Du 1er au 12 mars à Ouagadougou, puis du 17 au 19 mars à Bobo Dioulasso, c’est la deuxième édition du Festival Africa Bass Culture – ABC : le rendez-vous des musiques électroniques du Burkina Faso. Rencontre avec l’un de ses artisans, le fondateur du studio Ouaga Jungle, Camille Louvel.
À 37 ans, Camile Louvel a déjà passé plus d’un tiers de sa vie au « pays des hommes intègres ». L’histoire a commencé en 2003 : « j’ai rejoint des amis qui s’y étaient installés. On avait le projet d’ouvrir un café-concert en France. Finalement, c’est ici, à Ouaga, qu’on l’a monté. Dans le quartier Tanghin, près du barrage : un no man’s land la nuit, qui bouge pas mal. » Son nom, le Ouaga Jungle, le bar doit aux disques que Camile avaient dans ses valises : « Ça allait de la Drum n’ Bass UK de Metalheadz à la Junglecore de Radiobomb. J’avais aussi mes disques de Tek mais ça passait moins. La syncope de la drum n’ bass à un côté dancefloor. Un bon mc ouagalais et c’est parti ! »
À l’époque, alors que les maquis et leurs orchestres font des reprises, le Ouaga Jungle est le seul « coin » à proposer des concerts d’auteurs-compositeurs et, tous les jeudis, un sound system hip hop. En 2005, l’un des associés de Camille rentre en France : « c’est lui qui s’occupait de la partie administrative. Comme c’est pas mon truc, je ne me sentais pas de continuer l’affaire sans lui. » Entre temps, Camille aka Dj CC Sélecta (CC pour « chef de chantier », le surnom que lui ont collé les ouvriers pendant les travaux), est devenu ingénieur du son et décide de faire du Ouaga jungle un studio : « tous les gars du sound system hip hop m’ont suivi dans l’aventure, certains d’entre eux étaient de vrais geeks. On a commencé à faire de la musique assistée par ordinateur (MAO) et à enregistrer des groupes. Ceux qui n’avaient pas de budget payaient 1 euros de l’heure. On les mettait en relation avec des artistes qui avaient des projets, ce qui a permis à certains de s’auto-produire. »
Dans le même temps, Camille fait de la régie de festival et travaille pour de grosses entreprises de sonorisation. En France, où il revient régulièrement, mais aussi au Burkina. A Bobo Dioulasso, lors de la Semaine Nationale de la Culture, il rencontre Victor Démé.
« Lorsqu’ il est venu à Ouaga, il était à la rue. Je l’ai hébergé. Quand je l’ai entendu jouer de la guitare je lui ai dit : « on va enregistrer une maquette ». Il a été touché par la démarche de production disons plus sensible que je lui proposais, c’était nouveau pour lui. » Deux ans plus tard, à 46 ans, et après des années qu’il qualifiait lui-même sans détour de « galère », Victor Démé sort son premier album. Son succès (l’un de ses titres sera même remixé par le duo électro français Synapson) lui ouvre grand les portes d’une carrière internationale, jusqu’à sa mort en septembre 2015.
Cette même année, le studio Ouaga Jungle fête son anniversaire : voilà 10 ans qu’il favorise le développement culturel et artistique au Burkina Faso en accompagnant artistes, structures et événements dans l’ensemble des sphères d’activités du domaine musical (création, production, diffusion). Alors, quand les Nantais du label indépendant Trickart débarquent en repérage à Ouaga avec l’idée de créer un projet en Afrique, ils se tournent naturellement vers Camille. La rencontre est porteuse. Un an plus tard, elle donne naissance à l’Africa Bass Culture – ABC (un nom en forme de pied de nez à l’association des Amis de Blaise Compaoré, le président chassé du pouvoir par le peuple burkinabé en 2014, après 27 ans de règne).
