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The Pan African Music Magazine
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Mohamed Lamouri, Métro‑Boulot‑Casio

Crédit photo : Marie-Sarah Piron

Armé de son inséparable synthétiseur Casio, le chanteur algérien s’élève des souterrains parisiens vers la scène en déposant un premier album inopiné en haut de l’escalator. Mohamed Lamouri et son producteur Benjamin Caschera nous refont l’histoire.

Jusqu’à aujourd’hui, il fallait simplement posséder une carte Navigo pour avoir la chance d’écouter Mohamed Lamouri en live, presque à volonté. Il est maintenant possible de troquer le ticket de métro contre un ticket de concert pour le voir exprimer sa musique sur scène, depuis que le collectif La Souterraine lui a offert l’opportunité de sortir un premier album en compagnie du groupe Mostla.

Depuis plus de dix ans, le musicien algérien sillonne les rames de la ligne 2 du métro de Paris, donnant des concerts itinérants dans cette caravane urbaine en mouvement perpétuel entre Nation et la Porte Dauphine. Debout entre les passagers, son synthétiseur Casio rafistolé calé sur l’épaule, celui que l’on appelle le Chanteur de Paris offre alors la bande-son du retour de soirée, celle de la routine matinale pour se rendre au bureau ou simplement celle qui démarre le week-end de milliers de voyageurs aujourd’hui habitués à sa voix rauque et à ses mélodies mélancoliques minimalistes.

 

De Tlemcen à Belleville

 

« Je suis arrivé pour un festival à La Rochelle en 2003 avec la chorale de l’école de musique, nous dit-il, je jouais des percussions dans le style arabo-andalou ». Mohamed ne connaissait alors personne à l’époque. En observant les musiciens qui jouaient et vendaient leur CD dans le métro, il pense alors tenter sa chance et saisir cette occasion d’extérioriser ce qu’il aimait par-dessus tout : « J’ai eu mon premier synthé à 11 ans, se rappelle-t-il. C’est mon père qui me l’a acheté, il est d’ailleurs toujours là-bas. J’ai toujours adoré le raï love, Cheb Hasni, Cheb Nasro, toutes les productions de Rachid Baba Ahmed (assassiné en 1995) qui a son studio dans ma ville à Tlemcen. J’ai aussi beaucoup regardé l’émission Bled Music, animée par Kamel Dynamite qui passait toutes les semaines à la télévision algérienne ».

Il met alors ses percussions au placard et embarque son synthé, qui deviendra son compagnon le plus fidèle pour jouer à la fois ses propres compositions, des reprises en arabe de grands classiques internationaux comme Billie Jean, ou d’autres qui maintiennent en vie l’âme de Cheb Hasni, le Rossignol du raï, assassiné en 1994 à l’âge de 26 ans et affichant néanmoins une discographie qui avoisine la centaine d’albums : « Tout le monde aime Cheb Hasni en Algérie, ça n’est pas que moi qui l’aime. C’est une idole et une légende. »

20 000 heures. C’est le temps record passé par Mohamed Lamouri à chanter dans les tunnels du métropolitain. Mis bout à bout, il passe ainsi presque deux ans et demi de sa vie à fouler le sol en caoutchouc du métro, à voir défiler les visages, les humeurs, et le vert RATP qui se reflète dans les fenêtres du train d’en face ; assez de temps pour que l’atmosphère de la ville puisse déteindre sur sa musique : « Je fais du raï de Paris, ce n’est pas du raï d’Algérie. Je n’y suis pas allé depuis 2003, j’y retourne en août pour la première fois. Maintenant je suis en France, et mon quartier c’est Belleville ».

 

Victime de son talent

 

Qui de mieux qu’un collectif appelé La Souterraine pour produire un artiste par définition underground dans tous les sens du terme ? Benjamin Caschera, co-fondateur de la structure, refusait de laisser passer cette opportunité : « J’ai entendu la première fois Mohamed comme des dizaines de milliers de Parisiens sur la ligne 2 au niveau de Stalingrad, où j’ai vécu huit ans. C’était à l’été 2006. J’avais été bluffé par cette présence intense mais discrète – j’avais dû lui courir après pour lui donner une pièce -, et la beauté de son dispositif hyper-simple pour jouer sa musique. Quand on a lancé Almost Musique, avec Baron Rétif en 2009, le chanteur de la ligne 2 – personne ne connaissait son nom à l’époque – est vite apparu comme un fantasme absolu de directeur artistique pour le label-éditeur indépendant que nous sommes ».

Très vite, Benjamin trouve un moyen de documenter la musique de Mohamed sur une série de mixtapes enregistrées à la volée, suivies d’un 45 tours. La première était comme un « collectage du folklore de Paris des années 2000 » décrit le producteur. Pour la première fois, le son Lamouri est gravé dans le marbre, de façon relativement brute, à tel point que l’on entend ses doigts tapoter les touches de son clavier.

