« Techno kuduro » (DJ Marfox), « afro grimes / UK bass » (Rastronaut), groove afro-luso (Rocky Marsiano & Meu Kamba Sound), « kraut-psyché arabisant » (Jibóia), « weird house » (Niagara) mais aussi rock psyché (Mighty Sands, Keep Razors Sharp, Bispo, Pega Monstro) et blues rock (The Legendary Tigerman) : en invitant la musique de Lisbonne cette année, Nuits Sonores promet de montrer le cosmopolitisme à tendance afro-européenne de la capitale portugaise, en plein cœur de la ville de Lyon.
Dans le paysage des festivals de musique en France, Nuits Sonores se classe dans la famille des défricheurs, des preneurs de risque, et de ceux qui aiment jouer avec l’environnement urbain dans lequel ils s’inscrivent. Chaque année depuis 15 ans et un focus sur Marseille, le festival lyonnais propose une carte blanche dédiée à une ville. En 2017, c’est au tour de Lisbonne, et la programmation révèle avec pertinence le cosmopolitisme culturel de la « ville lumière ». « À l’heure où les replis identitaires et la fermeture des frontières écrasent les débats, [Nuits Sonores] rend hommage à cette ville de diversité et de mixité culturelles », peut-on lire sur le site internet du festival. D’après Baptiste Pinsard, un des co-programmateurs de la Carte blanche, « Lisbonne est une ville ouverte à la musique du monde : sur l’Afrique, le Brésil mais aussi le Moyen-Orient, comme le montrent Jibóia et De Los Miedos ».
Après avoir déjà commencé l’exploration de l’identité afro de la capitale portugaise, PAM s’est entretenu avec Baptiste Pinsard, un des programmateurs de Nuits Sonores concernant la Carte Blanche spéciale Lisbonne.
Baptiste Pinsard à propos de Rocky Marsiano & Meu Kamba Sound : « D-Mars est une vrai figure de la scène musicale lisboète [NdA : il réside à Amsterdam depuis quelques années mais se produit régulièrement à Lisbonne] et ses 10 ans d’activisme musicale en faisait un artiste incontournable pour cette Carte Blanche. C’est sous son alias Rocky Marsiano et particulièrement pour défendre son très bel album Meu Kamba Sound que nous avons souhaitez l’inviter, car c’est un artiste que nous avons surtout découvert à travers ses productions afro house et hip hop nourries de raretés funaná et semba angolaises. Le live promet d’être immanquable ! »
Pan African Music : Pourquoi avoir choisi Lisbonne cette année ?
Baptiste Pinsard : C’était le choix, collégial et démocratique, de l’ensemble de l’équipe du festival qui se réunit annuellement pour définir la Carte blanche de l’année suivante. Parmi un certain nombre de propositions, c’est finalement la capitale portugaise qui a été retenue.
PAM : Sur quels critères avez-vous fait ce choix ?
B.P. : Nous suivons trois axes, dans cet ordre de priorité : culturel (la force de la culture locale), politique (la façon dont la ville se développe et les stratégies que mettent en place les habitants et les pouvoirs publics), économique (les possibilités de financement à notre disposition). La Carte blanche étant gratuite d’accès au public, nous devons trouver des financements en dehors de la billetterie.
PAM : Lisbonne remplit donc aujourd’hui les critères de la Carte blanche de Nuits Sonores ?
B.P. : Oui ! Lisbonne a aujourd’hui une culture locale très forte, que ce soit en musique ou en gastronomie, en design, ou dans d’autres domaines artistiques ; la ville invente de nouvelles stratégies de développement alors qu’elle subit une crise économique très forte ; enfin nous avons des pistes pour des financements intéressants.
PAM : Aviez-vous déjà repéré le potentiel cosmopolite, multiculturel à tendance afro de la musique lisboète ?
B.P. : Oui, cela fait quelques années que nous suivons de près les sorties des artistes de Enchufada [NdA : Buraka Som Sistema, Branko, Rastronaut] ou de Príncipe Discos [NdA : DJ Marfox, DJ Niggafox, DJ Lilifox, DJ Firmeza]. Et l’équipe de Nuits Sonores connait bien James Stewart, un DJ qui organise à Lyon la résidence Black Atlantic Club au Sucre depuis 2014, et qui avait déjà invité Branko, entre autres. ll y a aussi Pablo Valentino parmi nos connaissances, un DJ de Lyon qui connait bien la scène portugaise et qui a été un de nos premiers relais entre Lyon et Lisbonne.
