Sociedade Recreativa est né de la rencontre entre le trio franco-brésilien Forró de Rebeca et le producteur américain Maga Bo, installé à Rio de Janeiro. C’est aussi, et surtout, la rencontre des musiques traditionnelles afro-brésiliennes avec les beats électroniques et les infra-basses de la dub. À l’occasion de la sortie de leur second album Sociativa, et de leur passage en concert à Paris, retour sur les origines de leur fusion global-bass.
« Tupi or not Tupi, that is the question »
C’est à travers ce jeu de mot, en référence au peuple natif de la côte brésilienne, que le poète Oswald de Andrade résume son Manifeste Anthropophage de 1928. Une ode à l’anthropophagie culturelle, une invitation à s’inspirer des racines brésiliennes pour définir sa propre modernité et son identité. « Manger » la culture colonisatrice, non pas pour l’imiter mais l’assimiler afin d’en forger une déclinaison singulière. C’est dans cette ligne de pensée que se sont inscrits deux des principaux courants musicaux brésiliens de la fin du XXe siècle : la Tropicália de la fin des années 60, qui mélangeait rock psychédélique à la musique populaire brésilienne de l’époque, et le Mangue Beat du début des années 90 qui revisitait l’héritage culturel du Nordeste avec ses riffs de guitares électriques.
C’est cet héritage que revendique une nouvelle génération d’artistes qui mélangent aujourd’hui traditions musicales afro-brésiliennes et musiques électroniques ou urbaines. Maga Bo, qui est derrière les productions de Sociedade Recreativa, a d’ailleurs participé à l’émergence de cette scène à travers son label Kafundó Records. Faisant la part belle aux rythmes du Nordeste tels que le coco, il a également le flair pour dénicher les producteurs nationaux qui réinterprètent ces traditions de manière contemporaine à travers différentes compilations et EPs de remixes.
Leur rencontre avec Forró de Rebeca s’est faite à travers un ami en commun, DJ Tudo, également un grand digger et collectionneur de musiques afro-brésiliennes, raconte Jonathan « Matuto » Da Silva, chanteur, percussionniste et guitariste du groupe. L’association avec le producteur apparaît ouvre alors la possibilité d’amplifier le spectre sonore de ces musiques. « On essaie d’imaginer quel serait le futur de ces musiques, de retranscrire ces rythmes traditionnels chargés d’histoire dans un univers futuriste, électronique ».
Le live comme rituel collectif
Après un premier album éponyme qui s’apparentait plus à « un album de Forró de Rebeca produit par Maga Bo« , le groupe revient aujourd’hui avec un nouvel album, Sociativa, qui explore d’autres univers sonores, et à se détache du Nordeste pour s’inspirer de rythmes tels que le jongo, l’ancêtre de la samba, née à Rio de Janeiro. « Le fait d’avoir tourné ensemble, d’avoir joué sur scène nous a permis de mieux nous connaître, de nous créer un répertoire commun. Ça a également rendu le processus de composition plus spontané. On va en studio, on enregistre des polyrythmies, puis on garde ce qu’on aime, on va piocher dans nos anciens enregistrements… »
C’est d’ailleurs sur scène que la musique du groupe prend tout son sens. Après la sortie de leur premier album, ils ont arpenté les scènes et festivals d’Europe et du Brésil, où ils ont joué aux côtés de groupes tels que Baiana System.
Le live, c’est aussi le moyen pour eux de faire découvrir ces musique afro-brésiliennes sous un nouvel angle à un public souvent issu de la culture électronique. « Même au Brésil, on se rend compte que le public des festivals n’est pas habitué à écouter ces musiques traditionnelles dans ce contexte. Mais quand on arrive à faire danser la ‘ciranda’ (danse populaire brésilienne en ronde) à une foule venue écouter de la musique électronique, c’est que ça marche ! », raconte Seu Matuto.
Et surtout, la scène leur permet de retrouver le lien entre ces rythmes afro-brésiliens et la danse, les deux étant indissociables. « La plupart de ces musiques sont à l’origine fonctionnelles, elles ont un rôle social, spirituel et sont liées à un moment collectif dans la vie sociale où la danse a la même importance que la musique. C’était important pour nous de conserver cette relation. » Cette interdépendance entre la danse et la musique dans leurs concerts s’est maintenant renforcée avec l’arrivée de la danseuse et chorégraphe Tereza Azevedo. Ajoutez à cela les projections du vidéaste Marcelo Valente, et leurs concerts se transforment en véritable expérience multisensorielle collective.
Exalter les racines afro-brésiliennes
Mettre en avant ces cultures afro-brésiliennes par la musique, c’est un moyen de transmettre aux nouvelles générations et à de nouveaux publics l’amour de cet héritage. Ce processus de transmission orale, par la danse et la musique, Jonathan Da Silva le connaît bien, lui qui a passé son adolescence à Olinda, ville de l’État du Pernambouc proche de Recife, où il a appris la capoeira Angola avec les maîtres locaux. « C’était l’époque de Gilberto Gil au Ministère de la Culture, une période de revalorisation des origines africaines des cultures brésiliennes, et principalement des cultures du Nordeste ».
Rendre hommage à ces traditions, c’est également rendre hommage à ceux qui les font, qui les perpétuent, qui les font vivre. « Au Brésil, le terme folklore est péjoratif, car il désigne une culture du passé, morte. Quand on parle de ces cultures, on parle de ‘cultura popular’, de culture populaire, car elle est vivante, elle fait partie intégrante de la vie des Brésiliens. Tous les rythmes que nous jouons viennent d’une même palette, ont des origines africaines, mais correspondent à des moments différents de la vie des Brésiliens : une personne peut se réveiller en écoutant de la bossa nova, puis aller au Terreiro dans un rituel de candomblé ou un cours de capoeira, puis boire une bière en écoutant de la samba et finir sa soirée au baile funk. »
Dans un contexte politique conservateur et rétrograde, qui démonise les cultures et imaginaires amérindiens et afro-descendants au profit de valeurs occidentales et catholiques auto-proclamées « traditionnelles », mettre en avant ces cultures est un acte politique et un travail perpétuel. « Nos textes ne sont pas vraiment militants car la musique parle d’elle-même. Le fait de la jouer est un activisme en lui-même. » Une démarche qui peut coûter cher, comme en témoigne l’assassinat du compositeur, activiste culturel et maître de capoeira Mestre Moa do Katendê pendant l’entre-deux tours des élections présidentielles de l’année 2018.
Sociativa de Sociedade Recreativa est sorti le 1er Février sur Jarring Effects. Commandez-le sur Bandcamp.
Sociedade Recreativa sera en concert le jeudi 14 février au Hasard Ludique à Paris.