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Douk Saga, le Président du coupé‑décalé

Le 12 octobre 2006, Douk Saga, le sommet des sommets du coupé-décalé quittait ce monde pour aller ambiancer celui des ancêtres. Retour sur Héros national bouche-bée, l’album qui signa sa consécration à la tête d’un mouvement dont il demeure, à jamais, le Président.

Il y a dix ans, le 12 octobre 2006, celui qui se proclamait « le sommet des sommets, le sommet de l’Himalaya » quittait ce monde pour aller ambiancer le monde des ancêtres. Décédé à Ouagadougou, Stéphane Doukouré, alias Douk Saga dit « la Sagacité » eut droit, en Côte d’Ivoire, à des funérailles dignes d’un chef d’État (voir la vidéo l’accueil de son cercueil à l’aéroport d’Abidjan).


Président de la Jet Set

Son album Héros national bouche bée, qui réunit les titres parus plus tôt sous forme de singles, était sorti en 2005, signant la consécration du Président de la Jet Set. La Jet Set, c’était ce groupe de copains qui avait décidé de jouer les grands types dans les boîtes de Paris. Sapes griffées, cigares interminables au bout des lèvres, ces champagnards faisaient leur boucan dans les clubs comme l’Atlantis ou le Titan Club et arrosaient les DJs de billets de banque, comme d’extravagants émirs venus de Côte d’Ivoire. À vrai dire, personne ne les connaissait avant dans le monde de la musique, et pour cause : ils n’étaient pas spécialement des musiciens. Ils s’appelaient le Molare, Lino Versace, Boro Sangui, Solo Béton, Chacoulé le Bachelor, Kuyo Junior, Serge Defalet, etc.. À leur tête, le Héros national Bouche Bée, Douk Saga. À force de faire des frasques et d’inventer des pas de danse, ils se sont fait un nom et leurs descentes à Abidjan laissaient un souvenir fracassant, notamment parce qu’ils s’illustraient comme « distributeurs automatiques de billets ». Dans les soirées coupé-décalé, le public pouvait même repartir avec de l’argent ! Mais surtout, on dansait, et on imitait ces ovnis en affichant son look et son pouvoir d’achat. Pourquoi ce succès ? Sans doute parce que la crise était passée par là. 

Le pays était tombé, et le quotidien difficile. Mais la Jet Set incarnait précisément ce pied de nez à la crise, une manière de relever la tête… en faisant la fête ! Contre la morosité, contre le couvre-feu imposé par la guerre, le coupé-décalé ! L’extravagance et l’humour contre la crise

Le coup d’État de 1999, les élections de 2000 émaillées de violence, la rébellion de 2002 qui avait fini par couper le pays en deux… Le pays était tombé, et le quotidien difficile. Mais la Jet Set incarnait précisément ce pied de nez à la crise, une manière de relever la tête… en faisant la fête ! Contre la morosité, contre le couvre-feu imposé par la guerre, le coupé-décalé ! La libération des corps dans la danse, l’extravagance et toujours, l’humour. L’humour, voilà une affaire importante, car les Ivoiriens ont en cela un génie particulier, capables d’inventer des noms et des concepts (le nouchi, l’argot populaire d’Abidjan en est un bon exemple). Alors nos Jet Setteurs, relayés par les DJs, inventeront « la Sagacité », le décalé-chinois, le s’envolement, le petit vélo, tirer photo, puis plus tard le fuka fuka, le konami, etc. autant de mots codés qui se matérialisent en mouvement de danse.

En nouchi : couper, décaler = escroquer, dégager

D’ailleurs, même si d’autres versions vinrent par la suite, en nouchi « couper » signifier escroquer (qu’on se rappelle, dans « Premier Gaou », la chérie qui dit « attends je vais partir le couper ô »), et « décaler » : partir, dégager. Vu le dispendieux train de vie de nos Jet Setteurs, il y avait fort à croire qu’ils coupaient en Europe, et décalaient à Abidjan pour « travailler » (c’est à dire littéralement « jeter » l’argent).

Mais il ne faut pas oublier qu’à Abidjan même, pour que la Jet Set connaisse un tel succès, le terrain était préparé. Depuis le début des années de crise, les soirées pro-dada fleurissaient dans les quartiers où battait le cœur de l’ambiance abidjanaise. Faire sa pro-dada, c’est se produire, se donner en spectacle, en un mot : faire son malin. Et déjà on rivalisait en commandant des casiers entiers de bière dont les dépouilles s’alignaient sur les tables, démontrant l’aisance (parfois d’un soir) des fêtards. Les DJs des clubs l’avaient bien compris, qui vantaient les mérites de celui ou celle qui faisait preuve d’une telle prodigalité, y compris à leur égard. 

Mais on doit à la Jet Set d’avoir su incarner mieux que quiconque cette profonde aspiration à la joie, illustrée par un véritable mépris des contingences matérielles. À force de jouer aux stars, Douk Saga et ses copains de boîte sont pour de bon devenus des vedettes, capables de remplir les stades en chantant et dansant sur un simple play-back.

À leur suite, le mouvement s’est professionnalisé, et les DJs Jacob, DJ TV5, DJ Caloudji, DJ Arafat et tant d’autres sont apparus, soutenus par des arrangeurs qui ont fait du coupé-décalé une des musiques les plus populaires du continent, l’engageant plus encore sur la voie de l’électro. Koffi Olomidé, roi de la rumba-ndombolo, a même lui aussi fait un titre coupé-décalé, pour surfer sur le succès.

En ce sens, l’héritage de Douk Saga est immense. Le temps a passé, mais il demeure toujours l’incontestable Président de la joie.

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