Baptiste Pinsard à propos de Rastronaut : « Nouvelle figure de proue du label Enchufada, Rastronaut apporte une touche grime / UK bass affirmée dans la club culture lisboète ! »
PAM : Êtes-vous allés sur place à Lisbonne pour sélectionner les artistes ou avez-vous confié une véritable carte blanche à des insiders locaux ?
B.P. : Oui, j’y suis allé avec Violaine, qui fait partie de l’équipe de programmation du festival. Nous avons rencontré beaucoup d’acteurs locaux qui nous ont aiguillés et conseillés : artistes (The Legendary Tigerman, Mike Stellar, De Los Miedos…), promoteurs et producteurs (Lux, MusicBox, Zé Dos Bois, Village Underground…), tourneurs (Filho Único, Lovers & Lollypops…)… Nous avons passé une semaine sur place au mois de décembre pour les rencontrer et nous informer sur les artistes les plus intéressants du moment. Mais au final, la programmation reste le choix de Nuits Sonores à 100%.
Baptiste Pinsard à propos de DJ Marfox : « Le boss de Príncipe Discos, personnage incontournable de la nouvelle scène club lisboète qui porte le renouveau d’une techno breakée aux influences kuduro. Sa musique et celle du label qu’il dirige est le parfait exemple de la globalisation culturelle en œuvre dans la capitale portugaise. »
PAM : Parmi la dizaine de jeunes DJs/producteurs du collectif Príncipe Discos, pourquoi avoir choisi DJ Marfox, l’un des rares qui a déjà beaucoup joué en dehors du Portugal et dont le nom est déjà connu ? Aussi, avez-vous pensé à Octa Push, deux frères dont la musique plonge les rythmes et mélodies angolais et cap-verdiens dans la modernité électronique ?
B.P. : Choisir DJ Marfox plutôt que les autres, très bons eux aussi, était évident. C’est lui qui a été à l’initiative du collectif Príncipe Discos, il a une belle longévité, et c’est une valeur sûre sur scène. Concernant le choix des artistes, à notre retour, on a décidé de notre programmation idéale, et c’est celle que tu peux voir sur l’affiche aujourd’hui : tous les artistes que nous avons choisis étaient disponibles et rentraient dans notre budget !
PAM : Votre séjour à Lisbonne devait être l’occasion de vérifier ce qu’on vous avait dit sur le multiculturalisme de la ville. Qu’en as-tu pensé ?
B.P. : Lisbonne est une ville ouverte à la musique du monde : sur l’Afrique, le Brésil mais aussi le Moyen-Orient, c’est évident. J’ai aussi remarqué une grande solidarité entre les musiciens, quel que soit le genre de musique qu’ils jouent. Il y a une grande entraide. On a aussi eu la chance d’assister à une Noite Príncipe, la soirée mensuelle du collectif Príncipe Discos au MusicBox, et c’était génial.
PAM : Êtes-vous allés rencontrer ces jeunes producteurs, tous afro-descendants, chez eux, dans les quartiers « sociaux » situés en périphérie de la ville ? [NdA : le premier disque du collectif en 2006 s’intitulait DJ’s do Guetto, soit « DJs du ghetto »]
B.P. : Un de nos guides locaux nous a fait visiter rapidement ces quartiers, mais avons manqué de temps pour rencontrer tout le monde !
Baptiste Pinsard à propos de Jibóia : « L’un des groupe les plus surprenants de Lisbonne. Le jeune duo propose un voyage planétaire sur un son de clavier krautrock, mêlant influence orientaliste et nord-africaine, définitivement l’une de nos plus belles découvertes sur cette Carte Blanche à Lisbonne. »
PAM : Enfin, un peu de curiosité, forcément, suite à la lecture du site de Nuits Sonores : qui sont « les artistes de street art engagés, les plasticiens, les cuisiniers et cinéastes inspirés, ainsi que les nombreux activistes » lisboètes que vous avez invités ?
B.P. : Surprise ! La programmation est en cours…
Retrouvez la Carte blanche à Lisbonne sur le site du festival.