Le 18 mai dernier, le groupe Dub Inc sortait Apollo Riddim, invitant sur l’instrumental de leur morceau « Triste Époque » Capleton, Chino, Million Stylez et Agent Sasco à poser avec les deux chanteurs maison : Komlan et Bouchkour. On avait rencontré le groupe à Abidjan, lors d’une de leurs escales africaines. Ils seront de retour en Afrique australe la semaine prochaine. Interview.
Première fois à Abidjan ?
Komlan (chanteur) : Oui, première fois en Côte d’Ivoire. C’est presque aussi important qu’un voyage à Kingston !
On est dans la capitale du reggae africain ! Moi j’ai écouté très tôt Ismael Isaac, Tiken Jah a été notre premier featuring en 2003, et puis bien sur Alpha Bondy a compté dans notre amour du reggae.
Zigo : C’est vrai que se balader à Abidjan ça nous rappelle plein de chansons qu’on connaît, que ce soir Cocody Rock Boulevard VGE, etc.
Vous tournez de plus en plus souvent en Afrique ?
Komlan : Souvent, c’est beaucoup dire… On a été au Sénégal, on y est retournés, mais c’est vrai que cette année on a été au Burkina, au Rwanda et en RDC… il y a des choses qu’on a envie de faire depuis très longtemps et qui n’arrivent que maintenant. Mais on se rend compte en tournant qu’en Afrique, il y a des jeunes qui nous connaissent, que certains de nos morceaux ont circulé ici (le morceau avec Tiken, celui avec Alif Naaba), et puis aussi en Afrique du Nord parce qu’Hakim est d’origine algérienne, kabyle, et on a joué Maroc en Algérie (c’est aussi l’Afrique) et là-bas aussi nos sons circulent beaucoup grâce à leur touche orientale.
Jouer à l’étranger, ça influence votre musique ?
Zigo : Tous nos voyages nous influencent… l’Afrique pour nous ça a une vraie résonance. Abidjan, Ismaël Isaac, Alpha, voilà la musique qui nous a nourris en tant qu’ados, et quand on vient ici et qu’on rencontre des musiciens, on en repart forcément avec quelque chose qui nous touche.
Par exemple notre morceau « Enfants des Ghettos », il y a de la kora et c’est pas pour rien… parce qu’on a senti l’envie, le besoin, d’incorporer ça dans notre musique.
Aurélien : Chaque voyage donne de l’inspiration et ça renouvelle la vie du groupe. Ça fait presque vingt ans qu’on est là, et le fait de voyager ça remet des challenges, des enjeux : par exemple quand on part jouer en Amérique du Sud on repart à zéro, on doit se créer une nouvelle fan base. À chaque fois c’est de nouveaux pas, de nouveaux terrains, et on ne s’ennuie jamais.
Est-ce que vous vous considérez comme des artistes engagés, très impliqués dans le commentaire politique comme certains reggaemen du continent ?
On n’a pas le même impact qu’un artiste africain qui s’engage. Nous on a toujours été dans la démarche d’avoir un message. Notre premier disque s’appelait diversité, car on a toujours abordé les choses qui nous touchaient, nous qui avions des origines variées : on a d’abord parlé de métissage, d’immigration, de partage. Et pour nous le reggae est avant tout une musique rebelle, engagée et quand on a la chance d’avoir un micro, et d’avoir un tel public, c’est évident qu’il faut dire des choses, de toute façon on sait pas trop faire des chansons d’amour et autres… Alors on continue de montrer du doigt les choses qui ne vont pas.
Zigo : Mais on peut pas comparer avec des gens comme Tiken. Nous en France on peut dire tout ce qu’on veut, on risque rien on sera jamais bannis du pays, enfermés, etc…
On sait d’expérience que pour Tiken ça a été très compliqué, et pour plein d’autres artistes c’est encore très compliqué… Nous on est juste des gens conscients qu’il y a des problèmes sociaux dans le monde et on a envie d’en parler, c’est notre rôle, et c’est aussi ce qui nous a attirés dans la musique de Bob ou d’Alpha, c’est d’être les porte-parole de ceux qui n’ont pas la parole.
Les relations de la France avec ses anciennes, colonie, c’est aussi un sujet important pour vous…
Komlan : Le FEMUA a pour thème « jeunesse africaine et immigration clandestine ». On a une chanson qui s’appelle « Better Run » qui parle vraiment de ça. La question des migrants en Europe cristallise beaucoup de questions, de haine, les extrêmes capitalisent là-dessus pour vendre leur soupe, donc on va essayer d’expliquer un peu nos morceaux… mais les textes sont éloquents et la musique fait passer le message.
Zigo : Pour moi qui suis fils et petit fils de militaire, c’est une expérience humaine très spéciale de jouer dans des anciennes colonies françaises en ayant eu dans ma famille des gens qui étaient plutôt colonialistes, alors c‘est une expérience très forte de chanter ces messages ici. Ça fait bientôt 20 ans qu’on parle de Françafrique, on a été aux côtés de l’association Survie (dédiée à la dénonciation des affaires françafricaines) pendant quelques années, donc c’est pas une récréation ce qu’on vit ici, c’est humainement important. On est tous des fils d’immigrés, pas forcément venus d’Afrique, et directement ou indirectement on a tous connu l’exil. Moi non, mais mon grand-père est venu de Grèce par exemple. On était récemment au Mexique : c’est aussi une terre ou les gens fuient et vont chercher une vie meilleure pour leurs enfants… On croise toujours des gens qui ont ces expériences-là et humainement parlant c’est des expériences très fortes…
Quelle est la place du Reggae aujourd’hui en France ?
Komlan : Y’a toujours eu du reggae en France, depuis Gainsbourg et Lavilliers. Et il y a eu différentes époques… Par exemple, quand on est arrivés dans les années 2000 il y avait K2R Riddim, Mister Gang, Sinsemilia ou encore Baobab… bref, une explosion de groupes, portés par les succès de Pierpoljak. C’est reparti, ça revient, mais je pense qu’on a une scène qui a toujours été assez vivace, et il y a quand même un mouvement de fond qui continue, le festival de Bagnols-sur-Cèze a disparu, mais il y a toujours le Festival Reggae Sun Ska, le festival No Logo…
Zigo : Tout est clairement lié à la Jamaïque, là-bas aussi y’a des vagues d’inspiration. Pendant quatre-cinq ans, il y a eu moins de nouveaux artistes qui emmenaient du frais, mais là avec des artistes comme Chronixx ou Protoje, toute cette vague new roots un peu moderne, ça ramène du frais donc on va avoir une nouvelle vague qui va monter comme au début 2000 quand arrivaient les Capleton, Sizzla, etc. Ça mettait un gros coup de boost. Y’a des hauts et des bas, mais les gens ont besoin de ça, ils se nourrissent eux même de cette musique, ils ont pas besoin des médias, pas besoin qu’on leur donne à manger… et je pense que le caractère social du reggae y est pour quelque chose.
Dub Inc en tournée en Afrique australe et dans l’Océan Indien :
25/05/2018 — Bushfire Festival / Malkerns (Swaziland)
26/05/2018 — Bassline Festival/Johannesburg (Afrique du Sud)
27/05/2018 — Zakifo Music Festival, Durban (Afrique du Sud)
02/06/2018 — Sakifo Festival/St Pierre (La Réunion)