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Thione Seck, vie et mort d’un rossignol sénégalais
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Thione Seck, vie et mort d’un rossignol sénégalais

C’est avec cette triste nouvelle que le Sénégal s’est réveillé ce dimanche. Thione Seck, l’homme à la voix de rossignol n’est plus. Avec Youssou Ndour, Ismaël Lo, Baaba Maal et Omar Pene, il faisait partie de la caste des Seigneurs de la musique sénégalaise.

Emporté par une courte maladie, la disparition de Thione Seck a surpris. L’artiste, qui préparait avec enthousiasme un album panafricain d’envergure est parti sur la pointe des pieds, après avoir contracté le Covid-19. Depuis l’annonce du décès, c’est une une pluie d’hommages. Le réalisateur sénégalais Nicolas Sawalo Cissé indique que « la voix aux rimes poétiques n’est plus ». Coumba Gawlo Seck parle de la disparition de « notre porte-drapeau, celui qu’on appelait affectueusement Papa Thione ».

Youssou Ndour lui aussi a exprimé sa tristesse en ces termes « Adouna dou dara !! La vie n’est rien. Notre grand frère est parti. Dieu a donné, Dieu a repris. Que Dieu l’accueille au Paradis. » Quant à Baaba Maal, il souligne que la musique sénégalaise vient de perdre un de ses piliers. « C’est quelqu’un qui a su comprendre que le rôle de l’artiste n’est pas d’entretenir les gens mais d’éduquer les populations surtout les jeunes générations », a dit l’artiste.

Barthélémy Attiso (gauche), Thione Seck (centre) et Balla Sidibé – DR
À l’ombre baobab, sous le soleil du Raam-Daan

Né le 12 mars 1955 à Dakar, Thione Ballago Seck a eu 66 ans deux jours avant sa disparition. Issu d’une famille de griot, son arrière-grand-père était chanteur à la cour de Lat-Dior, célèbre Damel (roi) du Cayor et résistant notoire à la colonisation française. Très jeune, il fréquente les cérémonies traditionnelles et tout de suite, Dakar lui découvre un véritable talent. C’est pourquoi les premiers succès de Thione Seck, qui suivent l’excellence traditionnelle, font référence. Après l’avoir envoyé en formation au Star Band, le chanteur vedette Abdoulaye Mboup le prend sous son aile au sein de l’Orchestra Baobab. Nous sommes en 1973, et Thione n’a que 17 ans. « Mboup, qui est alors aussi membre de l’ensemble traditionnel lytique du théâtre national Sorano, avait besoin d’être régulièrement remplacé car il ne pouvait assister à toutes les soirées de l’orchestra Baobab », raconte le Pr. Ibrahima WaneThione Seck lui-même raconte dans une chanson qu’on le prenait pour son fils : « Quand je marchais dans les rues de Dakar, les gens qui m’apercevaient disaient : “voici le fils de Laye Mboup’’ ». Naturellement, quand en 1975 le chanteur star du Baobab décède tragiquement, Thione Seck reprend les morceaux de son mentor et sa place dans l’orchestre. Il en deviendra une des icônes, et sa voix plane encore magistralement sur des chansons comme « Mouhamadou Bamba ». Le label Syllart qui l’avait publié a d’ailleurs salué sa mémoire en publiant une archive vidéo inédite de ce titre.

Son succès est tel qu’il lance sa carrière solo et fonde bientôt, en 1984, l’orchestre Raam-Daan. À partir de là s’ouvre une des plus belles pages de la musique sénégalaise, celle de l’âge d’or du mbalax, qui s’impose comme la musique populaire nationale. Seck et Youssou Ndour en sont les deux ténors, et quoi qu’ils en disent, rivalisent pour rester en haut de l’affiche et en devenir l’ambassadeur. Mais c’est Youssou qui saura s’imposer à l’international. Il faut attendre les années 90 pour assister à l’heure de gloire de « Papa Thione » comme l’appellent ses nombreux fans, sur la scène musicale. Ses soirées tous les week-ends au Sahel Night, boite de nuit réputée de Dakar, font le plein. Elles font même plus que rivaliser avec celles de Youssou Ndour au Thiossane. C’est la période « Mathiou », titre qui a tant cartonné et qui fait partie de nos 5 classiques sénégalais des années 90.