Benjamin continue : « C’était aussi une manière d’identifier son répertoire et les versions qu’on aurait envie de produire. Entretemps on s’est documenté sur cette scène raï love, dont Mohamed est fan. On a découvert la musique de Cheb Hasni, son idole. Il joue toutes ses chansons. On était ravi de découvrir que Mohamed avait aussi neuf compositions originales dans son répertoire. Il ne les jouait pas dans le métro, par peur de se les faire ‘voler’ ». 

Pour son anniversaire, le crew offre à Mohamed un nouveau synthé Casio SA 78 et un clavier-guitare Yamaha de 1986, lui offrant alors d’autres possibilités d’arrangements, ce qui déclenche la mixtape Casio Demo Solo. Si l’histoire paraît fluide et évidente, on apprend que Benjamin était curieusement loin d’être le seul sur le coup : « Il paraît qu’il y a des dizaines de directeurs artistiques et d’éditeurs qui lui ont laissé leur carte. Mohamed n’a jamais rappelé personne ».

Pour le convaincre, il récupère le numéro de téléphone de l’artiste et lui donne rendez-vous. Mohamed accepte : « Tous les rendez-vous étaient les dimanche ou lundi soir en hiver au Zorba, un bar populaire et un peu branché de Belleville. On a appris à se connaitre. Pour lui montrer notre motivation à travailler avec lui, mon premier objectif était de lui trouver des concerts hors du métro. Le transformer en chanteur de Paris, plutôt qu’en chanteur du métro. Vu qu’il est fort et plutôt apprécié, ça a fonctionné. On a produit un 45 tours en un jour avec la première version du groupe Mostla. La face A, ‘Tgoul maaraft’ a été playlisté sur Nova et compte un million d’écoute en ligne ».

En produisant aujourd’hui le premier véritable album de Mohamed Lamouri, Benjamin fait de 2019 l’année de la révélation pour cet artiste aussi familier qu’inconnu. 

 


Le raï quitte les rails


 Soudainement, Mohamed se retrouve sur scène et se voit confronté à des sensations nouvelles :
« Pour moi c’est une vraie expérience. J’adore jouer pour les passagers mais j’aime aussi l’ambiance des concerts avec le groupe. C’est reposant et ça me donne de l’énergie pour chanter ».

Piliers du label depuis sa création, les gars du groupe Mostla se joignent alors au chanteur pour enduire son répertoire d’arrangements pop, reggae et discrètement électro. Ainsi, Charlie O, Mocke, Baron Rétif et Moncef Besseghir, gagnent rapidement la foi du timide Mohamed dont la musique avait pour vocation d’être jouée en solo : « Je fais confiance à mes musiciens, ils ont du talent, connaissent leurs instruments et chacun contribue ». Une fois n’est pas coutume, le chanteur de Paris se laisse entraîner par les percussions, la guitare ou l’orgue Hammond pour chanter Cheb Hasni et ses propres chansons, exploitant le thème du raï love des années 80-90 qu’il affectionne tant.

Underground Raï Love est donc le fruit d’une véritable provocation du destin menée par deux hommes qui se sont croisés au bon endroit, au bon moment. Benjamin est fier et satisfait du résultat : « Toutes les directions artistiques sont assumées. On a voulu correspondre un maximum à l’authenticité de Mohamed et jouer en groupe avec des instruments, car à part son Casio, il n’aime pas tellement les machines. On a eu une grosse étape de post-production, en particulier sur les deux balades de Mohamed (‘Ana Rani’ et ‘Ana Walesh’), qui sonnaient trop blues en groupe, et qu’on a dû déconstruire a posteriori. Finalement ce sont peut-être les deux plus grosses réussites de l’album ».

Dès la sortie du disque, chaque voyageur ayant mis une pièce dans la main de Mohamed a dû se sentir comme contributeur partiel de son humble ascension aussi tardive que méritée, créant alors un léger décalage dans sa routine ferroviaire : « J’y vais un peu moins souvent, conclue-t-il avec l’innocence de l’homme qui ne mesure pas ce qui lui arrive. Les gens me parlent plus souvent et connaissent mon nom. J’aime bien quand on vient me parler, ça me fait plaisir ».

Underground Raï Love est disponible depuis le 26 avril 2019 via Almost Musique / L’Autre Distribution ici.

Mohamed Lamouri & Groupe Mostla sera en concert à La Maroquinerie le 12 juin prochain à Paris. 

Lire ensuite : Mazouni, le dandy algérien des seventies 

 

Mohamed Lamouri

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