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The Pan African Music Magazine
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Musique et démocratie en Angola : le point de vue de Batida

Aujourd’hui les Angolais se rendent aux urnes pour élire leur parlement et leur président. Pour l’occasion, on republie un extrait d’une interview que Pedro Coquenão aka Batida avait donnée en mars dernier à notre correspondant à Lisbonne, Kino Sousa. Il y est question du chemin vers la démocratie, et du rôle des artistes dans un contexte politique tendu. Extraits.

Entre émissions de radio sur les ondes, en ligne, à la télévision, sur scène et dans la rue, collaborations, travaux avec Ikonoklasta et des membres de Buraka Som Sistema, soutien aux activistes de Luanda… Dix ans d’un « activisme » par l’art, une notion que l’artiste se refuse pourtant à utiliser, voire rejette.

PAM : Tu sembles croire en une démocratie plus forte, ou plus juste, suite au retrait du pouvoir annoncé de José Eduardo dos Santos (leader du parti MPLA) après 37 ans de gouvernement ? Sachant qu’il semble s’arranger pour confier les rênes du pouvoir à son ami et actuel ministre de la Défense…

Pedro Coquenao : Imagine une femme battue par son mari à la maison. À chaque fois, le meilleur ami de l’homme est présent, tranquillement assis, sans rien dire. Un beau jour, le mari annonce à sa femme : « Je m’en vais, mais je te laisse avec mon ami. » Les choses pourraient-elles changer ? Honnêtement, je n’en sais rien. Ce type qui est resté assis toutes ces années, et qui a été témoin de la violence du mari… Il aura peut-être envie de donner des coups de pied à la femme, lui aussi. Qui sait ? Au niveau symbolique, le fait de ne plus voir le même visage partout va sans doute aider la population, parce que la peur collective se concentre dans la seule personne du président de la République. Les gens peuvent enfin croire que le changement peut exister. Mais je pense que les choses vont être très similaires, et les changements très peu perceptibles. La bonne chose sera un nouveau sentiment de liberté et de possibilité, très relatif, comme quand tu changes de coiffure. Voyons ce que les gens vont en faire. Même si les Monty Pythons avaient voulu écrire cet épisode, ils n’auraient pas fait aussi bien.

© Nuno Barroso (Lisbonne)

Quelles sont les difficultés de la vie quotidienne en Angola ?

Les problèmes sont les mêmes pour tous les Angolais. Si je suis ici à Lisbonne, ce n’est pas uniquement parce que j’aime cette ville, mais aussi parce que je ne vois pas comment je pourrais survivre à Luanda. Il faut au minimum un soutien familial sur place. Et encore… Mes amis de là-bas y restent parce qu’ils n’ont aucune autre option, et ils aimeraient vivre ailleurs. Un seul exemple avec l’eau : il n’y a pas d’eau courante, mais uniquement de l’eau polluée, infectée, ou trop chère, alors que le pays a un excellent réseau hydrographique. C’est effrayant. L’Angola a un des taux de mortalité infantile les plus élevés du Monde [8e rang], idem pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. En Angola, les gens naissent sans espoir et meurent sans espoir…

Est-ce qu’en tant qu’artiste, tu as déjà eu des soucis avec le gouvernement angolais ?

Oui, un exemple : l’an passé, je devais participer à une tournée avec MCK et Ikonoklasta (Luaty Beirão) qui habitent en Angola, mais on n’a pas pu donner une seule représentation, car toutes ont été annulées. On arrivait devant les salles, et on y trouvait la porte fermée gardée par la police, alors que tout avait été organisé normalement. On a fini par faire un show dans un espace privé retransmis en direct sur Youtube.

Est-il possible de faire carrière en Angola ?

Pour nous, les Africains, il n’est quasiment pas viable de faire de la musique en Angola, à cause de l’organisation du marché et du public trop restreint. Soit tu joues le jeu de la propagande gouvernementale et tu es associé au régime, et tu peux alors vivre de ton art ; soit tu t’y opposes et tu n’as aucune chance de survivre, et dans ce cas tu es obligé de fuir et de rechercher une plus grande liberté, généralement au Portugal.

