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The Pan African Music Magazine
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Les Racines, selon Passi
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Les Racines, selon Passi

Près de vingt-cinq ans se sont écoulés depuis la sortie de Racines, le premier album du Bisso Na Bisso. Double disque d'or, ce 1er album de rap français 100% afro est désormais disponible sur les plateformes. Alors qu’il sort un nouvel EP perso, Passi, fondateur du Bisso, nous raconte.

En cette année 2023, le rappeur franco-congolais Passi célèbre, avec Afro, ses 30 ans de carrière. A 51 ans, il s’apprête aussi à concrétiser son rêve : réaliser son 1er long métrage, une comédie autour de la sape, entre la France et le Congo.

Pour PAM, le co-fondateur du Ministère A.M.E.R et du label Secteur A, revient sur la création, en 1997, du combo Bisso Na Bisso. Ses huit membres, tous Congolais et tous têtes d’affiches du mouvement hip-hop français, livrent en 1998 l’album Racines : le premier long format à célébrer les noces du rap hexagonal et des musiques afro ( rumba, soukous, zouk ou salsa). Pacificateur sur « L’Union » et « Après la guerre », plein d’humour et d’auto-dérision sur « Bisso Na Bisso », maniant la caricature pour évoquer la corruption sur « Dans la peau d’un chef », le groupe y célèbre le Congo et l’Afrique (« Africa by night », « Liberté ») avec un casting de rêve : des Guadeloupéens Tanya St Val et Jacob Desvarieux, à l’ivoirienne Monique Seka, en passant par le congolais Koffi Olomide ou le sénégalais Ismael Lo.

Retour sur un classique du rap français, disque précurseur qui permettra quelques années plus tard à Mokobé de livrer Mon Afrique (2007), puis à MHD de porter fièrement son afrotrap.

Retour en 97, l’année où tu fondes le Bisso Na Bisso. Tu as 25 ans, tu as déjà sorti deux albums avec le Ministère A.M.E.R, monté le label Secteur A et tu viens de sortir ton 1er album solo, Les Tentations. Un opus, en partie réalisé par Akhenaton qui, pour la première fois dans le rap français, devient disque d’or en trois semaines.  Tu étais dans quel état d’esprit ? Tu te sentais un peu le roi du monde, non ?

Passi : La chance que j’ai, c’est que ce n’est pas arrivé d’un coup ! J’ai commencé à rapper en 85-87 quand on a monté l’association A.M.E.R (Action Musique Rap) avec Stomy Bugsy, on avait 15 ans. En plus des deux albums avec le Ministère A.M.E.R, sortis respectivement en 92 et 94, on a bossé derrière Doc Gynéco qui cartonne aussi, Stomy Bugsy qui monte, on a participé à la BO du film La Haine, à celle de Ma 6-T va crack-er. En 97, j’ai une dizaine d’années de métier, je suis prêt.

Et puis, on est vraiment dans une démarche de construction. On regarde ce qui se passe aux Etats-Unis, les labels qui se montent, les artistes qui s’auto-produisent. Avec Ministère A.M.E.R, on sait que personne ne va nous ouvrir les portes : les maisons de disques ont peur de nous, les gens de Sarcelles ont des réputations assez dures. Alors, on s’organise. Secteur A, c’est une société d’édition qu’on crée. On a aussi un producteur à l’époque, Mariano Beuve, qui a du matériel et un studio et qui nous aide à avancer. Et puis on a des compositeurs. A l’époque, ce n’était pas aussi facile que maintenant de trouver un compositeur qui faisait du rap. C’est pour ça que j’ai bossé avec Akhenaton : il avait autant, voire plus d’années de rap que moi derrière lui. Avec IAM, ils avaient enregistré leur 1ère mixtape, Concept, en 89 et puis ils étaient allés aux States. A cette époque, des artistes français qui avaient autant d’expérience que nous dans le hip hop, il n’y en avait pas beaucoup ! (Rires). Avec Akhenaton, on a aussi beaucoup parlé de ce nécessaire retour à la culture de nos parents. Il a été le premier à le faire dans son album solo, Métèque et mat (1995).

Plutôt que de surfer sur l’énorme succès de ton 1er album solo, tu décides de monter un groupe, Bisso Na Bisso, et ainsi d’organiser une grande réunion familiale pour célébrer les noces des musiques populaires africaines et du rap hexagonal. Tu n’as pas pensé la jouer solo à l’époque ?

