« Observer n’est pas un crime ». Ce titre de l’album Zombie (1976) trouve une résonance particulière dans l’affaire Valsero. Mis à part le microphone, le flow de l’artiste et ses pieds pour marcher, il n’a jamais eu aucune arme sur lui. Il n’a tué personne, à ce jour.
C’est vrai, la parole devient une arme létale dans la bouche d’un officier des forces armées, qui donne l’ordre de tirer à un peloton d’exécution : FEU ! Une vie humaine est foudroyée. Ensuite, l’officier vient donner le coup de grâce au condamné. Une scène de sinistre mémoire au Cameroun. Nous étions au début des années 1970, à l’époque des exécutions publiques. Comment imaginer qu’un artiste comme Valsero puisse risquer la peine de mort pour une manifestation pacifique ? On se croirait dans les pires moments où les gouvernements militaires successifs du Nigéria faisaient tout pour terroriser Fela. En écoutant « Observation Is No Crime », je ne peux m’empêcher de faire le lien avec Valsero.
« C’est l’huile que je porte l’huile
Le récipient est plein d’huile
C’est l’huile que je porte (choeur)
Le porteur de sable a tout gâté
C’est l’huile que je porte (choeur)
Il a déversé le sable dans l’huile »
Je porte de l’huile. L’huile est utile. Mais le porteur de sable vient déverser son sable dans mon huile. Or les rouages de la machine sociétale ont besoin d’huile pour bien tourner. L’oppression, la corruption, la mauvaise gouvernance et autres maux sont autant de grains de sable qui font que l’Afrique dysfonctionne. On le vit, on le sent, on le voit, on l’entend… il faut bien le dire.
« Dis-moi, dis-moi mon frère
Dis-moi, dis moi (choeur)
Dis-moi pourquoi j’aurais des yeux pour ne pas voir ?
Dis-moi, dis moi (choeur)
Dis-moi pourquoi j’aurais un nez pour ne pas sentir ?
Dis-moi, dis moi (choeur)
Dis-moi pourquoi j’aurais des oreilles pour ne pas entendre ?
Dis-moi, dis moi (choeur)
Dis-moi pourquoi j’aurais une bouche pour ne pas parler ? »
De Fela à Valsero : du barreau jusque derrière les barreaux
C’est vrai, comparaison n’est pas raison. Valsero n’est pas Fela. Mais néanmoins et toute proportion gardée, Fela était un artiste engagé politiquement. Comme on dirait du côté d’Abidjan, “sa bouche ne portait pas caleçon”. Une manière de dire qu’il dénonçait tout ce qui allait de travers au Nigéria. Comme rien ne changeait vraiment, les limites de la musique contestataire l’ont amené à créer un parti politique. MOP (Movement Of the People). Histoire de prolonger son militantisme et son combat artistique et politique. Mais il sera disqualifié aux élections présidentielles de 1979. Le régime militaire de Muhammadu Buhari (revenu au pouvoir en 2015) tente de faire taire Fela en le jetant injustement en prison pour 10 ans en 1984. Fela en sortira 18 mois plus tard, grâce à la mobilisation d’Amnesty International et de nombreux artistes.
De même, Valsero est avant tout un citoyen, n’en déplaise à certains. Dans un état de droit, il est en droit de prendre position politiquement et de manifester pacifiquement, sans que cela ne vienne hypothéquer sa liberté. Telles devraient être les règles du jeu démocratique. Il se trouve que le citoyen Camerounais Valsero est aussi artiste. Depuis le premier janvier 1960, on a entendu au Cameroun bien des artistes prendre position pour soutenir le régime de l’un ou l’autre des deux seuls présidents que ce pays a eu en cinquante-neuf ans d’indépendance (sans commentaire).
Certains artistes rendent compte de la situation socio-politique du pays, d’autres non. C’est leur droit. Valsero pour sa part a fait le choix du droit de dire la douleur des laissés-pour-compte. Les limites de l’action poétique lui ont imposé un engagement politique. C’est un principe démocratique qui devrait d’ailleurs être la préoccupation de tout citoyen camerounais. De ce point de vue-là, on serait en droit de se poser la question de la frontière que certains mettraient complaisamment entre l’artiste et le citoyen. En d’autres termes : comment déterminerait-on où s’arrête l’artiste et où commence le citoyen ? Fela dit :
J’ai des mains pour combattre si je veux combattre
Dis-moi, dis moi (choeur)
J’ai des jambes pour courir si je veux courir
Dis-moi, dis moi (choeur)
Valsero n’a pourtant rien fait d’autre qu’utiliser ses jambes pour manifester. Fela rappelle par ailleurs :
Nous avons des yeux pour voir les effets de l’oppression tous les jours
A gauche, à droite, en haut et en bas (chœur)
Nous avons un nez pour sentir l’anormalité partout
Tout autour de nous, tout autour de nous (chœur)
Nous avons des oreilles pour entendre
Et subir les effets de la corruption tous les jours
Nous avons une bouche pour parler des choses que nous voyons ici,
et qui sentent mauvais …
Quand ils vont me boucler, du fond de ma cellule
je vais crier : Observer est-il devenu un crime ?
Même les pires dictatures militaires nigérianes ont fini par libérer Fela. J’ose espérer que le gouvernement du Cameroun, qui n’est pas supposé être une dictature, n’en fera pas moins pour libérer Valsero. #FreeValsero