Pourquoi le kuduro est-il encore stigmatisé ?

Voici ce que se disent les gens : la afrohouse, c’est quelqu’un de la classe moyenne, qui s’habille et danse à peu près comme moi. Le kuduro, c’est un punk, un type qui se pointe dans le club, habillé comme il veut, qui vient sans doute de la périphérie ou de la banlieue – du musseque de Luanda – et qui danse comme personne d’autre. Les gens en ont peur. Tu as encore là un exemple de racisme social.

Le kuduro a été une danse de révolte sociale populaire avant d’être une musique. Tu as pu être témoin de sa naissance en Angola ?

Oui, et je pense que c’est la chose la plus intéressante que l’Angola a produite ces derniers temps. Cette danse est une catharsis sociale très puissante qui n’avait rien de très attirant au début : c’étaient des gamins qui avaient perdu une jambe à cause de la guerre civile, ou des gens qui faisaient semblant d’être unijambistes, et qui exprimaient un stress lié à ce conflit. Le kuduro n’a été socialement accepté en Angola et au niveau international qu’à partir du moment où les Buraka Som Sistema en ont fait une version musicale pop qui sonnait bien dans les clubs. On m’avait demandé de préparer une émission spéciale kuduro pour la radio nord-américaine NPR. Après avoir envoyé plein de chansons et discuté du sujet avec le rédacteur en chef de l’émission, il a fini par me dire que ça ne pouvait pas passer à l’antenne. Si une musique n’est pas digne de passer sur les ondes d’une radio aux États-Unis, c’est le signe qu’elle est novatrice.

Tu as déjà été invité à jouer en Angola en tant que Batida ?

Oui, j’ai reçu ce qui ressemblait de loin à une invitation, mais on me demandait ce que j’allais faire exactement, et on me suggérait même de prendre un autre nom…

Ça ne t’a pas empêché de transporter dans ta valise, lors d’un de tes voyages à Luanda, des livres ou essais sur l’histoire de l’Angola, l’esclavage, Nelson Mandela… qui pourraient déplaire au régime. Tu as même posté la photo sur ton compte Instagram : provocation ou transmission de propagande révolutionnaire ? On ne trouve pas ces livres en Angola ?

J’apporte toujours des livres à Luanda parce qu’ils ont un pouvoir magique là-bas. Ce n’est pas un objet comme un autre. La plupart des livres qui parlent de l’Angola sont édités en dehors du pays, et sont illégaux. Cette photo, c’était lorsque mes amis étaient en prison [pour avoir fait la lecture collective d’un manifeste révolutionnaire]. Je leur ai apporté à chacun un livre, qu’on ne trouve pas en Angola.

Lisboa-Luanda (Tráfico de armas)

Une publication partagée par Batida (@batidaofficial) le 

La légende de ton post Instagram est « Lisbonne-Luanda (Trafic d’armes) ». Tu as réussi à faire rentrer ces livres en prison ?

Oui, j’ai réussi à les faire rentrer, sauf un, parce que le contrôle n’est pas aussi strict qu’on peut l’imaginer. Le fonctionnaire de la prison regarde la couverture, le titre, et tant qu’il ne voit pas les mots « dictature », « révolution » ou ce genre de vocabulaire suspicieux ou d’image provocatrice, il laissera passer. Et si le fonctionnaire est dans un bon jour – le Benfica a gagné son match, le soleil brille… – alors tout peut passer. Et c’est pareil pour tout en Angola. C’est le côté portugais de la société [rires]. Prends ce livre de Kalaf que tu as apporté aujourd’hui : sur la couverture, on lit « Angolais » et « Lisbonne », et on voit un homme noir vêtu d’un costume et des belles lunettes : ce bouquin ne sera pas interdit en Angola.

CRÉDITS PHOTO UNE : MARCO LONGARI / AFP

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