Notre correspondant dakarois Amadou Bator Dieng a rendu visite au duo Guiss Guiss Bou Bess, inventeur d’une détonante rencontre entre électonique et tambour traditionnel Sabar.
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Lundi 15 heures. Quartier de Ouakam à Dakar. La ville entière vit à l’heure de la biennale des Arts (intitulée aussi Dak’Art). Nous avons rendez-vous avec Mara Seck et Stéphane Costantini les deux membres du Groupe Guiss Guiss Bou Bess («La Nouvelle Vision» en français). Leur univers musical c’est l’electro-sabar. Un mélange de percussions sénégalaises et de sonorité électro. Mara le percussionniste, danseur et animateur et Stéphane beat-maker fusionnent leur talent pour proposer un projet des plus originaux autour du rythme.
Les deux compères nous accueillent en leur fief ouakamois dans une ambiance de travail très conviviale. Les managers et membres du staff sont entre téléphone et mails. Il faut dire que le groupe prépare pour les mois de mai et juin une tournée, avec escales à Paris et Bruxelles notamment. Le soleil est de sortie, mais nous décidons de nous installer au salon. Après un week-end chargé, Guiss Guiss Bou Bess a joué vendredi au monument de la renaissance (Photos) et Samedi au Pullman. L’air relax, Mara raconte son émotion lors du concert au pied de la colossale statue aux airs nord-coréens qui symbolise la renaissance africaine. On le comprend, tant la soirée était sublime.
La musique de Guiss Guiss Bou Bess part de la terre et monte vers l’aérien. Un beau mélange de terroir profond et de cité moderne. Ça vous prend aux tripes. Le public, timide au début, a fini par se laisser aller à la transe. A l’image des derviches tourneurs, le son vous enivre et vous transporte.
« Nous proposons une nouvelle vision des percussions. Le mélange avec la musique électronique donne quelque chose de particulier et le public le ressent. C’était vraiment un bon concert » explique le natif de Dakar et fils de Alla Seck – le légendaire danseur de Youssou Ndour décédé en 1987.
Mara est un « fils de » et porte en lui cet héritage paternel. De par sa mère également, il appartient à la grande famille Sing-Sing, reconnue pour donner naissance aux grands tambour-majors du Cap-Vert (pas le pays, mais la presqu’ile sur laquelle est bâtie Dakar). C’est la famille de Mbaye Dieye Faye, percussionniste lui aussi de Youssou Ndour. Alors, Quand on nait dans la célèbre maison de le rue 11 X16 à la Medina, a-t-on un autre choix que celui de devenir un excellent percussionniste ?
Après avoir accompagné dans les années 2000 des artistes comme Amy Collé ou Fatou Guewel, il joue avec le groupe Garmi Fall. Son univers était un mélange de jazz, de rock, de soul et de funk assez ouvert. Mara, égalemennt très influencé par les sons rétro, se creusait la tête pour inventer un projet original. Après le départ du leader du groupe Garmi Fall, il veut en reprendre les rennes. L’expérience tournera court, mais il sort entre temps un premier EP de pur Mbalakh , dont certains sont encore dans le répertoire de Guiss-Guiss.
« J’ai grandi en écoutant les morceaux de mon père et tous les rétros de cette époque. Ils sont mon inspiration première. La rencontre avec Stéphane en 2016 a été déterminante. Nous avons eu toute suite envie de travailler ensemble » se souvient-il.
Pour Stéphane, le beat-maker, la rencontre s’est faite de façon naturelle. En venant au Sénégal pour ses travaux de recherches dans la communication, il ne pensait pas faire une telle découverte : « On a eu un bon feeling et au début j’ai juste voulu faire des remix de morceaux issu de son premier EP. On a tellement bien travaillé que l’idee d’aller plus loin m’est venue. »
Stéphane Costantini est un franco-italien de 35 ans. Amoureux de tout ce qui touche à la musique par ordinateur, il commence vraiment au début des années 2000 à travailler sur des instrumentaux et et des remixes pour les Sound Systems puis il bascule complètement dans l’électro en collaborant avec un groupe de hip-hop. Reste à lui demander ce qui l’a attiré dans le son du sabar…
« J’ai beaucoup travaillé avec des percussions classiques genre Djembé ou Doum Doum à Paris. J’ai toujours voulu développer de tels échanges et l’expérience avec le Sabar me semblait assez originale » confie-t-il.
Le café servi par la manager et épouse de Mara est délicieux, tout autant que la discussion à bâtons rompus avec les deux artistes. L’echange révèle de véritables atomes crochus entre eux. Cela se ressent dans leur façon de travailler.
« On est dans une sorte de pollinisation croisée. Mara ou moi proposons des choses et nous y travaillons en apportant chacun des idées à l’autre et nous construisons le son final ensemble » explique le beat-maker sous le regard entendu du percussionniste. Et Mara d’ajouter : « Nous voulons faire découvrir au monde une autre facette du Sabar. C’est un instrument avec des facettes et des possibilités sans limites ».
En plus des percussions et de la danse, Mara fait du « Kebetu » (art traditionnel de déclamer tel un rappeur ou plus précisément un griot). Sans doute un don qu’il a hérité de feu son père qui le faisait à l’époque dans certaines chansons de Youssou Ndour.
« Je n’ai pas vécu avec mon père, j’avais deux ans quand il est parti, mais j’ai beaucoup pris de lui. J’écoute ses albums et regarde ses vidéos, comme son passage à Bercy en 1986 lorsque le Super Etoile faisait la première partie de Jacques Higelin. Ses paroles m’inspirent toujours. »
Mara veut à travers ses messages parler à la jeunesse africaine pour lui dire que le plus important dans la vie est de croire en soi. « Travailler beaucoup et parler peu. Le plus important, ce n’est pas ce que tu dis, mais ce que tu fais. Par exemple, pour nous Guiss Guiss Bou Bess, ce n’était pas évident au début, aujourd’hui grâce à notre perspicacité et au travail formidable de structures comme Kaani ou Sénégal éthic qui nous accompagnent, le projet commence à prendre forme »
Les deux compagnons et leur équipe sont attendus à Bruxelles le 18 mai prochain pour un concert au cours du festival Africa is /in the Future dont PAM est partenaire. Ils seront nos invités lors de la discussion qui ouvrira la soirée. L’occasion de découvrir ce groupe d’un genre nouveau, aux potentialités énormes.
« On marche à l’expérimentation. On fait beaucoup de live, ce qui nous permet d’improviser et de mieux former le son. Pour le moment nous avons un répertoire live et un clip vidéo Jiguenou Africa, mais pas encore d’album. Donc bravo aux organisateurs de la tournée pour la curiosité et le coup d’œil » rigole Stéphane.
Il est 17 heures. Deux heures de discussions captivantes. L’entretien tire à sa fin d’autant plus que la jolie petite fille métisse de Mara tombe du Sabar avec lequel elle jouait. Plus de peur que de mal, c’est le métier qui commence à entrer. Descendante de Alla Seck et de Sing-Sing, fille de Mara et élevée au son de l’électro Sabar, tous les ingrédients sont réunis pour que la mayonnaise prenne, et que la relève soit assurée.
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