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The Pan African Music Magazine
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Angélique Kidjo, toujours dans la lumière

La chanteuse béninoise installée à Brooklyn sort un nouveau disque concept : un album de reprises des chansons du LP Remain In Light de Talking Heads, sorti en octobre 1980, et largement inspiré à l’époque par la musique africaine, notamment par Fela. Angélique Kidjo sera aussi dans de nombreux festivals, cet été, notamment à Jazz à Vienne pour une création avec Ibrahim Maalouf.


Comment avez-vous découvert ce disque album mythique des années 80, Remain in Light des Talking Heads ?

Quand je suis arrivée en France en septembre 1983 après avoir fui le Bénin et la dictature communiste. Je ne savais pas qui étaient les Talking Heads, parce qu’à partir de 1972 au Bénin, tout ce que l’on entendait c’était des musiques de propagande ! Toutes les chansons devaient forcément parler de l’idéologie communiste et l’encenser !

Quand on ne chantait les louanges du pouvoir, on pouvait se retrouver en prison, et moi j’avais refusé de chanter Prêt pour Révolution, et la Lutte Continue, donc j’ai quitté le pays pour aller en France. J’avais alors fait l’impasse sur plus de 10 ans de musique à cette époque !

Donc j’ai connu le rock des Talking Heads, mais aussi la musique de Bashung, d’Higelin ou de Gainsbourg en arrivant en France. J’avais été tellement privée de musique que je suis devenue une junkie de musiques en arrivant, je voulais rattraper le temps et tout écouter !

Un jour à une fête, j’entends le morceau « Once In A Lifetime » qui passe. À l’époque, on était une bande d’étudiants entassés dans un petit appartement, à manger du saucisson, c’était l’époque où on était fauchés et on n’avait pas grand-chose dans le frigo ! (rires). En écoutant cette chanson, j’ai tout de suite commencé à bouger. Un idiot m’a dit : arrête de danser, c’est pas de la musique africaine, c’est du rock’n’roll et c’est trop sophistiqué pour vous les Africains ! J’ai répondu : moi j’entends de la musique africaine là-dedans !

Et puis, les années ont passé, je suis allée vivre aux USA et le premier artiste qui est venu me voir en concert, c’était David Byrne (NDLR Chanteur et guitariste des Talking Heads) en 1992.

Je n’avais pas fait le lien avec ce groupe ni avec ce tube. Il m’a reçue chez lui et m’a dit qu’il était fan de ma musique. À l’époque, il venait de monter son label Luaka Bop et il voulait me signer. Ca n’a pas pu se faire, car je travaillais à l’époque avec Island, mais j’ai compris qu’il était fan de musiques africaines, y compris de musiques traditionnelles.

David Byrne et Angélique Kidjo © Stephen Lovekin


Qu’avez-vous entendu de l’Afrique dans ce disque ?

Les rythmiques sont tellement puissantes qu’elles libèrent. David Byrne m’a expliqué que, quand ils ont commencé à écouter Fela et les musiques traditionnelles d’Afrique de l’Ouest, ils partaient complètement ailleurs. Comment intégrer cette puissance dans leur musique ? Avec Brian Eno, qui était vraiment un précurseur des boucles, ils ont décidé d’utiliser un instrument qui joue la même chose du début à la fin : la basse de Tina, la seule femme du groupe. La basse est le centre névralgique des morceaux, elle joue la même chose sans flancher. Pour moi cette transe est très africaine, et elle est portée par une femme. C’est aussi ce qui m’a plu dans ce groupe qui a évolué dans le monde très masculin du rock, et qui a confié ce rôle si important à une femme !


L’urgence qu’on entend dans ce disque vous a paru d’une certaine actualité aujourd’hui, vos textes écrits 40 ans plus tard répondent-ils à ceux des Talking Heads ?

Un peu après l’élection de Trump, j’ai commencé à réécouter l’album et à faire des recherches. Et en l’écoutant, je ressentais quelque chose de bizarre. Je me demandais pourquoi cette musique m’interpelle autant ?

Malgré le fait que je dansais en l’écoutant, je sentais aussi une certaine anxiété dans la musique. Cet album est sorti sous la présidence de Reagan, et c’était la guerre contre l’éducation, les noirs, les hôpitaux, dans une période d’incertitude qui peut être proche de celle qu’on connait aujourd’hui. Écouter ce disque, ça m’a ramené à mon arrivée à Paris. Au bout de 3 mois, j’avais envie de rentrer au Bénin, mais je savais que c’était dangereux pour moi, et quand j’écoutais cette musique, elle me prenait aux tripes. Il y avait d’un côté cette angoisse que je ressentais, et en même temps cette envie que j’avais de la partager avec mes parents. Je me disais qu’est-ce que ça ferait si on pouvait jouer cette chanson sous la dictature ? Quelle fête on ferait avec ma famille en entendant ça !!


S’attaquer à un album si mythique, ce n’était un pari un peu risqué ?

Si ! (rires) J’ai d’abord voulu le jouer en live avant de décider d’en faire un album, et ce premier concert au Carnegie Hall a été vraiment magique ! Pour moi, ce disque permet de boucler la boucle, il ramène le rock en Afrique (qui n’a pas une histoire d’amour avec le rock) de sorte que les Africains puissent se dire que le rock est une musique que l’on peut se réapproprier et sur laquelle on peut danser. Et c’est un des premiers disques de rock mythique qui a ouvertement rendu hommage à l’Afrique. Quand l’album est sorti, Brian Eno et David Byrne ont confié qu’ils avaient été influencés par Fela et notamment par Afrodisiac qu’ils écoutaient en boucle, quand ils enregistraient Remain in Light.