Avec mes potes, on avait envie de créer un rap français qui nous ressemble plus. Un rap qui raconte nos histoires françaises mais qui soit aussi teinté de nos origines congolaises ou africaines. Pour le 2ème album du Ministère A.M.E.R,  95200, j’avais fait une reprise du titre Mario de Franco mais les ayants-droit ne m’ont pas donné les autorisations. Les prémices du Bisso étaient donc déjà là.  Le succès de mon 1er album m’ouvre beaucoup de portes, je fais des concerts partout en France, je passe dans de nombreuses radios, donc j’arrive plus fort pour imposer une nouvelle couleur et un nouveau style.

En 1997, le Congo Brazza connaît un conflit à la fois ethnique et politique (qui a opposé le président Pascal Lissouba et sa milice, les Zoulous, à Denis Sassou Nguesso et sa milice, les Cobras NDRL). J’ai créé le groupe pour envoyer un message au Congo et à l’Afrique en général. Un message d’unité. « Bisso Na Bisso » ça veut dire « tous ensemble » (littéralement, “entre nous” et par extension “tous ensemble”, NDLR). Le faire en solo n’aurait eu aucun sens.

Alors j’appelle d’autres rappeurs originaires de différents coins du Congo, dont j’aime le style et le niveau : Ben-J des Neg’Marrons, Lino et Calbo d’Arsenik (qui font tous trois font partie de ma famille Secteur A), la chanteuse et rappeuse Mpassi, membre du groupe MelGroove, qui est ma cousine et puis les 2 Bal et Mystic que j’ai rencontré sur Ma 6-T va crack-er. Ils sont du 77 (Seine et Marne) et pas du 95 (Val d’Oise) comme mon clan, donc je me dis donc qu’ils vont apporter une autre touche. Et puis je les avais déjà entendus avoir quelques références congolaises dans leur rap.

Ton ambition, à ce moment là, est-ce que c’est aussi de secouer le milieu du rap français ?

PASSI : Je dirais le rap mondial ! Car je savais que le seul moyen de « taper » les Américains était, non pas de les copier en utilisant les même samples de vieux titres soul, mais de puiser dans notre culture afro, dans notre patrimoine. Moi je suis né au Congo, mes racines sont là-bas même si je vis en France. Eux, aux Etats-Unis, ils sont loin de l’Afrique, ils se cherchent, ils sont en quête de leur Négritude. En tant que Noirs de France on avait cet avantage sur eux, on savait d’où on venait et on était proche de nos racines.

Tu es né à Brazzaville et tu es arrivé en France avec ta famille à l’âge de 7 ans. Quel lien entretenais-tu justement avec ton pays et avec le continent en général ?

Je suis le 6ème d’une famille de 7 enfants, donc on ne pouvait pas rentrer au pays tous les ans, plutôt tous les trois ou quatre ans. Chaque été, deux ou trois enfants partaient et ça tournait. Et inversement, des cousines, des tantes, des oncles venaient chez nous, à Sarcelles. Il n’y a pas eu de rupture, on était connecté avec le pays. D’autant que j’ai toujours parlé ma langue maternelle, le kitouba.

Et puis, si mes parents écoutaient de la chanson et de la variété françaises (Brassens, Brel Piaf, Claude François) et mes grande soeurs de artistes afro-américaines (En Vogue ou Whitney Winston), tous écoutaient aussi les classiques africains comme Myriam Makeba ou ce qui cartonnait à l’époque, comme la congolaise Mbilia Bel.

Racines, le 1er disque du Bisso na Bisso, sort en 1998 sur le label que tu viens de créer Issap productions. Il s’ouvre avec un extrait de « Ata Ozali » (1970). Une chanson écrite par Henri Lopes pour Franklin Boukaka, chanteur militant et critique des pouvoirs qui fut assassiné à Brazzaville, en 1972. Est-ce que c’est à la maison qu’on t’a transmis ce pan de l’histoire congolaise ?

Non, ça date d’A.M.E.R. On était très militant quand on a monté l’association. Tu sais, quand tu as 14/15 ans, que tu regardes le renoi accroché à l’arbre ou que tu ne vois pas un renoi à la télé, tu te dis : « mais qu’est-ce que je vais devenir ? » Et puis : « je ne suis pas plus bête que les autres ». Cette formule de Fanon, « le savoir est une arme », qui a énormément été reprise dans le rap français depuis, c’était notre logo. On organisait des rencontres avec d’autres associations pour aider les familles immigrées à apprendre à lire ou pour évoquer certains moment de notre Histoire. On se documentait beaucoup. Sur Marthin Luther King, Marcus Garvey, Steve Biko, Amilcar Cabral. On lisait du Franz Fanon, on samplait du Manu Dibango. Il fallait aller chercher des modèles car on ne les trouvait pas dans les livres d’Histoire.

