Maligasé, le premier album du groupe, est un concentré d’énergie où rock et maloya tissent ensemble un tapis volant qui mène droit à la transe.
Décidément, le maloya réunionnais, tout comme la musique des gnawas, est capable de nous en faire voir de toutes les couleurs, et de se marier avec toutes les musiques pour un flirt passager ou des amours prolongés. Pourtant, et ceci explique peut-être cela, le maloya demeure profondément enraciné dans les champs de canne de l’île, planant sur ses ravines et ses sommets, dans les yeux qui pleurent ou ceux qui oublient. Une musique qui porte en elle tous les voyages, le plus souvent forcés, qui ont fait l’identité de ce caillou planté au large de l’Afrique. Une tradition vivante, donc capable de rencontres, et qui survit aussi aux distances, puisque ce disque est né dans la banlieue de Paris.
C’est là, à 10 000 km de ses ancêtres, qu’est né Jean-Didier Hoareau, chanteur et neveu du Grand Waro : Danyel (dont une chanson est reprise dans le disque). Il est la voix lead de Trans Kabar, un quartet inédit qui sort aujourd’hui son premier album, Maligasé. Un disque aussi rock que maloya, qui devrait plaire aux aficionados des deux genres tant l’un et l’autre ne grondent que d’une seule et même voix. La réussite de cette rencontre qui emprunte au répertoire traditionnel comme à ceux des grands aînés, tient beaucoup aux arrangements de Stéphane Hoareau, guitariste né à la Réunion et débarqué en France (ou en métropole, c’est selon) quand il avait dix-huit ans. Avec son groupe Girafe, il avait montré qu’il aimait mettre parfois ses pas dans ceux d’Alain Péters, le Jim Morrison réunionnais, qui comme une comète avait traversé le ciel de la Réunion, et ouvert bien des sentiers buissonniers et psychédéliques aux maloyeurs réunionnais. C’étaient les années 80, et le maloya sortait enfin du (Grand) bois à la faveur des changements qui suivirent l’élection de François Mitterrand, et notamment l’ouverture des ondes aux radios libres. Granmoun Lélé, Granmoun Baba, Lo Rwa Kaf ou Firmin Viry étaient les héros d’une musique née dans les services kabaré (ou servis malgas) où les vivants appellent les ancêtres à grand renfort de chants et de percussions (roulèr, kayamb, sati…). Une version captivante, autrefois jouée par des captifs, des cérémonies de possession « tromba » de Madagascar (la Grande île qui fournit bon nombre d’ancêtres aux actuels Réunionnais). Kabar est aussi le nom qu’on continue de donner aux rassemblements profanes, festifs, où l’on s’exprime en chantant le maloya. Voilà pour la moitié du nom du groupe. Quant au « Trans », il rappelle bien sûr la transe, aboutissement naturel autant que spirituel, quand les percussions se déchaînent et que s’emballent les danseurs. Mais aussi le côté transfrontalier, transgenre, qui associe aux deux Hoareau, le contrebassiste Théo Girard et le batteur Ianik Tallet. Autant le dire, une formation pas du tout classique pour jouer du maloya ni du rock d’ailleurs.
Et pourtant, la rage et la nervosité des deux musiques sont là, tout entières, comme si elles parlaient la même langue. La guitare et ses boucles lancinantes, à peine tenues par un attelage batterie-kayamb laissent exploser les chœurs, puissants, de « Ki Bambo », adaptation hallucinée d’un maloya traditionnel. « Maligasé » (« malgache »), qui offre son nom à l’album, commence par un blues où rôde la voix de Jidé Hoareau, tantôt rocailleuse, comme si elle raclait la terre, tantôt salangann, un oiseau libre dont Zanmari Baré chanta la beauté. La guitare hérisse le morceau de piques parfois grinçantes, avant que tous les instruments n’accélèrent, pris par on ne sait quelle folie, et que tous ne se rejoignent, à bout de souffle, pour l’explosion finale. « Maligasé », à l’image de l’album, est un concentré d’énergie. Du genre uppercut, dont on redemande.
Maligasé Extended Play disponible ici.