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L’Afrocolombia de Lucas Silva : Paris, Porte d’Afrique
Lucas Silva, aka « Champeta-Man Original » © Lucas Silva

L’Afrocolombia de Lucas Silva : Paris, Porte d’Afrique

Épisode 1. Lucas Silva s’est passionné pour les liens qui unissent l’Afrique et son pays, la Colombie, au point de faire découvrir au reste du monde les richesses musicales issues de cette connexion. Il nous raconte ses longues années de recherches et de découvertes, dont Paris fut une étape cruciale.

C’est en traversant l’Atlantique que Lucas Silva découvre ce qui deviendra l’histoire de sa vie. Venu à Paris étudier le cinéma, suivant l’exemple de ses deux parents documentaristes, il se passionne pour la musique africaine et ses liens avec le pays où il a grandi, la Colombie. Depuis bientôt un quart de siècle, le natif de Bogota, où il est retourné vivre depuis une quinzaine d’années, n’a plus cessé de creuser ce sillon, interrogeant les relations entre l’Afrique et la Colombie, et dévoilant ainsi les richesses musicales des régions de son pays qui forment, selon ses mots, l’« Afrocolombie ». Dans cette première partie d’une interview en trois volets, celui qui fait désormais autorité sur cette question revient sur les débuts de son aventure, notamment sur l’importance qu’y prit Paris, véritable porte d’entrée d’une Afrique où il s’envolera plus tard, histoire d’y fouler la réalité. Le déclic se produit au milieu des années 1990 et très vite il fonde son label, Palenque Records, afin d’y publier les nombreux artistes afro-colombiens, mais aussi certains Africains qu’il admire. Au fil de la conversation, on retrouve des noms bien connus de la scène africaine, mais aussi des personnages plus underground, qui n’en ont pas moins compté. 

Quand as-tu commencé à t’intéresser à la musique afro-colombienne

En 1989, je suis arrivé à Paris suivre des études de cinéma, j’avais 17 ans. Ce n’est que bien plus tard, au milieu des années 1990, que j’ai voulu réaliser mon premier documentaire. J’ai alors pensé aux musiques noires de Colombie, un peu par hasard. D’ailleurs, quand je suis rentré chez moi en 1996, je n’étais même pas sûr qu’en Colombie il y ait ou non une vraie population noire : moi, j’habitais la capitale Bogota, une ville très « blanche » à l’époque (en réalité métisse, car tous les Colombiens sont métissés, quand bien même ils se considèrent comme « blancs »). C’est en partant cette année-là à Carthagène (dans le Nord du pays, NDLR) faire un documentaire sur la cumbia, que tout s’est vraiment précisé.

Qu’as-tu «trouvé» sur place?

Si niveau Cumbia à l’époque il ne se passait pas grand-chose, j’ai en revanche découvert la champeta, grâce à des amis qui m’ont tout de suite dit que c’était une musique du ghetto, une musique de voyous, de bandits et de marginaux. La champeta, c’était alors surtout d’énormes malentendus pour ceux qui n’en avaient qu’une vague idée. Même les gens de la gauche bohème n’y comprenaient rien ! Tout le monde avait peur d’aller dans les sound-systems. Moi, il m’a suffi de rencontrer plusieurs chanteurs pour comprendre qu’il y avait là un sujet inexploré. Ils me parlaient d’artistes congolais en vogue à l’époque : Pepe Kalle et Empire Bakuba, Papa Wemba, Bopol Mansiamina, Nyboma, Dally Kimoko et bien d’autres. Je ne connaissais rien de tout ça et ça n’a pas manqué de les surprendre quand je leur ai dit que j’habitais Paris : car la plupart de ces musiciens habitaient la capitale française, et tous s’y produisaient régulièrement en concert.

Los Reyes Criollos de la Champeta

On dit souvent de Paris qu’elle est la porte de l’Afrique, de par notamment les liens qu’elle a gardés avec l’ancien empire colonial français. Ça a donc été le cas pour toi…

Et comment ! Quand je suis rentré de Carthagène, j’avais pour mission de dénicher des disques africains : les musiciens de champeta m´avaient confié une grande liste, je me suis donc mis en recherche. Vers la fin des années 1990, j’habitais Château Rouge (un quartier populaire de Paris réputé pour son marché et ses boutiques africaines, NDLR), et c’était le quartier idéal : il y avait plein de magasins de disques. Très vite, j’en ai profité pour écouter les nouveautés en permanence, et envoyer des disques à El Rey de Rocha, le plus grand sound-system de champeta. Ces disques devenaient les exclusivités qui faisaient le prestige du sound-system. C’était un peu comme des dub plates en Jamaïque. 