Ministère Amer – Le savoir

Avec Kassav, Jacob Desvarieux avait déjà créé un pont entre l’Afrique et les Antilles. Est-ce que tu avais conscience de la puissance symbolique de votre geste ? Celui de créer un pont entre la France et les mondes afro, en l’invitant sur l’album au même titre qu’une glorieuse délégation panafricaine?  

On s’en est rendu compte après les deux premiers titres, « L’Union » et « Bisso Na Bisso ». Du message d’unité strictement congolais, on est passé pour l’album à un message panafricain. Car nos potes camerounais, sénégalais ou ivoiriens vivaient la même chose dans leur pays. L’idée était de toucher toutes les Afriques et c’était donc super important d’avoir avec nous tous ces artistes qui nous on fait danser (et je pense aussi à Jocelyne Labylle, Manu Dibango, Papa Wemba ou encore Khaled qui sont sur le 2ème album du Bisso, Africa, sorti 10 ans plus tard). Ils ont tout de suite compris notre démarche et nous ont permis de porter le message plus loin et auprès de différentes générations.

Seul manque au tableau du Bisso l’Afrique anglophone, avec laquelle tu tisses aujourd’hui des liens sur l’EP Afro par des collaborations avec les Ghanéens Sarkodie et Akwaboah, ou le Nigérian Praiz Multi.

Avec le Bisso, on lorgnait déjà de ce côté-là. On a voulu bosser avec les Naija (2Face, P-Square) mais on n’a pas réussi. Alors, oui, aujourd’hui, je continue à élargir mon univers et fais le lien entre la France, l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone. J’ai commencé avec le Ghana et le Nigéria et j’espère continuer avec l’Afrique du Sud.

En Afrique du Sud justement, en septembre 1999, lors des African Kora Music Awards, parrainés par Nelson Mandela et Michael Jackson, Bisso Na Bisso se voit remettre le prix du « Meilleur groupe africain » et du « Meilleur clip » pour le single éponyme. Ça fait quoi de rencontrer et d’être reconnu par ces idoles ?

C’est un des meilleurs moments de ma vie ! Michael Jackson a été notre première idole à tous, son succès mondial nous a décomplexés. Avant de changer de couleur de peau, il a été le symbole de la fierté noire. Je n’ai pas la photo avec Mickael, contrairement à d’autres membres du groupe, mais j’ai la photo avec Nelson Mandela ! Quelle fierté ! Une consécration qui fait d’autant plus plaisir, qu’au début, personne n’y croyait à cette histoire de mettre du rap sur de la musique africaine. Et en fait on a tout « ni…. » ! (rires)

Dans le morceau « Bisso Na Bisso », vous vous projetez dans un futur où le Bisso est devenu un groupe légendaire. Et pour perpétuer la légende, chacun raconte ses souvenirs et parle des autres membres du groupe, parfois en le chambrant un peu et en en rajoutant sur ses petits travers. Mais ce que chacun a en commun, c’est la culture du pays, d’où les mentions du « gombo » ou du « ndombolo ». Quelle est l’histoire du clip ?

On a tourné le clip en Côte d’Ivoire. On a été voir les vieux au village, on les a mis bien. Et parce que je ne voulais pas de cette image jaune, propres au clip réalisés sur le continent à l’époque, on a fait venir un réalisateur américain, Marcus Turner, un black de trois mètres de haut, super balèze. Ce tournage a aussi été l’occasion de rencontrer Alpha Blondy. Il était fan de notre projet. Je me souviens qu’il nous a tous invité à manger, on était une vingtaine !!

Fin 2023 marquera les 25 ans du 1re single du Bisso na Bisso et, début 2024,  les 25 ans de l’album Racines. Ça se fête, ou bien ?

PASSI : On va marquer le coup avec la ré-édition en vinyle de Racines, ça c’est certain. Et puis, je suis en train de voir avec le groupe s’ils sont chauds pour un concert. À suivre…

Le dernier EP de Passi, Afro, est disponible.

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