Vert, l’AME est bel et bien en train de relever le défi. Désormais géré par une association dédiée, avec le concours du Premier Ministre et de la municipalité de Praia, il s’impose aujourd’hui à la fois comme une plateforme de diffusion des musiques actuelles et une grand-messe populaire qui, 4 jours durant, a fait faire vibrer la capitale. Il n’en reste pas moins un événement à taille humaine (et dont on se réjouit qu’il veuille le rester), qui permet de toucher du doigt et avec délice les valeurs cardinales de l’archipel, ce mélange unique de saudade, d’amour et de morabeza : ou comment douceur de vivre rime avec ouverture au monde, joie partagée et liberté de cœur et d’esprit. 
 

Lire ensuite : Sound system et résistance : la bande-son des émeutes noires de Brixton en 1981
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