Brother Resistance fait partie des références d’Anthony Joseph. L’ « artiviste » est le précurseur du rapso, mélange de rap et de soca made in Trinidad.
Qui est Roy Lewis alias Lutalo Masimba, plus connu sous le patronyme très « Black pantherien » de Brother Resistance ? Depuis la fin des années 70 ce spoken artist barbu toaste de sa voix grave « rapso, la voix du peuple, le cœur de la lutte ! », sur fond de steel pan, cet idiophone au son cristallin si typique de son Trinidad-et-Tobago natal. Les chanceux, car ses apparitions en France sont hélas rarissimes, ont pu le voir sur scène le 30 mars dernier, lors du festival Banlieues bleues, à Tremblay-en-France (93). Brother Resistance est venu dans les bagages d’un certain… Anthony Joseph.
Précisément, c’est le poète britannico-trinidadien qui a fait découvrir aux néophytes européens l’existence du mystérieux Brother Resistance, dans le cadre de sa récente tournée européenne. Anthony Joseph, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de musicologie, a fait paraître outre-Manche chez Peepal Tree Press un ouvrage sur Lord Kitchener [1], l’une des deux sommités masculines du calypso (avec Mighty Sparrow). Ce n’est pas tout. Récemment le musicien et professeur à l’Université de Londres est reparti à Trinidad, pour enregistrer à la source son prochain album People of the Sun, attendu (avec impatience) chez Heavenly Sweetness.
Père du rapso ?
Brother Resistance est issu d’East Dry River, le Trenchtown trinidadien, berceau de la contestation. Resistance est considéré, avec son complice Brother Shortman, comme le père du rap-so, la contraction entre le rap et la soca. C’est à Lancelot Layne, décédé en 1990, que l’on attribue le premier morceau rapso Blow away en 1970. Layne, alors étudiant en histoire de l’Afrique, a fait plusieurs séjours sur le continent. En 1998 un programme des Nations-Unies a même exhumé un échange musical entre Lancelot Layne et Koo Nimo, un des grands noms du high-life du Ghanéen. On se plaît à imaginer ce que cette rencontre aurait donné sur microsillon. Mais revenons à Brother resistance ! Nous sommes en 1979 à Port of Spain, la capitale trinidadienne, où ce rasta inspiré émerge avec un groupe intitulé Network Riddum Band. « Ce n’était pas le rap qu’on connaît aujourd’hui. Ça ressemblait plus à Gil-Scott Heron ou aux Last Poets » analyse Anthony Joseph, qui, sur son album de 2014 Time a gravé Kezi, un titre estampillé rapso. « Le rapso de Brother Resistance ce sont des mots slamés sur des beats calypso et funk, avec beaucoup de percussions et des idéaux afro centristes. Il abordait frontalement les problèmes sociaux. » Car dans le contexte bouillonnant des années 70 le mouvement local du Black Power Revolution s’opposait vigoureusement à la politique du premier ministre de l’époque, Eric Williams. En 1975 la manifestation pacifique des syndicats sucriers et pétroliers est brutalement réprimée par la police de San Fernando, au sud-ouest de l’île. Cette journée est restée dans les mémoires comme le bloody tuesday de Trinidad.
Qui dit rapso dit Résistance
L’étiquette de père du rapso, Brother Resistance la rejette résolument. Pour lui cette tradition remonte à la figure du conteur, le chantuelle des plantations de canne à sucre de Trinidad. « Go on papa chantuelle sing yuh song » rappe t-il dans un de ses textes. A la Jamaïque voisine, la cousine du rapso s’appelle le dub poetry et Linton Kwesi Johnson en est le chantre incontesté. In extenso, la matrice du rapso, c’est la figure du griot, héraut des traditions orales dans certaines cultures africaines. En 1981, le premier album de Brother Resistance Bustin Out (littéralement « éclater ») sonne comme un appel à la révolte. Les autorités trinidadiennes ne s’y trompent d’ailleurs pas. En juin 1983, la police détruit le studio de répétition et le matériel du groupe. Pas suffisant pour intimider le rapsoman. En 1985 et 86, il sort coup sur coup les explicites « Rapso Explosion » et surtout « Rapso Take Over » : le rapso prend le contrôle. Nous sommes cinq ans avant l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud. Brother Resistance prend sa part à la lutte contre la ségrégation avec le titre « Children of Soweto » [2]. En 1997 il permet aussi à l’un des rois du calypso Lord Pretender de renouer avec la gloire en reprenant avec lui « Never Ever Worry » son célèbre succès… de 1961 ! La reconnaissance internationale du « phénomène Resistance » incite même le gouvernement trinidadien à faire volte-face et à le nommer représentant de la Nation au festival mondial de la jeunesse en Corée du Sud…
Si depuis Brother Resistance fait parler de lui de façon plus épisodique, le rapso qu’il a mis sur orbite a continué son petit bonhomme de chemin : « Des groupes comme 3 Canal et Ataklan l’ont modernisé en utilisant le drum machine, et les différents styles de musiques électroniques » décrypte Anthony Joseph. « Le rapso contemporain est plus orienté vers le dancefloor. Mais cette dimension de critique sociale n’a pas disparu. Ça parle toujours des problèmes de la société trinidadienne… »
[1] Kitch, une biographie fictionnelle d’une icône du calypso
[2] Dans la même veine, en 1978 Brother Valentino avait gravé le très panafricaniste single « Stay Up Zimbabwe ».