Il y a trente et un ans Nelson Mandela sortait en marchant, aux yeux du monde entier, de la prison Victor Verster où il avait passé les dernières années de sa détention. Il était libre, enfin. Certes, depuis le mitan des années 80, lui et ses compagnons les plus proches avaient été déplacés du pénitencier de Robben Island vers des lieux de détention moins rudes d’où les discussions avec les autorités sud-africaines d’alors purent démarrer en toute discrétion.
Mobilisation en musique
Dans le même temps, les organisations anti-apartheid, à commencer par l’ANC clandestine, rendaient les townships ingouvernables. La pression internationale, sous la forme d’un boycott de plus en plus suivi, acculait le gouvernement de Pieter Botha. La situation du gouvernement sud-africain devenait de moins en moins tenable, d’autant que la mobilisation des organisations de la société civile et celle des artistes offraient un écho sans précédent à la cause anti-apartheid.
Déjà, en 1984, le groupe britannique The Specials enregistrait « Nelson Mandela », qui deviendra l’un des hymnes fédérant tous ceux qui, à l’extérieur, demandaient sa libération. Youssou Ndour, un an plus tard, enregistrait lui aussi un titre dédié au leader dont le portrait lui-même était banni en Afrique du Sud. Ce qui explique d’ailleurs le titre de la fameuse chanson de Johnny Clegg, « Asimbonanga » (« nous ne l’avons pas vu ») parue en 1987 et se classant en tête des charts européens. Sans doute, le concert géant organisé le 11 juin 1988 dans le stade de Wembley, à l’approche du soixante-dixième anniversaire de Madiba, aura-t-il été le point culminant de cette mobilisation internationale.
C’est pour ce concert long de onze heures, suivi en mondio-diffusion par 600 millions de personnes, que le groupe Simple Minds composa « Mandela Day », interprété ce jour-là pour la première fois en public (et enregistré l’année suivante). Outre Sting, Harry Belafonte, Tracy Chapman, Dire Straits, Joe Cocker ou encore les Mahotella Queens, Miriam Makeba et Hugh Masekela (qui l’année précédente avait enregistré « Bring Him Back Home » – « ramenez-le à la maison »).
Certes, un concert ne pouvait à lui seul changer la donne, mais il résonnait comme le point d’orgue d’une campagne internationale qu’on ne pouvait plus ignorer. Difficile en cette année 1988 de ne pas connaître le nom de Nelson Mandela.
En Afrique du Sud, l’étau se desserre
Au pays, l’année suivante, Brenda Fassie enfonce le clou avec « Black President », chanson aussi prémonitoire que censurée illico par des autorités qui ont de toute façon déjà perdu la bataille de la communication. Cette même année, Pieter Botha victime d’un AVC est remplacé par Frederik De Klerk en juillet, lequel décide d’élargir les vieux compagnons de lutte de Mandela (comme Walter Sisulu) puis d’autoriser de nouveau l’existence légale de l’ANC. Nous sommes le 2 février 1990, et celui qui partagera le Prix Nobel de la Paix avec Mandela annonce au parlement la libération de Mandela. L’homme a pris tellement d’importance qu’il faudra différer sa sortie effective de quelques jours afin de prendre des mesures de sécurité.
Le 11 février c’est donc chose faite, devant les caméras du monde entier et sous les yeux d’une population qui sait, malgré les difficultés, que les jours de l’apartheid sont comptés. D’autant que 27 ans de détention n’ont en rien émoussé la détermination de Madiba, qui devant la mairie du Cap fait son premier discours public :
« Je suis ici devant vous non pas comme un prophète, mais comme votre humble serviteur. C’est grâce à vos sacrifices inlassables et héroïques que je suis ici aujourd’hui. Je mets donc les dernières années de ma vie entre vos mains. (…) Aujourd’hui, la majorité des Sud-Africains, noirs comme blancs, reconnaissent que l’apartheid n’a aucun avenir. Ce système doit être aboli d’un commun accord afin de reconstruire la paix et la sécurité. (…) La situation qui nous avait poussé à prendre les armes existe toujours aujourd’hui. Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer. »
La suite de l’histoire est connue, et malgré les difficultés (notamment les violences des groupuscules suprémacistes blancs, ou encore les affrontements fratricides qui opposent, dans les Townships, les membres de l’ANC à ceux de L’Inkatha Freedom Party et que le pouvoir tente d’instrumentaliser), les dernières lois de l’apartheid tombent une à une. Une nouvelle constitution est promulguée, et Mandela finit là où Brenda Fassie l’avait vu : comme premier président noir d’une Afrique du Sud réellement démocratique.
Les hommages en musique, commencés lorsqu’il était enfermé, n’ont depuis lors jamais cessé de pleuvoir : du Camerounais Petit Pays au Jamaïcain Burning Spear, des Congolais Theo Blaise Kounkou à Tabu Ley en passant par King Kester Emeneya sans oublier les Réunionnais Danyel Waro et Christine Salem ou le Trinidadien Mighty Sparrow, Archie Shepp et Abdullah Ibrahim et même, après sa mort en 2013, le français Francis Cabrel. Tous se retrouvent dans notre playlist et, sur tous les tons, accompagnent une pensée que Nelson Rolihlahla Mandela aimait partager : « La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique ».