Le rappeur congolais Lexxus Legal participait au festival Africolor. Pour PAM, il explique son rôle d’artiste dans un pays en crise. Interview à Paris, avant son retour à Kinshasa où il donne ce soir un concert.
Photo couverture : Florent de la Tullaye
Vendredi dernier, sur la scène de la salle Jacques Brel de Pantin, Jupiter Bokondji et son orchestre Okwess International invitaient un autre kinois, le rappeur Lexxus Legal, à ouvrir la 29ème édition du festival Africolor.
Près d’un an après la fin officielle du mandat de Joseph Kabila, alors que la RDC attend toujours l’organisation d’élections présidentielles et avec elles la possibilité de la première alternance pacifique de son histoire, rencontre avec un artiste qui use de son rap pour défendre la vigilance citoyenne.
Tu seras en ce concert ce vendredi 24 novembre Kinshasa, à la Halle de la Gombe. Sur ta page Facebook, tu annonces « Un concert basique pour un public acide. » Traduction ?
Mon public se demande pourquoi je joue moins, pourquoi avec mon équipe on organise moins d’évènements. Mais c’est parce que chaque jour la liberté d’expression diminue au pays. Et les lieux ne veulent plus s’associer. Parfois même on me demande de signer un document où je m’engage à ne pas jouer telle ou telle chanson. Pourtant, je ne tue personne en disant ce que je dis, je ne mens pas et les gens ont besoin de ça. Parfois, le fait d’avoir envie de retrouver le public fait que tu te dis « ok, je vais le tenter comme ça ». Ce concert, c’est pour la Journée Mondiale de l’Enfance, l’UNICEF a énormément milité pour qu’il puisse avoir lieu. J’ai donc la responsabilité de faire venir le public et il ne faut pas que la police intervienne avec violence, que ça disperse les gens, qu’on en arrête certains. C’es pour ça que je dis, je fais un concert « basique ». Je prépare mon public et je leur dis : je sais que vous venez et qu’en sortant vous voulez direct la révolution, mais, comme je le dis sur le titre ‘Chez nous‘ : « on se calme, c’est pas encore un coup d’état, c’est juste un éclat, un coup de slam. » Le jour viendra.
Au printemps dernier, tu as sorti le titre « Kananga Cas Na Nga« . Que l’on peut traduire du lingala par « Kananga, c’est mon cas ». Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui se passe à Kananga (la principale ville du Kasaï dans l’est de la RDC) et ce que tu dis dans cette chanson ?
A Kananga, c’est très simple : la politique s’est mêlée de ce dont elle ne devrait pas se mêler. Un chef coutumier a refusé ce que voulait lui imposer l’agenda politique et aussi ce que voulait les multinationales. On a d’abord commencé par violer sa femme et puis on l’a tué. On l’a remplacé par un autre, il a été contesté, les milices s’en sont mêlées, les balles ont fusé. Des milliers de personnes sont mortes. Et cette histoire, pourtant tragique, elle n’aurait peut-être pas pris autant d’ampleur si deux experts de l’ONU n’avaient pas été tués.
Ça sent très mauvais : ça sent des histoires de gros sous, ça sent la grosse mafia internationale qui découvre encore d’autres minerais dont on ne connaît pas encore le nom, ça sent une population qu’on a voulu éradiquer pour récupérer sa terre. Ça sent exactement ce qu’on a toujours vu à l’Est du pays : on brûle des villages, on viole, on déplace des populations et puis on voit des sociétés françaises, anglaises, canadiennes ou suisses débarquer.
Et toutes ces choses se passent alors que l’ONU est dans le pays. Un jour, on devra s’interroger sur l’argent englouti par cette MONUSCO et sur ce qu’elle fait réellement chez nous.
Dans la chanson je dis : « ces sangsues de politiques ne prennent du poids qu’en suçant la sève de nos carcasses et comme des cons on se prête au jeu, on se fracasse, décapite. Kananga c’est toi et moi malukayi, c’est quoi le bif, le but ? » Je m’adresse en même temps aux gens qui s’entretuent, à la petite jeunesse qui ne sait pas pourquoi elle est en train de dépecer les autres et à ces politiques qui ont constamment besoin de ça pour passer pour des faiseurs de paix, comme je le disais déjà sur le sur le titre « Incompris » : « l’orgueil insupportable des seigneurs de guerres qui muent en prince de paix…..Le regard hagard de victimes, sentiment d’avoir été trahis par le sien, le voisin et onusien ».
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« L’IDÉE C’EST QUE LES GENS S’APPROPRIENT LES DIFFÉRENTES PROBLÉMATIQUES DU PAYS ET QU’ILS SE DISENT : AUJOURD’HUI CE QUI S’EST PASSÉ À KINSHASA OU À GOMA C’EST AUSSI MON PROBLÈME. »
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Depuis la sortie de ce titre, tu termines tous tes posts facebook par le hastag #CasNaNga. Une manière d’alerter, d’éveiller les consciences ?
Ici on dit « Je suis Paris », ou « Je suis NY » et moi je me suis demandé comment on pouvait faire pour que, dans notre langue, les gens se sentent concernés. #CasNaNga est venu comme ça. L’idée c’est que les gens s’approprient les différentes problématiques du pays et qu’ils se disent : aujourd’hui ce qui s’est passé à Kinshasa ou à Goma c’est aussi mon problème, mon cas, et qu’ils s’impliquent un peu plus pour faire avancer les choses.
De manière générale, la jeunesse africaine est consciente aujourd’hui, elle comprend les enjeux. Moi-même je commence à me dire qu’il faut que je change, que j’arrête de chanter l’éveil des consciences, ça fait un moment que le peuple congolais est prêt. Mais ceux qui prétendent être des leaders sont en train d’endormir cette jeunesse et il faut une étincelle par rapport à cela. Aujourd’hui, ce que je dis à la jeunesse de mon pays c’est : « essaye, oublie tout ce qui a existé avant, oublie les grands leaders. Il faut que tu sois le leader dont tu as toujours rêvé. Commence par te dire : ça me concerne, c’est ma commune, ma ville, j’en ai marre, je sors ! N’attends pas forcément qu’on te donne un mot d’ordre ».
L’idée c’est d’autonomiser les gens et de pas constamment de leur dit dire « marche » et ce sont les enfants des autres qui viennent, ça c’est le trucs de tous les politiciens chez nous. D’ailleurs, tu vois rarement leurs enfants et leurs femmes marcher. Nous on sort, point barre. On donne l’information mais on ne dit à personne de venir. On dit : « si tu te sens capable, viens. »
Quand tu dis « nous » tu évoques le collectif des « citoyens lésés » créé en septembre dernier et avec lequel tu t’es mobilisé contre l’invalidation annoncée des passeports semi-biométriques. A la demande de MSF tu également écrit un titre, « ZWA NGA BIEN » (Regarde-moi bien), en ligne depuis la semaine dernière, pour combattre la stigmatisation qui touche les personnes vivant avec le VIH. Tu es sur tous les fronts…
Aujourd’hui, il faut un nouveau type de musicien au Congo, un N.T.M. Il faut que les artistes gardent à l’esprit qu’ils ont un public et que ce public souffre. Eux-mêmes vivent dans une réalité sociale congolaise : un musicien ou quelqu’un de sa famille à des problèmes de santé, donc le secteur de la santé l’intéresse. Il a des problèmes avec la justice, donc la corruption de la justice le touche. Nous devons mettre notre notoriété au service d’un certain nombre de causes. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas chanter pour les « hanches », mais il faut aussi un « cerveau » pour dire : « ce n’est pas normal qu’on en soit arrivé là. »
Certains m’ont dit, « Lexxus on a l’impression que tu t’acharnes sur l’opposition au lieu de t’acharner sur notre problème qui est le pouvoir et Monsieur Kabila. » Et je leur ai dit : « Mais vous ne comprenez pas, le problème de monsieur Kabila est réglé par la constitution, c’est fini, on ne va pas continuer à en discuter !» Ce qui m’intéresse c’est ceux qui veulent le remplacer. Quelle est leur vision de la chose ? Quels sont les projets alternatifs ? La grande problématique de l’Est, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda ? Qu’est que vous allez faire ?
Un Etat comme le nôtre à une responsabilité régionale et même africaine.
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« ON VEUT DES HOMMES DE CONVICTIONS, DES HOMMES QUI ONT LE SENS DE L’ETAT, DES HOMMES QUI ACCEPTENT MÊME DE DIRE ‘JE NE CONNAIS PAS MAIS J’AI LA MORALITÉ' »
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On ne demande pas la maîtrise des dossiers, on demande au moins des prémisses. Aujourd’hui par exemple, combien d’hommes politiques sont venus nous voir pour nous dire : « vous êtes dans la culture, dans les arts, quels sont vos problèmes ? Comment pensez-vous que l’on peut faire ? ». On donne des expertises partout, mais dans notre pays on ne nous demande pas notre avis.
On veut des hommes de convictions, des hommes qui ont le sens de l’Etat, des hommes qui acceptent même de dire « je ne connais pas mais j’ai la moralité, ou la probité ou l’énergie pour faire avancer les choses ». On ne veut plus des prétentieux et des suffisants qu’on a au pays, des gens qui ne proposent rien, aucune alternative et qui ont pour seule politique : « Kabila dégage ! » C’est ça le problème du Congo, c’est ça qui nous a fait du mal.