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Joey :  Aux sources du soldat
© Anne Mimault

Joey : Aux sources du soldat

Joey le soldat est sans conteste l'une des plumes les plus aiguisées du pays des hommes intègres. Nous l'avons rencontré une nouvelle fois avec plaisir à l'occasion de la sortie de son quatrième album Back to the Roots. Portrait.

En concert, le rappeur burkinabé Joey le soldat s’empare du micro et délivre son message avec une énergie contagieuse que peu de ses pairs peuvent égaler. L’assurance du MC en treillis contraste avec sa manière presque timide de s’exprimer hors de la scène. D’ailleurs pourquoi ce pseudonyme de « soldat » ? « Pour rendre hommage à mon grand-père qui était tirailleur pendant la Seconde Guerre mondiale. Les tirailleurs dits « sénégalais », enrôlés de force, venaient en fait de tout le continent. Ils se sont sacrifiés en espérant que le colonisateur donne l’indépendance à ces pays. Le général de Gaulle est venu à Brazzaville : « Venez nous aider à lutter contre le nazisme. Si on gagne vous aurez plus de liberté. » La suite sera pleine de désillusions. « Il y a eu cette fausse indépendance de la Haute-Volta le 5 août 1960. » décrypte Joey. «Nos anciens se sont battus pour une Afrique libre et meilleure. Leur combat n’est pas entièrement terminé. C’est à nous, la nouvelle génération, de le continuer et de perpétuer les idéaux de ces grands-parents. »

De son vrai nom, Joël Windtoin Sawadogo, trente-sept ans, est né à Koumbri, au nord du Burkina Faso. Depuis l’irruption du terrorisme islamiste au Burkina Faso en 2015, Joey ne peut plus revenir dans sa région natale. Il l’exprime avec pudeur mais surtout avec un profond sentiment d’injustice : « Je ne peux plus aller là d’où vient ma famille. Cette zone est investie par des groupes armés. C’est un déchirement de ne pas pouvoir revoir où je suis né. Il n’y a plus personne là-bas. Les populations se sont déplacées vers Ouahigouya (grande ville du nord, NDLR) ou vers des endroits plus apaisés. »

Joey a grandi à Ouagadougou, plus précisément à Tanghin, secteur 23. Quand il en parle ses yeux brillent: « C’est un quartier très animé entre les marchands de moutons, les femmes qui vendent les légumes au bord des routes, les ambiances de kiosques, les maquis, la musique, les gens qui causent… »

C’est dans ce climat vivifiant que le hip-hop entre dans la vie du jeune homme, au lycée Beni-so en 1996-1997. « À chaque fin de trimestre, il y avait des activités culturelles, du chant, de la danse. J’observais des jeunes faire des karaoké sur des morceaux qu’ils avaient choisis. Petit à petit, ça m’a donné envie d’écrire. J’avais un professeur de français qui aimait bien me donner des textes. Je rappais donc mes textes scolaires sur un instru de rap pendant les nuits culturelles. J’ai fait ça à deux reprises et ça a plu.» Inspiré par son grand-frère, Joey écoute sur K7 les nouveautés de l’époque: « Beaucoup de rap américain comme le Wu Tang Clan, l’âge d’or du rap français IAM, Troisième oeil, Fonky Family… Positive black soul, Pee Froiss, Daara-J du Sénégal, Tata Pound du Mali… J’étais influencé par cette génération plus âgée. »

Back to the roots

C’est d’ailleurs à cette période de l’âge d’or du hip-hop old school des années 1980-1990 que rend hommage Back to the Roots (retour aux sources) : le dernier opus de Joey, autoproduit, dans lequel il figure sur la pochette avec un antique poste à cassette. « Bien avant d’enregistrer l’album, j’ai réfléchi à cette direction musicale là, c’est-à-dire le boom bap (onomatopée désignant une rythmique grosse caisse et une caisse claire appuyant sur les temps forts NDLR).  Ce n’est pas non plus un hasard si sur le bien nommé « Ol’ school »,  il y a 100 kara et Mo’az, qui, avec leurs groupes respectifs OBC et La Censure, font partie des pionniers du rap au Burkina Faso. « Ce sont des groupes qui ont bercé ma jeunesse à la fin des années 1990 parce qu’ils disaient ce que j’avais envie d’entendre.» On entend aussi Napoleon Da Legend, rappeur américain d’origine comorienne sur deux autres titres « Sans prétention » et « Le combat ». Pour recréer cette couleur musicale de l’époque, Joey a fait appel à des beatmakers comme Aleste du Havre, mais aussi Oji edutainment, de San Francisco sur « Tond Tenga » ou Runi Nzeem de Dubaï qui a signé une production « à l’ancienne » sur le morceau « Roots ».

