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The Pan African Music Magazine
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Chicago : vieille histoire, nouvelles vibrations 

Le label International Anthem renouvelle et prolonge une carte du jazz longtemps accrochée au tentaculaire et génial collectif AACM. En 2019, l’Histoire persiste à nourrir de ses maux le berceau de la Great Black Music. 

Photographie : Ben Lamar Gay par Bruno BAMDE

2014, un nouveau label voit le jour à Chicago. 2019, cinq ans et 26 références plus tard, le label International Anthem est devenu incontournable. Tiré par les baguettes de Makaya McCraven et propulsé par une propension à aller vers les marges — preuve qu’il est encore concevable de subsister hors des attentes lisses prêtées au public — le label International Anthem a pour lui d’être systématiquement et positivement mis en avant par les mastodontes du web Pitchfork et Bandcamp, ainsi que par la presse spécialisée en France. Deux raisons au moins expliquent cet engouement : la surprise — on ne sait jamais ce que nous réservera le prochain projet — et la richesse de la matière proposée, expérimentale souvent, et empreinte de blues, de soul, de gospel ou de jazz, toujours… Une union parachevée dans le spectre esthétique et militant de la Great Black Music, par des artistes qui incarnent à merveille ses traditions. 


From ancient to future 

Quand l’Art Ensemble of Chicago invente l’expression de « Great Black Music », il y attache le sous-titre : from ancient to future. À savoir, respecter et bousculer les traditions musicales parcourues. À l’orée des années 70, l’ancrage est dans le blues, le jazz, le gospel et une idée fantasmée de ce qu’est l’Afrique pour les Afro-Américains. L’Art Ensemble of Chicago y ajoute la liberté des explorations du son, du rythme et des harmonies : arythmie, stridences et dissonances ponctuelles du free jazz… Une école est née, elle sera le socle de l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), un collectif fondé par Muhal Richard Abrams, que les nombreuses émanations (Nicole Mitchell, Matana Roberts) ont durablement installé à Chicago à travers les générations. Aujourd’hui encore, l’AACM est un point nodal de nouvelles éclosions musicales, dont certaines figurent au catalogue International Anthem, qui est à la croisée de plusieurs aventures. 
 

Makaya McCraven par David Marques


Makaya McCraven
n’a pas grandi avec l’AACM, son génial bassiste Junius Paul, et Jeff Parker, auteur de deux albums chez International Anthem, en sont des membres à part entière. Le premier a notamment rejoint les rangs d’un Art Ensemble of Chicago renouvelé par la force des choses (Lester Bowie, Malachi Favors et Joseph Jarman sont décédés). Et Jaimie Branch, trompettiste émérite d’International Anthem, est revenue faire ses études à Chicago où elle avait grandi, pour retrouver la scène free jazz qui y persistait. C’est tout un esprit d’innovation et d’improvisation qui transpire chez International Anthem, un sens de la liberté. 
 

Un artiste comme Ben Lamar Gay, par exemple, déroute constamment son auditeur en faisant preuve d’un goût musical varié et d’une tendance à percevoir sa musique comme un terrain de jeu débridé : avec, par exemple, des sauts vers le Brésil ou l’électronique. Sans en être le plus connu, il est certainement l’artiste le plus représentatif de l’état d’esprit et du spectre musical étendu du label. Il partage avec Angel Bat Dawid, ou Makaya McCraven, la notion de collage d’univers musicaux multiples. Ce dernier, enfant du hip-hop et héritier de J Dilla, a notamment amené les préceptes du hip-hop dans la sphère du jazz, en samplant ses propres lives sur Ableton. Les artistes International Anthem ne manquent pas de nous rappeler qu’à Chicago les artistes sont plus enclins à dépasser qu’à suivre sagement les lignes. 
 


Le South Side et l’héritage du militantisme artistique. 

Afrofuturistes ascendant spiritual jazz, les deux artistes International Anthem Damon Locks et Angel Bat Dawid le sont comme d’autres le furent dans les années 60-70. Ils nourrissent leur œuvre d’une part importante d’engagement rappelant à tous que la portée de l’art est collective et émancipatrice. Dans The Oracle, sorti en février, la première dédie le titre d’ouverture, « Destination », au flûtiste Yusef Lateef. Autre hommage, celui qu’elle rend à Margaret Burroughs, activiste afro-américaine qui joua un rôle important dans la création de communautés et du bon développement de l’art en leur sein, dans le South Side de Chicago, haut lieu de violence, stigmate persistant de la ségrégation spatiale et noyau de créativité et d’engagement sans lequel International Anthem n’existerait pas aujourd’hui.  
 

En donnant ce nom de « Great Black Music » à leur musique, l’Art Ensemble of Chicago avait en fait mis des mots sur une situation existante. Engagée dans sa lutte pour les droits civiques, la population afro-américaine a parallèlement eu besoin de se dégager de son passé d’esclaves américains, et d’exprimer son identité comme elle l’entendait. Panafricanisme et art engagé au service de la communauté et de la fierté noires infusent cette libération, résumés par ses mots qu’une voix prononce dans « Solar Power » : « First of all you decide what you want, you establish your values and you start to live it. You get your community together, then you get your neighbours together… » (D’abord tu décides ce que tu veux, tu fondes tes valeurs et commences à les vivre. Tu rassembles ta communauté, puis tu rassembles tes voisins) puis, dans « Rebuild a natio », une enfant chantant « I can rebuild a nation no longer working out » (Je peux rebâtir une nation qui ne fonctionne plus). L’espoir est là, et Damon Locks s’attache à montrer, à travers les chœurs, une tradition gospel pregnante et force paroles évocatrices, que l’issue est collective. 

Ces formes de militantisme artistique ne sont pas prêtes de disparaître d’une ville industrielle qui pourtant fut l’une des premières à abolir la ségrégation dans les années 1870-1880, et où des dizaines de milliers d’Afro-Américains s’installèrent après avoir fui le sud du pays. Mais on les parqua dans le quartier de South Side, qui reste à ce jour l’un des ghettos noirs les plus importants, pauvres et violents des États-Unis.  

Damon Locks

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