Tu as donc constitué un réseau d’informateurs dans ton quartier…

Ce quartier que j’aime vraiment m’a permis de rencontrer plein d’amis d’Afrique, et de passer de super moments. C’est comme ça que j’ai travaillé comme cameraman pour le producteur malien de Camara Productions, rue Marcadet. Ce fut une vraie initiation : il m‘envoyait filmer des concerts dans des salles communautaires, notamment avenue du Président Wilson, mais aussi des baptêmes dans des foyers pour travailleurs immigrés, ou des vidéo-clips. Grâce à lui et à d’autres amis, j’ai pu entrer dans un milieu qui m’a tout de suite passionné. Ces musiques étaient encore très méconnues en Occident. Et puis je dois reconnaître que j’étais fatigué de traîner dans la France des blancs…

C’est-à-dire ? 

En fait, j’avais des rapports difficiles avec les gens, tout le monde m’engueulait, j’étais un immigré bas de gamme, je passais mon temps à galérer. Soudain, je me suis retrouvé dans un autre milieu beaucoup  plus amical, plus en empathie. En tant que Colombien, les gens me ressemblaient plus : ils étaient dans la même situation que moi, mais ils avaient des histoires très différentes. 

C’est à cette époque que tu fréquentes Radio Nova et notamment Bintou Simporé.

Oui, et c’est elle qui m’a présenté celui qui sera l’un de mes grands frères : MC Iba, Ibrahima Cissé, un chercheur en musiques qui avait déjà réalisé plusieurs compilations de musiques africaines. Il avait été présentateur à Radio Nova, RFI et Africa N° 1, entre autres. Je voulais sortir ma première compilation de champeta avec mon label Palenque Records, et je l’ai faite avec lui. C’est lui qui m’a guidé, il est devenu mon meilleur ami. Au niveau musique, ce fut un vrai professeur pour moi. C’était vraiment un gars hors norme, une des meilleures oreilles que j’ai pu rencontrer pour ainsi dire, avec lequel j’ai eu la chance de faire deux compilations (Champeta Criolla vol 1 sorti en 1998  et Champeta Criolla Vol 2  deux ans plus tard). C’est aussi lui qui m’a présenté les Ray Lema, Manu Dibango et plein d’autres artistes. Un peu plus tard, j’ai aussi rencontré mon ami Malick Ndiaye, grâce auquel je suis devenu DJ. Malick gérait un espace dans un squat hyper cool vers la station Maraîchers, dans le vingtième arrondissement. Je jouais tous les week-ends dans cet endroit incroyable, un lieu très délabré sur plusieurs étages, fréquenté essentiellement des Africains et des Caribéens. On a vécu des fêtes que je n’oublierais jamais tellement les gens kiffaient la musique.

Tu as aussi fréquenté la radio Africa Numéro 1…

Oui, j’y allais souvent pour apporter mes productions à Manu Dibango et Robert Brazza, et c’est là qu’un jour j’ai rencontré Sékou « Diamond fingers » Diabaté, une de mes idoles. J’étais vraiment heureux de connaître enfin celui qui représente tellement le Bembeya Jazz et son histoire. Je me souviens qu’il m’a chanté un super morceau afro-cubain a capella, dans un café à Belleville. J’étais par terre ! Et tu ne vas pas le croire : ce morceau était très populaire dans les palenques* de Colombie. J’en ai frémi, car j’ai ce jour-là pu voir que malgré la distance, l’éloignement entre la diaspora et l’Afrique, le feeling était resté le même pour certaines musiques ou chansons. Le sang de la musique est éternel dans les veines de la diaspora. 