« Internet permet ces échanges avec des beatmakers de partout. » résume Joey. Le tout a été enregistré avec des musiciens à Ouagadougou et mixé et masterisé à Bordeaux par Oncle Phil, un vieux complice. « Je l’ai connu en 2012, à l’époque des premières tournées de « Waga 3000 », avec Art Melody. Il a aussi été mon ingénieur du son pour la tournée de mon disque « Barka » en 2017, organisée par Tentacule Records. »

Burkin Ba, dans le vent de la révolution 

Mais revenons aux débuts de Joey. Celui-ci forme d’abord son premier crew à Tanghin, appelé Phénomène, avec quatre camarades. « On a animé des open mic et des sound systems au quartier. Il y avait des concours de rap à Tanghin qu’on a commencé à remporter. Ça m’a permis d’aller jusqu’aux battle du festival Waga Hip Hop. J’ai été classé premier en 2009-2010 ».

Licence de lettres modernes de l’université de Ouagadougou en poche, Joey sort en 2012, avec le label bordelais Tentacule records, un premier album en téléchargement libre La parole est mon arme, qui aura malheureusement peu d’échos. Dans le même temps, avec son aîné le rappeur Art Melody et DJ Form il crée Waga 3000, un nom imaginaire pour dénoncer la société à deux vitesses au Burkina Faso. «C’est une référence au quartier de Ouaga 2000, au sud-est de la ville, avec de belles villas dont certains résidents sont soupçonnés de détournements de fonds au détriment du développement du pays. Pourquoi une minorité concentre entre ses mains les richesses du pays pendant que beaucoup sont dans le chômage extrême ? »

Mais pour Joey, l’explosion à l’internationale et surtout dans son propre pays viendra deux ans plus tard avec la sortie de « Burkin ba ». « Ce disque a coïncidé avec l’insurrection populaire du 28 octobre au 3 novembre 2014 qui a chassé le dictateur Blaise Compaoré. L’album a connu un grand succès parce qu’il y avait dans la société une profonde envie de changement. Mon message contestataire est tombé pile au bon moment. Les gens l’ont validé. C’est comme ça que beaucoup de mes compatriotes m’ont découvert. »

 En 2016, le rappeur sera marqué par sa participation au mythique festival Nyege Nyege en Ouganda : « Je suis allé en Afrique de l’Est pour la première fois. J’ai dû passer par le Ghana, prendre l’avion d’Accra à Entebbe. Là on est venu me chercher pour rejoindre Kampala. Avec cette barrière de la langue je ne savais pas si les spectateurs allaient être dans mon show. J’ai été émerveillé. Les gens sont venus me soulever sur scène. J’ai fait le tour du festival porté par la foule. Ça s’est si bien passé que je suis resté un mois et demi à Kampala. J’ai eu d’autres concerts et j’ai enregistré avec des artistes locaux Blessed San et Ginsu qu’on retrouve sur mon album de 2017 Barka. » Cette même année, Joey se produit aux Francofolies de la Rochelle « Dès qu’on a envoyé le premier coup de batterie ça ne s’est plus arrêté. L’ambiance était totalement hystérique. Un grand souvenir. Au festival Fiesta des suds à Marseille on a aussi été hyper bien accueillis. C’était énorme. »

Mais la fête sera assombrie par l’apparition de la pandémie du Covid-19. En mars 2020, Joey le Soldat est en France avec son EP « Faaso », enregistré avec Mad Rey. « On a joué à la Boule noire. Ensuite, je devais me produire à la Marbrerie le 13 mars en première partie de Lord Finesse. Sauf que la veille Emmanuel Macron a annoncé que les concerts étaient annulés. Charles X, une autre signature de Tentacule records, qui était aussi en tournée a dû repartir aux États-Unis et moi au Burkina Faso. Avec Charles X, Joey gravera un titre « Sick and sad » à partir de fichiers partagés, sur une production de son DJ de tournée Faniry Jah Tovo pour décrire « l’ambiance du monde pendant le corona, malade et triste. Le chaos, les gens qui ne pouvaient plus se voir, la vie qui était devenue impossible. On n’oubliera pas ce traumatisme de sitôt. »

Retour aux sources

Le nouvel album de Joey « Back to the roots » est aussi un retour aux sources de son pays, le Burkina Faso, qui traverse une situation politique compliquée. « Se rendre compte que sur le chemin on s’est égaré. À travers chaque nom de famille, comme le mien Sawadogo, il y a des valeurs de vivre-ensemble, de partage, de cohésion. C’est peut-être aussi cette sagesse qui va nous sauver.» Il faut savoir d’où l’on vient pour avancer. C’est le sens du morceau « 6ktrices », dans lequel sont évoqués Diaba Lompo, souverain du XIIIème siècle, qui a fondé la ville de Fada N’Gourma, et le roi mossi Wobgo. « Les colons ont eu du mal face à leur résistance farouche, même s’ils ont perdu à la fin. Face aux canons français, Naaba Wobgo a dû s’enfuir au Ghana en 1897. La France doit dire la vérité sur la colonisation. Quand François Fillon dit en 2016 que c’était un « partage de culture » ou quand je lis que « sans la colonisation il n’y aurait pas eu de développement de l’Afrique » je ne suis pas d’accord ! Les colons ne sont pas arrivés dans une ambiance bonne enfant où tout le monde est devenu ami. C’est une histoire sanglante, avec des coups de feu, des familles séparées ou massacrées, des têtes ou des mains coupées exhibés comme des trophées sur les marchés pour l’exemple, pour empêcher toute velléité de résistance. » Chez Joey, la dénonciation du colonialisme se conjugue au présent avec la mainmise des multinationales en Afrique. Dans le dernier couplet de la chanson il nous dit : « Pris dans l’ignorance, nos valeurs trinquent chez Total ».

