Il y a quarante ans, le 12 février 1977, se refermait le FESTAC : World Black and African Festival of Arts and Culture.
Organisé à Lagos, au Nigeria, cet événement exceptionnel prenait la suite, onze ans après, du Festival Mondial des Arts Nègres organisé à Dakar. Théâtre, arts plastiques, et bien sur musiques, étaient à l’honneur. Une fois encore, il s’agissait de montrer la richesse des civilisations africaines et leur contribution à la culture mondiale. Sans oublier de jeter un pont au dessus de l’Atlantique, en invitant la Diaspora noire venue d’Amérique.
King Sunny Ade, alors au sommet de sa gloire, avait alors composé cette chanson de bienvenue :
Welcome Welcome ladies and gentlemen
You are welcome to Nigeria
Where the FESTAC is taking place
Here in Nigeria, in Africa
La puissance de la machinerie congolaise
Chaque pays envoyait alors la crème de ses musiciens : qu’il s’agisse de troupes traditionnelles ou modernes. Le Zaïre était ainsi représenté par l’Afrisa de Tabu Ley, sans oublier l’Ok Jazz de Franco augmenté de Mbilia Bell et du pianiste Ray Lema.
Ce dernier –c’était sa première sortie hors du Zaïre avec un orchestre congolais– se souvient encore de l’hystérie collective qui s’emparait des foules lorsque Franco lançait ses terribles sebene. « C’est là – confesse-t-il- que j’ai vu la puissance de la musique congolaise. C’était gravissime, donc c’est ça la puissance de la machinerie congolaise ! Les flics ont du venir, les gens grimpaient au fenêtres pour rentrer dans le pavillon congolais ». Tabu Ley lui aussi fit un malheur, et son concert à Lagos a laissé des traces, et un disque : Tabu Ley live in FESTAC.
L’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou était là lui aussi, et en a tiré lui aussi un album, enregistré dans la foulée de son séjour au Nigeria. On y retrouve la chanson fleuve FESTAC, véritable compte-rendu musical de l’événement. Un reportage en chantant.
La grande et bouillante Lagos abritait les festivités,
Kaduna aussi bouillait de multiples manifestations artistiques
Il faut avoir été pour mieux parler…
Là-bas le stadium et le square Tafa Balewa n’ont cessé d’émerveiller la foule des spectateurs de tout genre qui les avaient pris d’assaut et que la curiosité avait magnifiquement attiré là pour découvrir ce qu’ils n’auraient jamais découvert s’ils n’étaient témoins eux mêmes de ce que leurs yeux ont vu…
L’orchestre cite aussi les pays d’Afrique représentés. Parmi eux, il y avait le Gabon, et son chanteur alors le plus connu, Pierre Claver Akendengué. Celui-ci ne garde pas le meilleur souvenir de son concert, perturbé par des problèmes techniques que ce dernier a compris comme une tentative de sabotage orchestré par sa propre délégation. Il faut dire que ses problèmes avec le pouvoir gabonais avaient commencé. En revanche, il se souvient de sa rencontre avec Miriam Makeba, tout ému qu’elle lui chante sa propre chanson « Afrika Obota », qui avait déjà fait le tour de l’Afrique.
Mama Afrika (déjà présente à Dakar en 75 et au Festival Panfricain d’Alger en 1969) était accompagnée d’autres artistes Sud-Africains en exil, étant entendu que n’étaient pas conviés les artistes adoubés par le régime de l’apartheid.
À qui profite le festival ?
L’organisation du FESTAC avait pourtant été une pomme de discorde. C’est à la fin du premier festival mondial des Arts Nègres, en 1966 à Dakar, qu’il fut convenu que le Nigéria organiserait la grand messe panafricaine suivante, quatre ans plus tard..
Or à la fin des années 60 le pays s’abima dans la guerre du Biafra, qui prit fin en 1973.
Le général Yakubu Gowon, président, relança alors, pour redorer le blason du pays et faire oublier les atrocités commises par son armée, l’organisation du FESTAC.
Deux ans plus tard, il était renversé par un autre général, Murtala Muhamad, avant que son second, le général Olusegun Obasanjo, lui succède en 1976 (en képi sur la photo ci-dessus). Senghor, le président sénégalais, devait co-parrainer la manifestation, mais il ne voulait rien avoir à faire avec ces putschistes invétérés auxquels les pétro-dollars donnaient des ailes, sans oublier de garnir leurs poches. Carlos Moore, exilé cubain devenu journaliste à Paris, avait démissionné de l’AFP pour travailler sur l’organisation du FESTAC. A Lagos, il rencontre Fela qui l’en dissuade, en expliquant que le régime était un régime de tueurs, et qu’il organisait l’événement pas seulement pour polir son image, mais aussi pour détourner des millions et des millions de nairas (la monnaie du Nigeria). Carlos Moore se désiste alors, et doit quitter le pays. Quant à Fela, il sera le grand absent du festival. Mais il saura en tirer le meilleur parti, attirant chaque nuit dans son club, le Shrine, les artistes et la presse venus du monde entier. L’occasion pour lui de dénoncer une fois de plus les turpitudes, la corruption et la violence des militaires au pouvoir. Un an plus tôt, il avait sorti sa fameuse chanson « Zombie ».
Il n’en reste pas moins que le FESTAC fut un immense rendez-vous, que ceux qui n’étaient pas nés vont longtemps regretter. A part les disques auquel il a donné naissance, le FESTAC n’existe plus que dans les souvenirs, dans quelques films et photos, dont celles de Marilyn Nance, qui a raconté l’événement à la revue Africultures.
Il reste aussi bien sur FESTAC Town, le village du festival, destiné à accueillir les artistes (15.000 participants) et certains concerts. Il est depuis longtemps habité par des citoyens Nigérians, livrés à eux mêmes, dans des bâtiments fatigués, nostalgiques des grands soirs du passé.
Bien plus tard, en 2010, le Sénégal organisa un nouveau Fesman, qui n’eut pas le retentissement de ces rassemblements mythiques d’autrefois où émancipation politique et créativité artistiques se conjuguaient. Le temps des grands festivals panafricains était passé.
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