Et naturellement au bout d’un moment il fallait bien que tu fasses le grand saut, en allant vraiment en Afrique…

La première fois, c’était en 2000:  je suis parti au Mali avec l’équipe de Mondomix (journal désormais disparu consacré aux musiques du monde, NDLR) : Marc Benaiche et Benjamin Minimum. Ils m’avaient invité comme cameraman pour filmer le festival Bamakoustique, qui était organisé par Philippe Conrath, le fondateur du label Cobalt. C’est là que j’ai pu croiser le grand Sekouba Traoré, la musique de chasseurs traditionnels, Lobi Traoré, Neba Solo et plein d‘autres musiciens incroyables, qui jouaient sur scène avec une maîtrise phénoménale. Au cours de ce voyage, je me souviens avoir filmé chez Mali K7 une longue interview d’Ali Farka Touré. Un souvenir qui reste gravé. Ce monsieur dégageait un truc très fort. Je suis retourné plusieurs fois au Mali car j’avais rencontré le producteur Frédéric Galliano, et il souhaite que je filme ses activités avec son label Frikywa. On est restés un mois et demi à parcourir le Mali et Sénégal. On a énormément documenté les musiques dans des villages. Un sacré voyage.  

Tu es allé ailleurs en Afrique ? 

Oui, en Afrique du Sud toujours avec l’équipe de Mondomix, pour filmer le festival Awake Africa, en 2000 aussi. Je rêve surtout d’aller au Nigeria, Ghana, Bénin, Burkina Faso, en fin partout en Afrique subsaharienne. Car ce sont des territoires qui ont une grande connexion culturelle avec Afrocolombia, de par leur musique et par la culture en général. 

Qu’est-ce que tu as appris de ces voyages ? 

En fait, ces voyages ont changé ma vie et ma vision. En Amérique latine, on n’a que des clichés et de fausses pistes sur l’Afrique, qui empêchent beaucoup de comprendre vraiment ce continent avec lequel nous sommes pourtant liés. Avant Internet, on avait juste les films de Tarzan ou ceux de Disney, ou certains bouquins d’anthropologie remplis d’erreurs et de fautes. Les seules images d’Afrique, c’étaient celles de famine, rien d’autre. Les Espagnols qui nous ont colonisés étaient très ignorants et très primitifs, donc ils ont semé plein de mensonges chez nous. Les Cortes, Heredia et d’autres conquistadors n‘étaient que des voyous qui croupissaient dans les prisons d’Espagne, ils ont été envoyés chez nous pour faire le sale boulot de coloniser le Nouveau Monde : ils ont pillé tout ce qu’ils ont pu et après ils ont essayé d’arnaquer la couronne espagnole. Certains curés espagnols disaient que le mot « mandinga » voulait dire diable, et ont mis plein d’autres idioties dans la tête des gens. Comme dire que les esclaves n’avaient pas d’âme lorsqu’ils ont mis en place les tribunaux de l’Inquisition chez nous, au 16e siècle. Pour nous donc, il est hyper important de décoloniser le récit de notre histoire, de décoloniser toute notre société, car sinon on continuera à n’être qu’une nation avec une identité erronée. 

En Afrique je me suis senti mieux que chez moi, d’une certaine manière. À travers la musique et l’histoire, j’ai pu établir plein de liens concrets entre certaines ethnies et des coins précis de la Colombie. Mais surtout, j’ai rencontré des gens qui quelque part me ressemblaient. 

Tu as pu « matérialiser » les liens entre l’Afrique et la Colombie sur lesquels tu travaillais déjà… 

C’est en 1999 que j’ai commencé à travailler sur cette connexion. J’ai vite compris que les bouquins d’anthropologie colombiens sur cette relation entre mon pays et ce continent étaient écrits et pensés par des métis colonialistes, avec là encore quantité d’erreurs très basiques. Aujourd’hui, on trouve toujours très peu de romans africains traduits en espagnol. Du coup, il est apparu évident que je devais faire ce travail d’enquête moi-même. Ce que j’ai commencé à faire au cours des voyages au Mali et au Sénégal. Je prépare d’ailleurs en ce moment un long métrage documentaire sur ce sujet, en rapport à la musique et aux cosmogonies communes. Depuis j’ai fait énormément d’échanges entre le Congo et la Colombie, un pont où j’ai pu inviter des artistes comme Bopol Mansiamina, Diblo Dibala et Matchatcha, Mbillia Bell, Lokasa Ya Mbongo. En Colombie, ce sont de véritables stars adulées par des foules. 

*les palenques sont les villages rebelles fondés à l’origine par des esclaves en fuite, et ayant conservé une culture plus proche de celle de leurs aïeux africains.

Retrouvez Palenque Records sur Bandcamp.

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