Thione Seck & Raam Daan – Mathiou

De cette période, il faut retenir également l’exacerbation de la rivalité entre Youssou Ndour et Thione Seck, surtout entretenue par les supporters des deux camps. Chaque fan y va de son commentaire : pure jalousie ou réelles divergences? on ne saura jamais. Finalement, leurs retrouvailles en 2008 sur la scène de l’Accor Arena de Bercy mettra tout le monde d’accord. Cette année-là, Youssou invite Thione sur la scène de son grand bal.

Du Sénégal à l’Orient, une voix et des mots qui portent

Le timbre de sa voix unique va manquer. Les chants de griot dont il est l’héritier sont pétris des influences que l’Islam, présent en Afrique de l’Ouest depuis le XIe siècle, a diffusées de la Péninsule Arabique aux côtes occidentales de l’Afrique. C’est pourquoi son style épousait parfaitement les musiques orientales. Sa voix coulait avec évidence et bonheur sur les mélodies et instruments tel que le Qanoun arabe, le veneen — cousin du sitar indien, ou le xalam sénégalais. Si bien que lorsqu’il sort Orientissime en 2005, l’album arrangé par l’excellent François Bréant et produit par Ibrahima Sylla reçoit d’excellentes critiques à travers le monde. Le titre « Assalo » qu’il chante en duo avec la chanteuse Bombay Jay, une des stars bollywoodiennes est un des sommets du disque signé chez Syllart. Mais quelques mois auparavant, le tout aussi magnifique disque Egypt de Youssou Ndour, enregistré avec l’Orchestre du Caire et largement diffusé à l’international lui aura certainement fait de l’ombre.

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Celui qui disait qu’un « texte qui n’éduque pas, ne sensibilise pas, n’éveille pas les consciences n’est pas une chanson » a chanté la femme dans « Sey », la famille avec « Domou Baay », dénoncé les ravages de l’alcoolisme dans « Sangara » la médisance et la jalousie sur « Dieuleul ». De quoi lui attirer la sympathie d’un public largement féminin. Beaucoup de femmes d’un certain âge, 30-40 ans voire plus, sont des inconditionnelles de Papa Thione. Thione Seck était un éducateur et un observateur attentif de la société. Sa chanson « Apartheid » en hommage à Nelson et Winnie Mandela a contribué à faire connaitre à la population sénégalaise l’histoire de la ségrégation raciale en Afrique du Sud. Il savait aussi s’ouvrir aux nouveaux courants, et prêter sa voix à des morceaux de rap comme « Gnibi » qu’il enregistra avec Disiz La Peste.

Une triste affaire avait cependant assombri ses dernières années. En 2015, il était arrêté pour mise en circulation de faux billets et restait huit mois en détention préventive. Cinq ans plus tard, le procès en appel le condamnait à trois ans de prison, dont huit mois ferme (qu’il avait déjà purgés). Le chanteur avait décidé de porter l’affaire en cassation sénégalaise, et la cour suprême avait tout récemment (le 4 mars dernier) annulé sa condamnation. Ces déboires ne lui avaient pas fait baisser la tête, et l’artiste était resté aussi combattif qu’actif. Il revenait avec le Baobab en studio, le temps d’un Tribute to Ndouga Dieng en 2017 et en 2020, enregistrait une chanson pour sensibiliser les Sénégalais aux méfaits du coronavirus.

L’auteur de « Moumy » et « Papa » part mais laisse un patrimoine immense : sa riche discographie mais aussi son fils Wally Seck qui a repris les rênes du Raam Daan. Le jeune chanteur idole de toute une jeunesse a de qui tenir. Thione Seck, accompagné par une foule immense jusqu’à sa dernière demeure a été enterré hier dimanche, en début d’après-midi, au cimetière dakarois de Yoff.

Repose en paix, papa Thione !

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