« EN CRÉANT UN ESPACE DE RÉFLEXION SUR L’INTÉGRATION DES NOUVELLES TECHNOLOGIES DANS LE DOMAINE DE LA COMPOSITION MUSICALE, ON ESPÈRE QUE CERTAINS PRODUCTEURS, PLUTÔT TENTÉS PAR LA « VARIÉTÉ », OSERONT LES UTILISER. »
L’une des ambitions de l’évènement qui se présente comme « le nouveau rendez-vous de l’Afrique digitale », est de valoriser l’interactivité entre les outils contemporains et les musiques traditionnelles. « En créant un espace de réflexion sur l’intégration des nouvelles technologies dans le domaine de la composition musicale, on espère que certains producteurs, plutôt tentés par la « variété », oseront les utiliser. Car, à Ouaga, il n’existe pas de bon beatmaker. De la même manière, et c‘est le cas aussi à Bamako où à Niamey, ici on est dans « l’ambiance », il n’y a pas de culture du « club » comme en Afrique du Sud. »
Nomade (10 jours à Ouagadougou et 3 jours à Bobo-Dioulasso), le festival est aussi itinérant : non seulement il investit plusieurs lieux insolites de l’espace urbain (maquis sous les manguiers, MJC délabrée) mais en plus il sillonne la ville avec son camion –podium, interpellant les oreilles d’un public averti et plus souvent celles de passants incrédules : « comme l’année dernière, on va se poser à la gare TSR, l’une des plus fréquentée de la ville. On surprend les Ouagalais et en plus on communique pour pas cher ! »
Astucieusement, l’ABC s’est calé sur les dates du FESPACO. Initialement, pour profiter de l’émulation suscitée par cette biennale et mettre en avant son volet art vidéo. Car en plus des concerts et DJs sets, l’ABC est une invitation à découvrir les expressions culturelles nées en territoire numérique, par le biais d’ateliers créatifs tout public et de workshops professionnels menés en partenariat avec la Ouaga Lab, le 1er fab lab d’Afrique de l’ouest.
Résultat, pour cette seconde édition, c’est le FESPACO qui s’invite à l’ABC !
En ouverture, le 1er mars, le Maquis le Petit Bazar accueillera une performance vidéo (VJing) réalisée à partir d’images d’un film en compétition officielle (Félicité du sénégalais Alain Gomis) et de remix du collectif congolais Kasaï Allstars (qui en signe en partie la BO).
Quant au groupe Batuk (emmené par deux producteurs de Johannesburg, et notamment par la star de l’electro sud-africaine Spoek Mathambo), il profitera de sa participation à l’ABC, le 4 mars, au Maquis l’Emeraude, pour tourner un film à Ouaga !
Laboratoire de fusion et plateforme de diffusion des musiques électroniques et des cultures africaines, l’ABC va réunir au Burkina des artistes (DJ, musiciens, vidéastes, et scénographes) de plusieurs pays d’Europe (France, Suisse, Belgique) et de toute l’Afrique : du Niger (Studio Shap Shap) à l’Afrique du Sud (Aero Manyelo), en passant par l’Ouganda (DJ Kampire) et la Côte d’Ivoire (Electropique).
Parfaite illustration de cet espace de rencontre avant-gardiste, le projet protéiforme (musique, dessin et vidéo) du combo électro-mandingue Midnight Ravers. Ou quand les monstres sacrés de la musique malienne et les MCs les plus en vogue de Bamako, rencontrent les productions du batteur et dj français Dom Peter (High Tone).
Autre producteur à célébrer le mariage entre musiques électroniques et musiques traditionnelles, le français Praktika. Après un an de résidence au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire (dj résident du Bushman Café), il promet de faire vibrer la MJC du quartier Larlé à Ouaga avec une nouvelle recette Afro-Techno.
Quant au label Akwaaba, fondé par le DJ Franco-américain exilé au Ghana, Benjamin Lebrave alias Bbrave, il aura son « Akwaaba party » le 10 mars à Ouaga et le 17 mars à Bobo. Au menu : Jowaa, un projet mené avec le producteur ghanéen Gafacci et présenté comme de « l’afrobeat du temps des raves », le dj belge Max le Daron qui distille un mélange de musiques électroniques du monde entier fortement influencé par la Bass music et le concert de Mabiisi, fruit de la rencontre entre le MC burkinabé Art Mélody et l’un des joueurs de kologo les plus influents du Ghana, Stevo Atambire.
À quelques jours du début des festivités et alors que la programmation de l’ABC ne cesse de s’amplifier, Camile Louvel (qui a fait ses études à Rennes et gravité dans le milieu techno breton) s’amuse : « les artistes se déplacent en tribe. L’ambiance tourne au Technival : si un artiste veut venir, je luis dis : « Viens ! Mais on a pas de sous papa, on peut juste te payer un riz gras ! »
Festival Africa Bass Culture #2, du 1er au 12 mars à Ouagadougou, puis du 17 au 19 mars à Bobo Dioulasso, Burkina Faso