« Je parle de la surexploitation pétrolière. Derrière la guerre pour l’énergie il y a beaucoup de drames. On affame des gens, on détruit des forêts, des parcs naturels, on pollue l’environnement. L’humanité est une valeur qui n’existe plus. Ces grosses compagnies ne veulent qu’une chose, le « bénef ». Dans les pays producteurs de pétrole les habitants sont dans la misère. Pour en prendre le contrôle et amasser des gains, les multinationales n’hésitent pas à mettre ces pays dans le chaos. On a vu ce qui s’est passé au Nigeria ou en Libye. »

La mort rôde aussi hélas dans le morceau « Pagousi » qui signifie « Je n’ai pas dormi » en langue mooré : « À force de penser à la situation, tu te réveilles en sursaut et tu ne parviens pas à te rendormir. Chaque jour on apprend qu’ à tel endroit du pays des familles ont été endeuillées, que des écoles ou des marchés ont été incendiés. La population est inquiète. Aujourd’hui, il faut être courageux pour quitter Ouagadougou et voyager à l’intérieur du pays. Il y a des des coupeurs de route, des terroristes armés. Des personnes ont été kidnappées par ces forces obscures. Il faut taire nos différends, retrouver le chemin de l’unité nationale et on trouvera la voie pour sortir de cette impasse. »

Voir le futur dans la jeunesse

Dans « Mbalé », Joey évoque les jeunes qui prennent le chemin de l’exil. « C’est une manière d’interpeller les dirigeants sur le manque de structure pour encourager cette jeunesse, leur redonner de l’espoir. Comme chacun sait, elle est le fer de lance de l’économie. Un pays ne peut pas avancer en mettant ce fer de lance de côté. Si les jeunes ont des perspectives au pays ils ne risqueront pas leur vie sur des embarcations de fortune en mer ou de s’enrôler dans le terrorisme. » Dans la chanson il y a ce jeu de mots: « Ouagadougou mais très amer est son goût. »

« Au-delà des beaux quartiers et des hôtels de l’avenue Kwame-Nkrumah, c’est aussi une ville où c’est dur de s’en sortir. Il y a une infime minorité de personnes qui peut se permettre de dire : « Ouagadougou c’est doux » ou « Ouaga la belle. » Mais je vois beaucoup de jeunes qui se cherchent, font les métiers les plus précaires pour pouvoir manger. Il y a ceux qui font le tour de la ville avec une brouette pour récupérer du fer, le peser et le vendre deux cent ou trois cent francs par jour (650 fcfa = 1euro, NLDR). Certains plongent dans la drogue, commettent des braquages violents. »

Malgré ce constat amer, Joey ne baisse pas les bras. Dans “I wili” (se lever en langue dioula) il fait un voeu : « Que le Burkina, que l’Afrique se relèvent »

« C’est mon souhait pour l’avenir, que l’Afrique puisse enfin s’assumer, avoir son propre cap. Qu’on ait des dirigeants convaincus, avec des valeurs, qui pensent à leur pays, à l’Afrique, à sa jeunesse et pas uniquement à eux-mêmes. Il est temps qu’on s’affirme. Dans  cette chanson, je passe le « salaam » à un certain nombre de capitales africaines, Kampala, Dakar, Lomé, Bamako… »

Pour préparer cette Afrique du futur, Joey a apporté sa pierre à l’édifice avec sa structure de production Sodass (pour soldats) muzik: une pépinière de talents, financée avec ses deniers et créée il y a trois ans. « C’est un projet qui fédère. On a des jeunes issus de tous les quartiers de la ville. On a formé deux DJ qu’on a connus très jeunes. On les a mis dans le bain, on leur a fourni des platines pour s’initier. » Sur « Back to the roots » on retrouve deux de ces jeunes, Francky Sopra et Dreadlam Fallou. « Quand je les vois, ça me donne beaucoup d’espoir dans la jeunesse. Je me dis que d’ici quelques années ils vont faire parler d’eux positivement. » Le soldat va lui aussi continuer de faire parler de lui en bien. Il a participé au festival « Rendez-vous chez nous » à Gounghin, Ouagadougou, le 11 décembre dernier avec deux autres figures de la musique burkinabé Patrick Kabré et Kandy Guira. Mais un plus grand défi l’attend en mars, un concert au stade Naaba Baogho de son quartier natal, Tanghin, qui peut accueillir 10000 personnes. « C’est un gros défi mais il le faut. Je reçois des tonnes de messages de gens qui me disent: « Soldat, il faut faire un grand concert ! » Quand aux spectateurs d’Outre-Méditerranée, qu’ils se rassurent, une tournée européenne est prévue pour l’été 2023.

Écoutez le titre « Back to the Roots » dans notre playlist Songs of the Week.

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