Ils ont aussi lu les livres de l’ethnomusicologue John Chernoff et du professeur Robert Thomson pour comprendre ces musiques.


Comment y avez-vous apporté votre empreinte, votre part d’africanité ?

En écoutant ce disque, j’ai naturellement tout de suite entendu l’écho de chants traditionnels. Le refrain de « Once in a Lifetime » par exemple, m’a rappelé les chansons qu’on chante dans les rue, il y a des ritournelles très enfantines béninoises qu’on chante à Noël par exemple et qui ressemblent à la mélodie.

Je me suis donc laissée guider par l’inspiration et j’ai pensé à des proverbes de mon enfance, à un moment où l’élection du nouveau président américain suscitait un climat d’anxiété. En Afrique, nous on célèbre l’anxiété en musique, alors j’ai voulu amener la joie et la résilience africaine dans la musique des Talking Heads !

Par exemple, pour moi le titre « Born Under Punches » (littéralement naître sous les coups de poing), ça évoque la corruption et ça m’a inspiré un proverbe de chez moi : « quand on commence à allumer un feu il faut savoir le contrôle, car le feu se consume de lui-même ». C’est ce que je dis dans la chanson, car pour moi la corruption c’est comme le feu.


Est-ce que vous aviez déjà exprimé l’anxiété dans votre musique dans d’autres disques que dans Remain In Light ?

C’est en écoutant les Talking Heads que je me suis rendue compte qu’on peut générer de l’anxiété avec la musique. Moi je n’ai jamais pensé l’anxiété.

Quand on est en mode survie comme on peut l’être en Afrique parce qu’il n’y a pas de stabilité, on va à l’essentiel. Quand on se lève le matin, on n’a pas le temps de se poser des questions existentielles.

On fonctionne, et c’est en fonctionnant qu’on trouve une réponse à cette anxiété-là. La musique nous permet de traiter de tous les sujets sans aller chez le psychanalyste, il n’y a pas de psychanalyste en Afrique. On dit chez nous, si tu ne vis pas dans la joie et que tu veux vivre misérable, tu seras malade !

Même les sujets les plus durs que j’ai pu traiter dans mes chansons, c’est toujours en écho à ce que les musiciens traditionnels de mon village et de mon pays m’ont appris : sans jamais rendre les gens mal à l’aise.

© Pierre Marie Zimmerman


Qu’est-ce qui a changé dans la musique par rapport à vos débuts dans les années 80, et à la réalité du XXIe siècle que connaissent des jeunes artistes comme MHD avec qui vous avez collaboré ?

Internet. Internet a permis à MHD d’être en position de force. Quand il est entré dans le milieu de la musique, il était déjà connu sur internet.

Quand nous on a commencé, Youssou, Salif et moi, on devait envoyer nos maquettes, et il fallait séduire les maisons de disque. Aujourd’hui, ce sont les maisons de disques qui viennent aux artistes quand le public les plébiscite !

Le net a permis à MHD et à d’autres jeunes artistes en France et en Afrique d’exister. Ca permet l’indépendance.

Avant, il fallait une maison de disque pour avoir un clip. Je dis toujours aux jeunes artistes : faites des études. Pour être artiste, il faut avoir une idée de qui on est avant tout, et être en contrôle de cela, et c’est un boulot matin, midi et soir.


Qu’est-ce qu’il vous a plu chez MHD ?

Je l’ai tout de suite beaucoup aimé. J’ai aimé son flow, son calme quand il parle la langue française, il est africain, mais il est né ici, alors le timbre de sa voix et ses mots sonnent autrement. Je ne suis pas fan du rap violent, mais son rap dit des choses puissantes sans être obscène. Et puis, il a vite compris que des gens comme Salif Keita, Youssou’N’dour ou moi-même nous l’avons nourri musicalement. Il a été suffisamment intelligent pour reconnaître que travailler avec nous lui donnerait plus de crédibilité, car sa musique vient de là. Il était dans l’authenticité du travail qu’il avait fait, c’est très bien pour un jeune homme. Je lui tire mon chapeau !


Vous avez de multiples collaborations en cours, vous serez notamment cet été à Vienne avec Ibrahim Maalouf, comment est née cette rencontre ?

C’est mon mari, Jean Hébrail, qui est tombé sur interview d’Ibrahim dans un magazine dans laquelle il disait qu’il aimerait travailler avec moi. Quand Ibrahim est venu jouer à New York, on est allés à son concert et puis on a commencé à discuter de collaboration. Un an plus tard, il est revenu jouer au Lincoln Center et nous lui avons présenter notre idée d’explorer ce qu’il y avait de commun entre les mythes entre le Moyen-Orient et l’Afrique en travaillant sur la Reine de Saba, qui est née en Éthiopie et qui rencontre le roi le plus sage, le roi Salomon, à qui elle pose des questions en forme d’énigmes. Ibrahim a tout de suite été partant. J’ai écrit des textes, que je lui ai remis avec un dossier très documenté, avec la traduction de mes poèmes en yoruba et des iconographies, et Ibrahim Maalouf a créé le reste. Nous travaillons en ce moment avec les musiciens d’Ibrahim et un orchestre symphonique. La première aura lieu au Festival de Jazz à Vienne dans un site magnifique. Je pense que les gens vont aimer ! Ca va être génial !

Retrouvez Angélique Kidjo en concert prochainement :
– le 9 juillet à Vienne (38) avec Ibrahim Maalouf
– le 11 à Arles (13) en trio intimiste
– le 20 à Juan-les-Pins (06) avec Ibrahim Maalouf
– le 26 à Vic-Fezensac (32) dans son hommage à Celia Cruz
– le 27 novembre à Rouen (76) avec un hommage aux Talking Heads

Lire ensuite : Bombino : « la guitare c’est comme les maths »

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