Avant de jouer ce soir à Pessac (France) et le 27 septembre à Borgerhout (Belgique), le rappeur et fervent panafricaniste togolais Elom 20ce était en showcase vendredi dernier au Centre Pompidou, à Paris. La veille, son pays venait de vivre une nouvelle journée de mobilisation massive contre le pouvoir, notamment dans les rues de Lomé. Interview.
PAM : Toi qui depuis 10 ans, « allume(s) des feux de brousse dans l’obscurité » par le biais du rap et des rencontres itinérantes Arctivism, comment vis-tu le fait d’être ici à Paris et non pas chez toi à Lomé en ce moment ?
Il ne faut pas pas négliger le combat dans la périphérie, c’est à dire celui de ceux qui ne sont pas là physiquement sur le terrain mais qui peuvent relayer l’info. Et justement à Lomé, Internet vient d’être coupé pendant 5 jours. Moi je pouvais partager certaines infos que j’avais. Donc ça a été un peu dur, j’avoue, mais en même temps je pense que même en étant ici je peux soutenir cette lutte là. (…) Moi j’ai ma famille à Lomé, j’ai essayé de les joindre pendant 5 jours, ça été très compliqué. Je sais qu’il y a eu des bastonnades dans des maisons. L’image qui m’ait venu c’était ça : j’ai vu comme un bétail enfermé dans un camp de concentration où les gens sont agressés et on ne peut même pas les joindre. Je pense que les camps de concentration c’était un peu ça : les gens étaient arraché à leur famille, on ne pouvait pas savoir où ils étaient, ce qui leur arrivait et je trouve ça inadmissible.
MAIS JE PENSE QUE – ET C’EST PAS PROPRE AU TOGO – QUAND TU VIS DANS UN PAYS AFRICAIN OÙ TU AS LA VOLONTÉ DE CRÉER, DE FAIRE AVANCER LES CHOSES ET QUE L’ENVIRONNEMENT N’EST PAS PROPICE, ÇA FAIT DÉJÀ PESER SUR TOI UNE FORME DE MENACE.
ON A DES RÊVES POUR NOTRE PAYS, POUR CE CONTINENT. ON RAMÈNE TOUT À LA POLITIQUE MAIS AU FOND TOUT CE QUE CES GENS QUI MANIFESTENT DEMANDE C’EST DE VIVRE EN HOMMES LIBRES.
Par des raps conscients ou des post sur les réseaux sociaux, tu dénonces les maux de ton pays et du continent. Est-ce que tu as déjà été menacé ? Est-ce que tu te sens menacé ?
On est venu voir ma soeur pour lui dire : on a un œil sur ton frère. Je ne sais pas si c’est vraiment arrivé. Elle me disait de ne pas publier certaines choses sur les réseaux sociaux justement. Peut-être qu’elle a inventé ça pour me dissuader. Mais j’ai des proches qui ont reçu des menaces, qui ont été expulsés du Togo. Mais je pense que – et c’est pas propre au Togo – quand tu vis dans un pays africain où tu as la volonté de créer, de faire avancer les choses et que l’environnement n’est pas propice, ça fait déjà peser sur toi une forme de menace. La menace c’est pas forcément qu’on vienne te dire « boucle là, on va te tuer ». Quel avenir avons-nous ? Quelles sont nos perspectives? Nous n’en avons aucune. Et ça, c’est déjà une menace en soi.
Ce qui se passe en ce moment au Togo est inédit. Est-ce tu penses que cette mobilisation peut aboutir à un changement politique ?
Je pense que ça peut aboutir si au niveau du corps armé – c’est à dire de nos frères et nos sœurs, car ce qui nous différencie c’est juste l’uniforme qu’ils portent, je sais qu’ils souffrent comme nous – il y a des gens qui prennent des décisions pour être à côté du peuple. On aime citer le cas burkinabé, mais on oublie souvent de dire qu’au final l’armée s’est opposée à la garde présidentielle (ndlr : restée fidèle à Blaise Compaoré).
Ce qui se passe au Togo est inédit et même si ça n’aboutit pas concrètement cette fois, ça va ouvrir une voie essentielle pour les années à venir. On essaie aujourd’hui d’opposer le nord et le sud, l’est et l’ouest mais on oublie de dire qu’on est des jeunes qui, au-delà de toutes questions d’ethnies, sommes des gens qui rêvent. On a des rêves pour notre pays, pour ce continent. On a envie d’être libres, de vivre dignement. On ne veut pas avoir 45 ans et vivre chez nos parents. On ne veut pas avoir 30 ans et demander de l’argent à nos parents, on veut au contraire pouvoir les aider. On veut avoir des enfants qu’on peut regarder dans les yeux. On ramène tout à la politique mais au fond tout ce que ces gens qui manifestent demande c’est de vivre en hommes libres. Et ces demandes, souvent, sont les mêmes que celles de ceux qui tiennent la matraque et frappent leurs propres frères.
Ton troisième album, Indigo, est sorti en décembre 2015. A quand le prochain ?
Peut-être en 2018. Mais je ne veux pas me presser. J’ai le titre, des morceaux. Mais avant je vais essayer de faire des vidéos. Ce qui m’intéresse en ce moment c’est l’image et l’écriture. Le rap c’est bien, mais parfois je me sens limité par le format d’un titre de trois ou quatre minutes. L’image ça parle beaucoup. J’aimerais bien aussi sortir un recueil non pas de poèmes mais de textes. Peut-être un livre-CD où je ferais lire des textes personnels par d’autres. Longtemps j’ai fais des textes très politiques et aujourd’hui je me dis qu’on peut faire des textes personnels mais qui parle de politique, c‘est le gros challenge.
En attendant, pour découvrir avec quel talent Elom 20ce manie les mots, rendez-vous le 21 septembre, à la MC 93 de Bobigny. À l’occasion de la sortie de Marianne et le garçon noir (Fayard), une soirée présentée par Wajdi Mouawad réunira son auteur, Léonora Miano, et les contributeurs du livre : Amzat Boukari Yabara, Yann Gael, D’ de Kabal, Akua Naru, Wilfried N’Sondé, Insa Sané et Elom 20ce.
Un morceaux inédit d’Elom 20ce, inspiré du texte écrit pour cette ouvrage collectif, sortira par ailleurs en vinyle le 11 décembre prochain, accompagné de plusieurs morceaux de l’album Indigo.
Photos : Youvé